L’annonce le 21 juillet dernier de l’arrêt de la coopération militaire entre Kigali et Washington a fait l’effet d’un séisme dans la sous-région des Grands-Lacs. La suspension de l’aide militaire américaine au Rwanda marque un tournant dans la politique étrangère du Département d’Etat en Afrique et indique aux observateurs avisés que la RDC de Joseph Kabila est désormais courtisée par la communauté internationale. La finesse de Kabila On se rappellera que Kigali et Kinshasa s’étaient engagés depuis plusieurs années dans une série d’opérations militaires conjointes contre les miliciens du FDLR, aujourd’hui réduits à une poignée de bandits errants, dans l’esprit de la résolution 1856 du conseil de sécurité du 22 décembre 2008 qui exhortait les pays de la sous-région des Grands Lacs « à régler de manière positive leurs problèmes communs de sécurité et de frontières », et du Pacte de 2006 sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la Région des Grands Lacs.

Patiemment, le président congolais avait multiplié les signes de bonne volonté, sensible à la question des génocidaires rwandais dont la présence en territoire congolais constituait la principale inquiétude sécuritaire de Kigali. On se souviendra qu’en janvier 2009 l’autorisation donnée par Kinshasa à l’armée rwandaise de pénétrer en territoire congolais pour traquer les FDLR s’était soldée par une violente crise politique au terme de laquelle Vital Kamerhe, en désaccord avec cette approche des dispositions contraignantes du Conseil de sécurité, avait du quitter son poste de président de l’Assemblée Nationale.

Patiemment toujours, le président congolais gérait parallèlement depuis 2007 le processus d’intégration dans l’armée congolaise des rebelles du CNDP dont le chef Laurent Kunda, recherché par la CPI, vit paisiblement au Rwanda. Après avoir réussi la neutralisation militaire du CNDP transformé en parti politique, Kinshasa pensait avoir fait l’essentiel. C’était compter sans la rouerie de Kigali, instrumentant le même mouvement, désormais dirigé par le renégat Bosco Ntaganda sous la forme du M23, au motif que Kinshasa n’aurait pas respecté les accords du 23 mars 2009 intégrant les rebelles au sein des forces armées congolaises, ces derniers exigeant de rester en cantonnement dans la région du Kivu et refusant toute mutation dans les autres provinces de la République.

Le poids de cette double gestion par Kinshasa du nécessaire éradication des FDLR et des mouvements rebelles financés par Kigali a finalement tourné à l’avantage de Joseph Kabila. Le président congolais vient de réussir à marginaliser au plan international la politique étrangère de Kigali basée sur le fond de commerce de la traque des ex-Interahamwe aujourd’hui anéantis. Les erreurs de Kigali En contraignant les autorités congolaises à disperser de précieuses ressources financières dans la lutte contre les FDLR et contre les mouvements rebelles qu’elle soutenait, Kigali a commis une série d’erreurs qui se solde aujourd’hui par un isolement diplomatique sans précédent.

Avec les opérations conjointes, Joseph Kabila avait montré une bonne foi jamais prise en défaut par la communauté internationale, subissant toutefois de manière parfois injurieuse une opinion intérieure hostile à la présence militaire rwandaise en territoire congolais. Pour saper le bénéficie politique international de cette bonne foi évidente du chef de l’Etat congolais, les têtes pensantes de Kigali ont cherché à le faire passer pour un violeur d’accords, ce que de l’avis général le président congolais n’est pas.

Une des nombreuses erreurs des responsables rwandais consiste à avoir instrumenté les FDLR et les mouvements rebelles congolais pour couvrir le pillage des ressources minières congolaises. « Rebels Inc. », tel pourrait être le nom d’une entreprise de prédation systématique sous couvert de la traque des FDLR, aujourd’hui quasiment disparus, et des mouvements rebelles soutenus par le Rwanda en territoire congolais.

