Tuesday, September 13, 2011

RWANDA: Réconciliation au Rwanda : une question de générations

Dix-sept ans après un génocide qui a fait près d'un million de morts et 250 000 victimes de viol entre avril et juillet 1994, selon les Nations unies, le président rwandais Paul Kagame a exprimé, lors de sa première visite en France, sa volonté de "tourner la page des différends du passé". Une page tragique que les deux ethnies Hutu et Tutsi tentent de tourner, depuis la guerre civile qui les a opposées, en suivant, à marche forcée, un processus de réconciliation nationale initié par le régime.

Arrivé au pouvoir avec la victoire du Front patriotique rwandais (FPR), à l'issue du génocide, le président Kagame a jeté les bases d'un projet de réconciliation fondé sur la création d'un nouveau mythe national. "Le Rwanda a choisi l'option politique, après le génocide, de nier l'existence ethnique, dans un discours du type 'Nous sommes tous Rwandais, quelle que soit notre ethnie : plus de Hutus, plus de Tutsis'", analyse Emmanuel Klimis, politologue aux facultés universitaires Saint-Louis, en Belgique. "Une idée terriblement ambitieuse qui fait fi du fait que les ethnies, après un génocide, existent", commente Valérie Rozoux, chercheuse à l'Université catholique de Louvain, en Belgique. "Ce n'est certainement pas par des changements structurels et législatifs sur le court terme, qu'un phénomène sociologique, et pas seulement politique, peut-être démonté."




Carte du Rwanda.DR

LA JUSTICE COMME BASE DE RÉCONCILIATION


L'idée de justice a été centrale dans le processus de réconciliation nationale. "Il était clair qu'il n'y aurait pas d'impunité pour les planificateurs et les auteurs, car l'impunité a été considérée comme l'une des causes du génocide de 1994", note Hélène Dumas, historienne à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), en référence aux pogroms impunis des Tutsis dans les années 1960.

Dès le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité de l'ONU a mis en place le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie, afin de juger les planificateurs du génocide. Malgré des critiques et la persistance de nombreuses zones d'ombre, à l'instar de l'incapacité du TPIR à mettre au jour l'existence ou non d'un plan systématique d'extermination des Tutsis, le tribunal a pu condamner de nombreux hauts responsables : comme le premier ministre de l'époque Jean Kambanda, condamné à la prison à vie. Le mandat du TPIR a été étendu jusqu'à fin 2012, afin d'examiner les derniers cas en instance.

JURIDICTIONS POPULAIRES POUR DÉSENGORGER LES PRISONS


Mais la pierre angulaire de ce système repose sur les juridictions populaires, appelées Gacaca, et traditionnellement dévolues au contentieux de droit civil. Un système original privilégié par les autorités afin de désengorger les prisons, où s'entassaient les auteurs présumés du génocide, ainsi que pour "favoriser un sentiment de justice et de réconciliation", commente Valérie Rozoux. Les aveux des accusés y sont lus devant la communauté locale, composée des rescapés et des familles de victimes, et débattus, souvent sur les lieux-mêmes du crime. La communauté, assistée des juges élus en son seing, décide ainsi du sort des accusés. Ce système, mis en place dès 2001, a permis de juger la majeure partie des exécutants du génocide, ainsi que des cas de pillage, soit, à ce jour, plus d'un million et demi de dossiers, selon les derniers chiffres communiqués par les autorités rwandaises.

Ce système, basé sur la recherche de la vérité et du pardon, a été rendu possible par l'instauration de libérations conditionnées au passage aux aveux, ayant abouti à 50 000 libérations en 2003 et 2005, selon Hélène Dumas. Après leur libération, les prisonniers se trouvaient pris en charge au sein des camps Ingando, des camps de solidarité destinés à favoriser leur réintégration dans le "nouveau Rwanda". L'idée de la Commission nationale pour l'unité et la réconciliation, instigatrice du projet, est "de transformer progressivement ces camps en une sorte de service civique obligatoire qui, d'ici à cinq ans, s'imposerait à l'ensemble de la population", précise Emmanuel Klimis. Un projet qui laisse sceptique le politologue. "Les gens font semblant de répéter ce qu'on leur dit, mais ils n'y croient pas une seconde. Il n'y a pas pas d'effet général sur le développement d'un sens civique national."




Des réfugiés fuyant Kigali, le 11 mai 1994.AFP/GERARD JULIEN

LES LIMITES D'UN SYSTÈME

"Le système des Gacaca a été considéré comme un moyen de réconcilier la population rwandaise, sauf que c'était un argument essentiellement politique. Il était un peu naïf de croire qu'en mettant les gens ensemble pour parler du génocide, cela apaiserait les choses. Au contraire, cela a créé de grandes tensions au sein des communautés", commente Hélène Dumas. Pourtant, il n'y a jamais eu de levée de boucliers contre ce système et l'optimisme était même de mise lors de leur mise en place en 2005, car "la population y a vu une façon de connaître la vérité et de retrouver les corps", poursuit-elle.

Mais les limites du système sont rapidement apparues. Ces juridictions ont vu leur mandat circonscrit aux crimes commis jusqu'en décembre 1994, ce qui a de facto exclu les crimes commis par la suite par l'Armée patriotique du Rwanda, le bras armé du FPR. "Avec l'exclusion d'une partie de la population de ce cadre judiciaire, il est difficile de parler d'un système permettant de favoriser une réconciliation. C'est là où le bât blesse en termes de rapprochement des communautés", analyse Valérie Rozoux. Par ailleurs, ce système a été considéré insuffisant par une partie de la population, qui a estimé que certains accusés avaient été libérés trop rapidement. Emmanuel Klimis pointe une autre dérive de ce système, qui a été aisément instrumentalisé pour régler des contentieux fonciers. "Il y a un enjeu important sur l'occupation de l'espace dans ce territoire petit et surpeuplé, qui a vu un retour massif de réfugiés au moment de la pacification du pays", note-t-il. Certaines personnes y vont vu un moyen de s'accaparer des terres.

