Saturday, March 3, 2012

RDC: Le boycott : stratégie ou erreur politique ?

                 

Le Palais du peuple, siège du Parlement congolais      
Après avoir vu sa victoire électorale volée par le nouveau dictateur du pays, l’opposant historique Tshisekedi wa Mulumba s’est autoproclamé «président élu», allant jusqu’à prêter serment dans sa résidence. La CENI s’étant révélée une machine à tricher, Tshisekedi a par la suite considéré comme «nulles» les législatives, «remportées» par le PPRD avec 63 sièges et faisant de l’UDPS la première force d’opposition avec 41 sièges. Mais les élus de la «fille aînée de l’opposition» pourraient ne pas siéger. Leur chef de file, qui juge le scrutin frauduleux avec raison, a déjà appelé au boycott du nouveau parlement. Cela n’a pas empêché celui-ci de se réunir le 16 février dernier sous la présidence du doyen d’âge, qui se trouve être, ironie du sort, un élu de l’UDPS. Le contexte politique local suggère que ce dernier a été acheté ; ce qui justifie la riposte de son parti qui l’a aussitôt exclu. Le boycott a souvent été utilisé par les partis d’opposition en Afrique. Il serait fastidieux de citer des exemples tout au long des processus électoraux. Cette pratique si courante est-elle une stratégie ou une erreur politique?

Pour nous Congolais, la meilleure façon de répondre à la question ci-dessus serait sans doute d’examiner les conséquences du boycott par l’UDPS de l’enregistrement des électeurs et partant du referendum et des élections présidentielles et législatives de 2006. Après avoir été désavoué par le peuple qui s’était fait enregistrer massivement, Tshisekedi avait alors esquissé une volte-face, envisageant de se lancer dans la course au pouvoir. Mais il était trop tard. Aucun pays au monde ne pouvait céder à ses exigences qui consistaient à rouvrir les bureaux d’enregistrement pour permettre à ses militants de s’inscrire et à laisser son parti participer au comité directeur de la commission électorale indépendante «pour éviter la fraude». Son appel au boycott était raté à l’échelle nationale et il devait en assumer les conséquences.

A la suite de son auto-exclusion du processus électoral, l’UDPS est resté muet pendant toute une législature. Mais pour un parti aussi grand et bien implanté, l’appel au boycott a eu des conséquences encore plus lourdes pour la nation entière. Pour s’en rendre compte, il suffit d’imaginer ce qu’aurait été le Congo si ce énième défi sans objet du Sphinx de Limete n’avait pas eu lieu. D’abord, l’ordre d’arrivée au premier tour des élections présidentielles plus ou moins truquées ne serait pas Kabila, Bemba, Gizenga, etc. Il serait Tshisekedi, Kabila, Bemba, etc. Ou alors Kabila, Tshisekedi, Bemba, etc. Le faiseur des rois ne serait pas le bois mort Antoine Gizenga, mais Jean-Pierre Bemba. Celui-ci, qui affectionnait d’appeler Joseph Kabila «le petit inculte rwandais», n’allait certainement pas se faire acheter aussi facilement que le misérable Gizenga d’alors. Et l’Occident n’allait pas faire peur aux Congolais en agitant le spectre de l’éclatement du pays entre l’Est et l’Ouest.

Ensuite, la première force de l’Assemblée nationale serait à coup sûr l’UDPS. Même en cas de tripatouillage pour hisser Kabila à la présidence afin d’apaiser les inquiétudes du Rwanda sur une possible vengeance du Congo à défaut de justice concernant les millions de victimes de la barbarie du régime Kagamé, Kabila serait certes un dictateur comme le veut toute démocratie de façade, mais il n’aurait pas eu les coudées aussi franches pour modifier la loi électorale pour ramener l’élection présidentielle en un seul tour. Et avec la présence de l’UDPS au sein de la CENI en 2011, la tricherie n’allait pas être aussi grossière, car il aurait été impossible pour le duo Kabila Kabange-Ngoy Mulunda d’acheter le silence du fils de Tshisekedi qui allait sans aucun doute représenter le parti de son père au sein de cet organe où le silence des représentants des partis d’opposition fut assourdissant face à la fraude généralisée.

