Thursday, June 21, 2012

RDC: OPINION DU Prof. Kalele Kabila

Dans un entretien avec Le Potentiel, le professeur Lalele a donné son point de vue sur la guerre dans l'Est de la RD Congo, dans laquelle il souligne l'implication du Rwanda. Pour lui, ce pays est en train de créer une colonie de peuplement en menant cette conquête coloniale.

Ci-dessous l'intégralité de l'entretien avec Freddy Mulumba.

La République démocratique du Congo passe des moments difficiles, notamment la guerre qu’elle connaît dans sa partie orientale, dans la province du Nord-Kivu. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Après avoir examiné attentivement cette situation, je suis arrivé à la conclusion selon laquelle ce qui se passe dans l’Est du pays, c’est une conquête coloniale à partir du Rwanda. Et lorsqu’on décrypte cette guerre, elle a toutes les caractéristiques d’une conquête coloniale. Dans celle-ci, on poursuit l’exploitation des minerais, des richesses du sol et du sous-sol. Dans une conquête coloniale, on élimine tous les autochtones qui montrent des velléités de résistance. Vous l’avez vu en Amérique du Sud avec Christophe Colomb, Fernand Cortez : c’est tuer tous ceux qui résistent. Vous l’avez vu avec Léopold II : ici, c’est le sang sur les lianes au caoutchouc rouge, on élimine. Dans une conquête coloniale, on exproprie pour s’approprier. On connaît la phrase célèbre de Christophe Colomb qui dit devant les notabilités : «Messieurs, écoutez-moi très bien. A partir d’aujourd’hui, ce territoire fait partie du royaume d’Espagne. Cela ne vous appartient plus». Et il poursuit : «Ces gens ne sont pas exercés au maniement des armes. Avec cinquante personnes, on peut leur faire faire tout ce que l’on veut». C’est qui se passe dans l’Est du pays. On tue, on déplace les populations congolaises pour installer les Rwandais. Conformément également à ce qu’on a vécu en Afrique du Sud, toutes les bonnes terres et les bonnes eaux appartiennent aux Blancs.

Dans une conquête coloniale, on recycle les gens qui viennent s’installer. Autant, il y a eu l’école d’Anvers, l’école coloniale, pour recycler les jeunes Belges qu’on envoyait ici pour voir comment ils devaient se comporter vis-à-vis du Noir pour l’intimider, autant le Rwanda a institué à l’île de Iwawa un centre de recyclage des Rwandais qui partent de leur pays. On vient leur apprendre le comportement qu’ils doivent adopter vis-à-vis des Congolais. Et le Congo n’est pas n’importe quelle colonie. Il est celle de peuplement. Comme on a installé des colons dans l’ancien Kivu. Toutes les caractéristiques d’une conquête coloniale sont présentes dans ce que nous vivons dans l’Est de la République.

Si vous relisez les explorations, tous les Blancs qui étaient venus ici pour exploiter, c’étaient des militaires reconnus pour leur méchanceté, leur cruauté, à partir de lui-même Stanley. Il était un mercenaire anglais qui s’était fait illustrer dans la guerre de sécession aux Etats-Unis avec sa cruauté. Ici, vous avez vu comment se sont comportés tous ceux qu’on a envoyés, des gens comme les James Kabarebe, comment ils ont maltraité nos militaires à la base militaire de Kitona. Vous avez vu comment les Ruberwa avec le Mouvement congolais pour la démocratie (RCD) ont enterré des femmes vivantes à Makobola, Kasika, Mwenga. C’est cela l’histoire. Après il y a eu Nkundabatware, Mutebusi et Bosco Ntanganda qui sont tous des tueurs professionnels.

Certaines voix s’élèvent pour dénoncer ce qu’on appelle la balkanisation. Va-t-on balkaniser un pays où il n’y a pas de gens ?

Non. C’est-à-dire qu’il y a deux hypothèses. Au cas où on n’arrivait pas à redompter complètement le pays, on s’empare au moins d’un morceau ou de deux. Nous avons déjà vécu l’expérience à travers le monde, notamment le cas de la Corée du Nord et de la Corée du Sud. Pour le Vietnam du Nord et le Vietnam du Sud, on n’a pas réussi. Ici, à l’accession du pays à l’indépendance, ils ont voulu s’emparer de ce qu’ils appelaient le Katanga utile, le Sud du Katanga à cause de ses minerais. Il y a eu aussi le Sud-Kasaï à cause du diamant. Comme calcul : priver le gouvernement central, avec Lumumba en tête, de moyens financiers pour fonctionner. Dès que Lumumba a été éliminé, vous avez vu que les deux sécessions se sont résorbées pratiquement d’elles-mêmes.

Si on prend le Kivu, qui est aujourd’hui, de loin plus riche que le Sud-Katanga, Mbuji-Mayi étant déjà en faillite avec la Minière de Bakwanga (Miba), vous n’allez pas tourner à Kinshasa. Et si vous ne tournez pas à Kinshasa, c’est l’asphyxie.