Des critiques qui doivent toutefois être nuancées. "Après des crimes d'une telle ampleur, tout ce qui allait être mis en place allait prêter le flanc à la critique", indique Valérie Rozoux. "Sans les Gacaca, il n'y aurait pas eu moyen de rendre justice au vu des conditions matérielles et de l'état de l'appareil judiciaire au Rwanda après 1994", précise-t-elle. Ainsi, si le travail au sein de ces tribunaux n'a pas été suffisant pour parler de réconciliation à l'échelle du pays, les Gacaca ont tout de même permis une "avancée, en espérant que ce ne soit pas une bombe à retardement en termes de frustration", conclut Valérie Rozoux.

TOURNER LA PAGE

Le travail judiciaire au sein des juridictions Gacaca devrait être achevé d'ici à décembre 2011 et donner lieu à la publication d'un rapport. "Ce sera un jalon important dans le processus de justice qui a lieu au Rwanda", estime Hélène Dumas. "Du point de vue officiel, la fin du processus judiciaire est le signe qu'une page se tourne", indique-t-elle. Pourtant, les spécialistes restent sceptiques sur le succès de ce processus imposé par le pouvoir. "Les résultats sont visibles de l'extérieur, mais quand on gratte un peu, on n'a pas du tout un sentiment général de réconciliation", estime Emmanuel Klimis.

"La mise au jour de ce qui s'est passé a été douloureuse. Il était naïf de croire que tout le monde allait se tomber dans les bras", commente Hélène Dumas. Mais, "les gens vivent ensemble, poursuit-elle, c'est une des spécificités du Rwanda : bourreaux et victimes cohabitent, sur la même colline, dans le même village, dans la même rue". "Il est difficile de savoir dans quelle mesure certaines démarches sont naturelles", interroge Valérie Rozoux. "Il y avait un impératif de pardon pour les victimes et les survivants qu'ont intimé, à un certain moment, les autorités officielles. Ce que cela va donner à long terme laisse assez sceptique", poursuit-elle, insistant sur l'"attitude pragmatique [de la population]" : "parce qu'on n'a pas le choix". "Parce qu'il faut bien vivre, de fait, une réconciliation s'est mise en place", renchérit Emmanuel Klimis. Cette abnégation se fait, selon lui, au prix de nombreuses souffrances. Dans la diaspora, ajoute-t-il, où l'impératif du pardon s'exerce moins, on est très loin de ce discours de tolérance et de pardon.

La question demeure, estime Valérie Rozoux, de savoir si "ont été semées les graines qui vont permettre une coexistence favorable ou assez rapide ou si cela signifie seulement que l'antagonisme est gelé, suspendu jusqu'à un vide de pouvoir ?" Quoi qu'il en soit, "la question de la réconciliation ne se compte pas en années, mais en générations", analyse Valérie Rozoux. "1994, ça semble loin, mais sur l'échelle de l'histoire, c'est vraiment très court pour exiger des survivants beaucoup et espérer que ceux qui les entourent puissent aller de l'avant." Il faudra, pour cela, que le Rwanda réussisse à écrire une version consensuelle de l'histoire du génocide. Depuis 1994, tous les enseignements d'histoire ont été suspendus, à défaut d'être parvenus à ce consensus.


Hélène Sallon
LEMONDE.FR | 13.09.11 | 16h42

Dix-sept ans de relations tumultueuses entre la France et le Rwanda

Les relations entre Paris et Kigali se sont tendues après le génocide rwandais, jusqu'au rapprochement initié par Nicolas Sarkozy. Retour sur dix-sept années tumultueuses.

6 avril 1994 : l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana est abattu. Dans les cent jours suivants, quelque 800 000 Tutsis sont tués.


15 décembre 1998 : la mission parlementaire française conclut que la France "n'a, en aucune manière, incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide".

22 novembre 2006 : le juge Bruguière met en cause le président Paul Kagamé dans l'attentat contre l'avion de M. Habyarimana et émet neuf mandats d'arrêt contre des dirigeants rwandais. Le 24, le Rwanda rompt ses relations avec la France.

Eté 2007 : Des archives officielles transmises au tribunal aux armées montrent qu'au cours des années de guerre qui ont précédé le génocide, l'Elysée a soutenu le régime de Kigali, malgré les signaux présageant des massacres à venir.

8 décembre 2007 : Nicolas Sarkozy rencontre Paul Kagamé et évoque un "début de normalisation".

26 janvier 2008 : à Kigali, Bernard Kouchner admet la "faute politique" de la France.

5 août 2008 : un rapport rwandais accuse la France d'avoir "participé à l'exécution" du génocide.

29 novembre 2009 : la France et le Rwanda rétablissent leurs relations diplomatiques.

25 février 2010 : premier président français en visite à Kigali depuis 1994, Nicolas Sarkozy reconnaît de "graves erreurs d'appréciation, une forme d'aveuglement (...), des erreurs politiques" de la France lors du génocide rwandais.

11-13 septembre 2011 : première visite d'Etat du président rwandais Paul Kagamé en France.

Pour retrouver une sélection d'archives du Monde sur ces dates-clés, consultez notre thématique France/Rwanda, des relations minées par le génocide en Edition abonnés.

Source: LEMONDE.FR, du 13.09.11 |

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