Le boycott par l’UDPS de l’enregistrement des électeurs et partant du referendum et des élections de 2006 a contribué énormément à diriger le destin de notre pays dans la mauvaise direction que l’on connait depuis lors. Du même coup, le plus grand acquis de la lutte politique de l’UDPS, la libération des Congolais de la peur du dictateur, a été totalement anéanti. Car dans le Congo de Joseph Kabila, la peur est revenue au galop. Et avec elle, l’obséquiosité légendaire vis-à-vis du roi du jour, si bien incarnée par deux flatteurs récidivistes : hier, Sakombi Inongo, et aujourd’hui Mende Omalanga. On peut même affirmer que ces deux attitudes, la peur et l’obséquiosité, ont un avenir radieux, facilité par la philosophie politique des Eglises de réveil ou, mieux, du sommeil : le fameux «Nzambe akosala ».
L’histoire des boycotts en Afrique démontre que la politique de la chaise vide n’en est pas une. Le boycott du processus électoral par l’UDPS en 2006 ne fait pas exception à cette règle. Il fut une erreur politique monumentale. En dépit de ce constat, Tshisekedi a appelé au boycott du parlement de 2011. Quelle réponse les élus de l’UDPS devraient-ils réserver à leur chef si jamais il n’y avait plus de volte-face cette fois-ci ? Nous pensons qu’ils devraient impérativement s’inspirer de la
«Lettre ouverte des 13 intellectuels du Grand Kasaï à Mr. Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Président national de l’UDPS en prévision de l’échéance du 30 juin 2006 ».

Rédigée le 10 mai 2006 à Kinshasa, cette lettre intitulée «Nous ne nous laisserons plus abuser» commençait par solliciter l’indulgence des Congolais d’autres provinces «qui souffraient à cause des erreurs et fautes de l’UDPS en particulier et des leaders originaires du Grand Kasaï en général», tout en lançant ce mot d’ordre à la nation : «Allons tous aux élections telles que programmées par la CEI». La lettre passait alors en revue 50 erreurs politiques de Tshisekedi depuis la proclamation de la libéralisation politique et lui demandait d’avoir le courage de reconnaitre que sous son mandat, «l’échec de l’UDPS aura été des plus retentissants». En guise de conclusion, les signataires affirmaient qu’ils étaient «fatigués d’entendre et de dire continuellement que l’UDPS vaincra alors qu’en réalité, c’est le parti qui est totalement vaincu». Malheureusement pour l’UDPS et pour le pays dans son ensemble, la voix de ces visionnaires était noyée par l’immense et permanente popularité du Leader Maximo.

Dépossédé de sa victoire au moment où il jouait son va-tout, Tshisekedi mérite davantage notre compassion. Mais cela ne devrait pas nous empêcher de souligner sa propre responsabilité dans ses déboires et la continuelle descente aux enfers de notre pays. Il n’existe certainement pas d’autre exemple de leader politique aussi populaire et cela pendant deux décennies d’affilée, mais qui aura raté tous les multiples rendez-vous que l’Histoire lui aura fixé pour accéder au pouvoir. Les nombreuses et énormes gaffes de Tshisekedi, résultats obligés de son goût très prononcé pour les défis sans objet et son incapacité à faire la part des choses entre l’utile et l’accessoire, sont pour beaucoup dans notre désillusion collective. Ces gaffes dont certaines prenaient l’allure de véritables gamineries ont largement contribué à ressusciter l’aventurier Laurent-Désiré Kabila d’entre les morts politiques. Et le penchant de ce dernier pour le «Rugaga», la Kamasutra version rwandaise, a fini par replonger le pays dans une dictature féroce qui massacre les fils du pays avec la bénédiction des démocraties occidentales. A défaut de sauver le soldat Tshisekedi, les élus de l’UDPS ont intérêt à se sauver eux-mêmes. Certes, leur participation au parlement ne rendra pas sa dignité au pays. Mais à moins de prendre les armes, leurs critiques du régime au sein de l’hémicycle seront plus audibles que sous les arbres de Limete. Par ailleurs, ils se mesureraient à arme égale à leurs rivaux lors de prochaines législatives. Le gain politique est certes maigre. Mais avec le boycott, il n’y a même pas de maigre bénéfice.
Author: Nkwa Ngolo Zonso         
Source:  Congoindépendant 2003-2012, du 25 Feb 2012
 

No comments:

Post a Comment