Wednesday, November 2, 2011

Libye: Le Premier ministre ménage la chèvre et le chou.

Dans une interview accordée à Radio France internationale (RFI), Abdel Rahim al-Kib, le nouveau Premier ministre libyen, élu le 31 octobre dernier, tente de rassurer ceux qui ont été à la fois surpris et inquiétés par la décision prise par les responsables du CNT de faire de la Charia la principale source d’inspiration du droit dans la nouvelle Libye. Le nouveau Premier ministre évite d’abord de s’inscrire en faux par rapport à ce que les anciens dirigeants du Conseil national de transition (CNT) ont déjà annoncé concernant la place qu’occupera le droit canon et l’islam dans l’organisation de la vie sociopolitique en Libye. Pour ce dernier, « nous devons nous plier aux règles et aux principes de notre religion, tout en gardant à l’esprit que nous évoluons dans un monde qui comprend d’autres religions ». Le chef du futur gouvernement libyen a ensuite tenté de préciser l’esprit de l’option politique de l’exécutif intérimaire, convaincu que celle-ci a été mal interprétée. « Nous ne tolérerons aucune forme d’extrémisme. Que nos amis et collègues de l’Ouest n’aient aucune crainte ! Ce n’est pas possible tout simplement. Ce n’est pas ça, la Libye. Nous ne laisserons jamais passer l’extrémisme », a-t-il déclaré, de façon péremptoire. Une quasi-redondance qui se veut sans doute insistante dans le but de convaincre pour rassurer. Tout en affirmant son attachement aux textes régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle dans les Etats musulmans, le chef du nouvel exécutif libyen donne des gages de bonne foi aux partenaires libyens. Le régime transitoire qui est en train de s’installer, compte, par un savant dosage entre les valeurs traditionnelles et modernes poser les bases d’une république islamique excluant tout extrémisme. Et, en tant que garant du succès de la mise en œuvre de cette vision évolutive, Abdel Rahim al-Kib se devait de rassembler tous les acteurs potentiels de la reconstruction de la Libye autour de ce projet fort ambitieux et dont la réussite relèverait de l’exploit. Aussi a-t-il choisi de ménager la chèvre et le chou en rassurant les partisans des systèmes arabo-musulman et démocratique occidental que leur préoccupation, somme toute commune, à savoir le respect des droits humains, ne sera point reléguée au second plan. Tout le mal que l’on peut souhaiter à ce technocrate américain que l’on dit être a priori plus ou moins blanc comme neige, c’est de pouvoir, avec sa future équipe, concilier les deux tendances. Une mission qui n’aura absolument rien de comparable avec celle consistant à réconcilier deux jeunes frères boudés pour un partage inégal de bonbons. Et c’est en cela que la tentative libyenne ne doit pas être appréciée sous le prisme de la gouvernance d’un autre pays, quoique cité comme modèle, qui ne partage pas avec elle les mêmes réalités historiques ni religieuses. En d’autres termes, pour peu que les dirigeants libyens fassent preuve de bonne foi en collaborant franchement dans la traque des terroristes et autres extrémistes de tout acabit, l’application de la Charia ne doit, de prime abord, entacher en rien la qualité de leur gestion. A condition, en effet, qu’ils évitent son application à la lettre. Car, en réalité, c’est la mise en pratique sans discernement des recommandations de cette loi musulmane qui pose véritablement problème dans un contexte où toutes les aberrations de la discrimination sexuelle ont été suffisamment mises à nu. Il est en effet absurde de vouloir respecter une règle qui veut que l’on lapide à mort une femme coupable d’adultère quand on ne châtie pas de la même peine l’homme sans le concours ou la complicité duquel l’acte incriminé n’aurait pas eu lieu. La Charia a incontestablement des prescriptions qui valorisent la vie humaine et encouragent la culture des vertus cardinales. Mais comme toute œuvre conçue par des humains, elle est sans doute perfectible. Les autorités de la Libye démocratique n’ont pas besoin de réécrire ce texte de loi religieux, mais elles ne sont pas obligées non plus de l’appliquer aveuglement. Certes, la pression des islamistes radicaux risque de se faire plus forte, mais ceux-ci ne représentent pas tout le peuple libyen à qui l’on doit enfin donner la chance dont il a toujours rêvé, celle de décider de son propre sort. A défaut de consensus, le projet de Constitution libyenne pourrait être soumis à référendum pour être sûr que son contenu correspondra à l’aspiration de la majorité. Et l’Afrique, à travers l’Union africaine (UA), devra accompagner les Libyens dans cette phase très déterminante de leur existence. Même si l’UA a brillé par son silence assourdissant suite à la mort de Mouammar Kadhafi, un chantre de l’unité africaine, elle doit enfin sortir de son mutisme pour accompagner la Libye dans sa longue marche vers une stabilité exemplaire. Car, jusque-là, aucune condamnation ferme de la mort du Guide n’a été enregistrée du côté des chefs d’Etat africains qui ont pourtant, pour la plupart, profité des largesses de leur défunt pair. Il est vrai qu’il n’est pas prudent par ces temps de révolutions populaires qui, avec la bénédiction des puissants du monde, emportent tout sur leur passage, de contrarier les puissances occidentales en manifestant de la sympathie pour un dictateur, mort de surcroît, de la trempe de Kadhafi. Les Etats n’ont que des intérêts, dit-on, mais ne serait-ce que par devoir moral, les têtes couronnées du continent noir ne doivent rater aucune chance d’apporter leur soutien à un pays de l’Union dans le besoin. A commencer par le Mali et le Niger qui doivent éviter, au cas où le fils de Kadhafi, Seif al-Islam, se trouverait sur leur territoire, de se dérober à leur devoir vis-à-vis de la Cour pénale internationale (CPI). S’ils tiennent leurs engagements internationaux, ils permettraient d’épargner la vie de Kadhafi fils, évitant ainsi la répétition de l’erreur ayant conduit à l’inutile mort du père de ce dernier, qui pourra en outre éclairer la CPI sur bien des dossiers concernant son pays.

"Le Pays"



Source:  Afriscoop, du 03/11/2011

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