Le filon d’une exploitation du sol congolais sous couvert d’actions militaires présentées comme légitimes est épuisé. Le gouvernement rwandais n’a pas compris que si la résolution 1856 du Conseil de sécurité encourageait les deux pays à collaborer sur le front commun de la lutte contre les forces négatives de la sous-région, elle leur demandait également de mettre fin au commerce illicite de ressources naturelles.

Et c’est précisément ce que les autorités rwandaises n’étaient pas prête à faire puisque, tout le monde le sait, l’exploitation anormale des ressources minières congolaises continue de contribuer pour une part importante au budget de développement du Rwanda. Autre erreur du Rwanda, celle d’avoir sous-estimé l’importance géopolitique de la RDC qui tient autant à sa taille, son positionnement au cœur de l’Afrique qu’à son appartenance à la SADC, à la CEEAC, au COMESA, à la CEPGL, à la CIRGL et au-delà à la Francophonie.

Les enjeux économiques du continent passent par une RDC stable et toute l’Afrique a fini par le comprendre, désormais agacée à l’unanimité par les exactions de l’armée rwandaise en territoire congolais sous couvert de rebellions aux motivations douteuses. Erreur encore du schéma rwandais, celle de ne pas avoir vu que son statut de deuxième puissance verte de la planète fait de la RDC un interlocuteur incontournable dans les stratégies de lutte pour la préservation d’un environnement durable, dans la perspective de la mise en place du Fond Vert pour le climat visant à collecter 100 milliards de dollars d’ici à 2020.

Enfin, erreur grave de la politique étrangère de Paul Kagame, celle de ne pas avoir saisi que l’administration Obama a tourné le dos à la doctrine Kirkpatrick, datant de l’administration Reagan, suivant laquelle les dictatures de droite peuvent à terme se démocratiser. Sur le fond de cette théorie chère à l’ancienne ambassadrice aux Nations Unies Jeanne Kirkpatrick, les Etats-Unis ont soutenu des régimes très contestables du point de vue des standards démocratiques au motif qu’une bonne gestion économique préparerait naturellement les termes d’une transition vers la démocratie, ce qui c’est avéré faux dans plusieurs cas.

En s’appuyant sur cette doctrine, les autorités rwandaises, fort du soutien américain, ont pensé que leurs seules performances en terme de croissance économique les mettaient à l’abri des critiques sur l’absence totale de démocratie du régime de Paul Kagame. En coupant l’aide américaine à Kigali, Barack Obama vient d’indiquer aux responsables rwandais que leur soutien militaire aux mutins du M23 est inacceptable en droit international. Les Etats-Unis n’entendent plus subordonner le principe non négociable de la démocratie aux seuls résultats économiques d’un pays, qui plus est lorsque ces résultats sont obtenus sur fond de commerce illicite de matières premières, avec un coût humain insupportable en termes de souffrances pour les populations victimes des exactions rwandaises en territoire congolais, sous couvert du CNDP de Laurent Nkunda puis du M23 de Bosco Ntaganda.

Le temps est venu pour Kigali d’envisager la démocratisation de son régime. Autre erreur de taille de Kigali, avoir sous-estimé la valeur des services congolais de renseignement qui ont su présenter de manière systématique toutes les preuves matérielles de l’implication des plus hauts responsables politiques et militaires rwandais dans le soutien du M23. Les preuves confirmées par l’additif du Rapport d’étape du Groupe d’Experts des Nations Unies sur la RDC adressé le 26 juin dernier au Président du Conseil de sécurité indiquent de manière irréfutable que des officiels rwandais de haut rang ont fourni une assistance directe aux mutins du général déchu Bosco Ntaganda et que l’armée rwandaise, accordant son appui à un renégat recherché par la CPI, est directement intervenue contre les forces armées congolaises, alors à deux doigts de procéder à l’arrestation de Ntaganda en vue de son transfèrement à la CPI.

