A moins de trois semaines de l'élection présidentielle congolaise, l'ONG Human Rights Watch a fait part de son inquiétude, après avoir repéré "des dizaines de cas de discours haineux manifestement basés sur des critères ethniques, ainsi que d'incitation à la violence, de la part de candidats politiques et de leurs partisans". Depuis le 28 octobre, lancement officiel de la campagne présidentielle, la course au palais de la Nation de Kinshasa a provoqué un regain de violences. Dans plusieurs provinces, notamment à l'est où des groupes armés sont toujours actifs, de violents affrontements ont éclaté entre des militants de camps opposés. Au total, un mort, plusieurs dizaines de blessés, et d'importants dégâts matériels dans les principales villes du pays.
Dans cet immense pays africain – quatre fois la superficie de la France métropolitaine – l'organisation d'un scrutin pour près de 32 millions d'électeurs est une "opération de la plus haute complexité", rappelle Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de la France en RDC, d'autant que le scrutin sera couplé avec des élections législatives. Dans un contexte social tendu, la tenue d'une élection présente des risques majeurs. Alors que "les scènes de violence sont déjà quotidiennes en cette période pré-électorale", selon le président de l'association africaine de défense des droits de l'homme en RDC, Jean-Claude Katende, "la situation va empirer, car il n'y a aucune tentative d'apaisement de la part des politiques".
KABILA FACE À UNE OPPOSITION ÉCLATÉE
Onze candidats sont officiellement en lice pour accéder à la plus haute fonction de l'Etat. Parmi eux, le président sortant, à la tête du pays depuis dix ans, Joseph Kabila. Celui qui a succédé à son père semble en bonne position pour être réélu, bénéficiant notamment des faveurs de l'appareil administratif, du soutien des onze gouverneurs de province tous acquis à sa cause, et d'un appui tacite de la communauté internationale. Mais Joseph Kabila, dépourvu du charisme de son père, ne jouit pas d'une forte popularité, et son mandat "a été globalement peu convaincant par rapport aux réformes promises lors de son élection en 2006", estime Pierre Jacquemot, chercheur à l'IRIS.
Face à lui, l'opposition reste extrêmement divisée. Le leader de l'union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Etienne Tshisekedi, reste le plus à même de battre le président sortant. Figure historique de l'opposition depuis le régime de Mobutu, il est extrêmement populaire parmi les Congolais, notamment dans la capitale. Mais celui qui semblait s'imposer comme le chef de file de l'opposition a multiplié les maladresses. Dimanche 6 novembre, dans un entretien à la Radio Lisanga Télévision (RLTV), M. Tshisekedi s'est autoproclamé "président de la République" et a lancé au "gouvernement un ultimatum de 48 heures" pour relâcher ses "combattants" arrêtés lors de manifestations récentes. Des propos qui ont suscité de vives critiques de la part des autres candidats à l'élection, repoussant l'hypothèse de voir émerger une coalition pour faire échouer Kabila.
RISQUE DE "PARALYSIE DRAMATIQUE"
L'actuel président a mis toutes les chances de son côté. Grâce à une modification constitutionnelle adoptée en janvier, l'élection du président se fait désormais à la majorité simple, à l'issue d'un seul tour de scrutin. Si l'opposition ne parvient pas à s'entendre pour présenter un seul candidat, l'éclatement des votes devrait favoriser une réélection à Kabila.
Mais quel que soit le vainqueur du scrutin du 28 novembre, le prochain président sera élu, du fait de ce nouveau mode de scrutin, avec moins de 50 % des suffrages. Condamné à négocier une majorité parlementaire sur laquelle s'appuyer pour gouverner, le futur président aura de toute façon du mal à asseoir sa légitimité. L'historien spécialiste de la RDC, Alain Bishoff, craint même un risque de "conflit permanent entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif". Si un tel scénario se dessine, le "charivari politique de la RDC n'est pas prêt de se démêler, et le pays va plonger dans une paralysie dramatique pour l'avenir", estime Pierre Jacquemot.
"QUELS QUE SOIENT LES RÉSULTATS, ILS NE SERONT PAS ACCEPTÉS"
Si la campagne présidentielle provoque déjà "de très fortes tensions", selon un travailleur humanitaire présent sur place, c'est davantage la période post-électorale qui inquiète les spécialistes du pays. Alors qu'"en Afrique, les élections sont souvent l'occasion de régler des comptes", les soupçons de fraude qui entachent déjà le scrutin font craindre un embrasement. Le Commission électorale nationale indépendante, chargée d'organiser et de valider les élections, est en effet la cible de vives attaques de l'opposition. Certains candidats ont notamment pointé les quelque 7 millions d'électeurs supplémentaires inscrits sur les listes par rapport à celles de 2006, et la présence de nombreux mineurs dans les fichiers électoraux.
Dans un pays bouleversé par des années de crise et de conflits non résolus, "quels que soient les résultats de l'élection, ils ne seront pas acceptés", affirme Pierre Jacquemot. Selon lui, les perdants "trouveront de toute façon des motifs pour invalider les élections". Pour Jean-Claude Katende, "si les politiques n'appellent pas au calme avant le scrutin et conservent une ligne violente comme on l'a vu jusqu'à présent, les affrontements vont s'intensifier après la proclamation des résultats électoraux, et le risque d'embrasement est réel". A Kinshasa, véritable "poudrière" de plus de 10 millions d'habitants, les difficultés socio-économiques "risquent d'attiser le sentiment d'injustice", affirme le défenseur des droits de l'homme. A moins d'un mois de l'élection, un "fort sentiment d'inquiétude" a gagné la population congolaise, selon lui.
Author: Charlotte Chabas
LEMONDE.FR
Source: Le Monde, du 09/11/2011
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