Par ailleurs, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) est le parti de Nkundabatware. Et à un moment donné, le CNDP avait les ambitions de descendre jusqu’à Kinshasa. Donc, la balkanisation est une variante. Si on n’arrive pas à prendre la femme du pays, on prend au moins le coin le plus intéressant économiquement. C’est pour cela d’ailleurs que le mouvement continue au Katanga.

On parle aujourd’hui du Congo Oriental qui part du Katanga jusqu’en Ituri. Donc, si l’on voit bien, avec la balkanisation, on prendra le Congo utile…

Voyez comment évoluent les mouvements de ce qu’ils appellent les milices? Ce n’est pas le Nord-Katanga, mais le Sud-Katanga avec Pweto, Kilwa … où se trouvent les gisements de cuivre et de cobalt. Cela va continuer dans l’axe de Kalemie. Et c’est plus facile de relier avec l’Ituri, une partie de la Province Orientale convoitée plus par l’Ouganda à cause du pétrole, de l’or, du diamant et du bois d’œuvre. Ce n’est pas toute la Province Orientale qui intéresse mais c’est l’Ituri qui venait d’ailleurs de dénoncer l’expiration de la date pour la création des provinces et qui y revient aujourd’hui.

Or, on sait que la nappe de pétrole de l’Ituri est ce qu’on appelle le pétrole bleu, le plus riche qu’on a en Afghanistan et à Pointe Noire, au Congo-Brazzaville. Cette nappe est à cheval entre le Congo et l’Ouganda. Son exploitation en Ouganda est plus coûteuse. C’est ainsi qu’ils ont décidé d’exploiter ce pétrole bleu en Ituri pour le raffiner en Ouganda. La guerre est essentiellement économique.

C’est quand même curieux qu’on tienne à Kinshasa un certain discours provenant du monde occidental selon lequel le Congo étant très grand et très riche, il faut le diviser parce que les Congolais ne savent pas le gérer. Aussi se pose-t-on la question de savoir pourquoi la Chine ne tient-elle pas le même discours ?

D’abord, c’est un discours opportuniste. La Belgique, malgré ses petites dimensions géographiques, a dirigé ce pays dans son entièreté. Elle s’est opposée à son découpage. C’était un Congo uni. On avait procédé à des permutations des territoriaux. Quelqu’un de la province du Bas-Congo pouvait aller travailler à Mbuji-Mayi sans qu’il ne soit pris pour un étranger. Cela a marché. Mais ici, c’est diviser pour régner. Faut-il entrer là-dedans. Nous pensons que non parce que l’évolution mondiale des pays, c'est de constituer de grands ensembles. Nous avons, par exemple, les Etats-Unis d’Amérique et l’Union européenne. Mais ici, on vous dit que si vous voulez avancer très bien, il faut qu’on découpe. Non. Il y a une part de vérité là-dedans, c’est-à-dire que nous nous sommes montrés en grande partie incapables de nous gérer correctement. Même là, il faut approfondir la réflexion. Depuis Mobutu, qui a mis nos dirigeants au pouvoir ? Ce sont eux-mêmes qui les installent au pouvoir. Et ils qualifient d’incapables. Ils ont fait tuer tous les dirigeants capables, les Lumumba, Laurent-Désiré Kabila et autres. Ils écartent les gens capables pour nous donner les incapables pour dire après que ce sont des politiciens boiteux comme des entreprises boiteuses, c’est-à-dire des coupons.

Tout le monde se plaint. Que faut-il faire pour éviter cette guerre coloniale et cette balkanisation ?

C’est justement le travail que le Groupe Le Potentiel est en train de faire. Il faut conscientiser. Il faut sensibiliser. Il faut aider le Congolais à récupérer la confiance en lui-même. Parce que pour ce que nous sommes en train de vivre, beaucoup de Congolais se croient battus d’avance en se disant que nous devons subir parce que les autres sont plus forts. L’histoire nous apprend très clairement beaucoup de choses. Qui pouvait croire que la Belgique pouvait, un jour, quitter ce pays ? Les Belges ont fini par le faire. Relisez la guerre du Vietnam de manière méditative. Quand les Vietnamiens ont commencé, on leur disait qu'ils menaient la guerre des sauterelles contre les éléphants. Mais vous verrez qu’un jour, les sauterelles vont battre les éléphants. Souvenez-vous de l’histoire de David et Goliath. Si les gens sont convaincus qu'ils peuvent, un jour, vaincre, ce serait formidable. Alors on pourrait s'inspirer de la grande guerre du Vietnam. Ce n’est pas l’arme, mais c’est l’homme qui décide de l’issue d'une guerre. Nous avons perdu notre confiance. Il nous faut nous réarmer moralement.




Source: Le Potentiel, du 21/06/2012

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