La nouvelle diplomatie de Kabila Face aux dénégations persistantes des autorités de Kigali quant à leur soutien avéré aux mutins du M23, Joseph Kabila a lancé dès le mois de mai 2012 une vaste campagne diplomatique menée par un vétéran du système des Nations Unies, Raymond Tshibanda, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et de la Francophonie. Bien connu des plus hauts responsables de la communauté internationale pour avoir été haut fonctionnaire du HCR, jouissant déjà d’une grande estime en qualité de ministre de la Coopération internationale des deux derniers gouvernements Muzito, le nouveau chef de la diplomatie congolaise a su convaincre les chancelleries occidentales et les capitales africaines de la bonne foi des autorités congolaises dans la gestion de la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC.

Avec sa sensibilité humanitaire et sa maitrise des dossiers multilatéraux, Raymond Tshibanda a mis avec talent la nouvelle politique étrangère de Joseph Kabila au service des intérêts supérieurs de la RDC. Avec patience et doigté le gouvernement rwandais a été placé aux pieds des évidences et la diplomatie congolaise a convaincu l’ensemble de la communauté internationale de la nécessité d’une force internationale neutre pour contrôler et sécuriser la frontière trop poreuse entre le Rwanda et la RDC, et éradiquer le M23 autant que le résidu des FDLR.

Cette force, décidée par le Sommet extraordinaire des chefs d’Etats et de Gouvernement de la Conférence Internationale sur la Rrégion des Grands-Lacs (CIRGL), sera conçue comme une sous-composante d’une Monusco dont les missions seront redéfinies en conséquence. Elle sera rapidement opérationnelle, et de manière efficace, avec l’appui de l’UA et de l’ONU. Contrairement à la volonté de Kigali de poursuivre l’éradication des forces négatives sur une base bilatérale, la communauté internationale est donc appelée à prendre les choses en mains, et l’arrêt de la coopération militaire entre Washington et Kigali est ainsi le signe d’une grande victoire diplomatique pour Kabila. Rendu aux arguments pertinents de la diplomatie congolaise sur la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC, Barack Obama ne peut en effet se permettre de cautionner les agissements condamnables du Rwanda avec le risque de se le voir reprocher au cours de la prochaine campagne présidentielle américaine.

Il est contraint de tourner la page de la période Albright. L’efficacité de la diplomatie congolaise menée par Raymond Tshibanda s’explique par les trois grands axes qui se dégagent de la conception de la politique étrangère de Joseph Kabila. Le principe de la destinée souveraine de la RDC se fonde sur la perpétuité du droit naturel des Congolais libres et indépendants à jouir en paix des fruits de leur labeur et des grâces de la terre de leurs ancêtres, dans le cadre des frontières intangibles reconnues par l’UA et l’ONU.

Le deuxième axe est constitué par le concept de sécurité voisine et exprime que la RDC s’interdit toute immixtion dans les affaires intérieures de ses neufs Etats circonvoisins et de mener ou de soutenir de quelque manière des entreprises de déstabilisation intérieure de ces Etats. La RDC est consciente que sa sécurité intérieure, et particulièrement sa sécurité frontalière, est tributaire de la sécurité intérieure du voisinage et agit en toute circonstance pour contribuer à son maintien et empêcher toute circulation de violence armée. Le troisième axe s’articule autour de la notion de puissance convaincante.

La RDC mène une politique de coexistence pacifique et harmonieuse avec les puissances étrangères et recherche avec elles un dialogue permanent suivant les termes d’une politique de bon voisinage et de coopération équilibrée. Affirmer sa puissance africaine et son rayonnement mondial par une communication diplomatique privilégiant les termes de la paix, de la fraternité et de l’humanisme dans le respects des croyances et des convictions des hommes, qui sont tous frères, tel est le fond de la doctrine des relations internationales défendue par Joseph Kabila. Léon Olivier Engulu Philosophe
Source: La Prospérité,
Last edited: 25/07/2012 15:18:38