Le désenchantement actuel au Congo était prévisible. Mais le peuple et surtout ses élites ne l’ont pas vu venir, car la soif de liberté et de démocratie était si intense qu’elle aveuglait. Certes, la grande désillusion est accentuée par le fait que le vainqueur de l’élection présidentielle de 2006 est un imposteur. Mais un regard autour du Congo démontre aisément que l’autocratie serait au bout du tunnel même si un authentique fils du pays en était le commandant suprême. L’échec est si cuisant qu’on ne sait plus à quel saint se vouer. Confronté au défi de la mise en place d’un appareillage politique dans lequel les contre-pouvoirs fonctionneraient, Jo Bongos, un lecteur de CIC qu’on ne présente plus, se pose des questions qui, si l’on ne prend garde, risquent de nous entrainer une fois de plus dans la loi du moindre effort : la recherche des boucs émissaires. «Comment mène-t-on un tel combat, en Afrique, dans le contexte historique actuel de mondialisation où les intérêts de la finance internationale priment sur ceux des peuples ? Pour le cas de la RDC, comment mène-t-on un tel combat quand ce pays est entièrement sous contrôle militaire et politique d’un autre pays voisin, le Rwanda? Comment mène-t-on ce combat quand les potentiels acteurs du changement entrent gaiement dans la danse de la corruption et de la jouissance des privilèges matériels éphémères?».
Ces questions nous renvoient à tous nos rendez-vous manqués avec l’Histoire. Qu’on se souvienne qu’à la veille de l’indépendance, un seul parti politique congolais avait entamé une réflexion sur comment construire la démocratie en tenant compte de la spécificité de notre tissu social. Ce fut l’Abako. Kasa-Vubu et les siens voulaient que nos différentes entités ethnico-régionales forment autant de partis politiques dont les grands acteurs se retrouveraient au sommet de l’Etat pour le gérer ensemble. Malheureusement, la nation s’est fourvoyée dans une querelle byzantine entre fédéralistes et unitaristes. Conséquence, le peuple s’est lancé dans la voie de la démocratie partisane et conflictuelle. Le Congo ne s’était pas singularisé dans ce domaine. Tous les Etats postcoloniaux d’Afrique avaient commis la même erreur qui les avait ramenés au point de départ, c’est-à-dire le despotisme animé non plus par les ex-colonisateurs mais par les Africains eux-mêmes assistés de l’extérieur.
Quand dans son immense hypocrisie l’Occident profita de la fin de la guerre froide pour enfin laisser libre cours à la soif des Africains pour la liberté et la démocratie, il ne leur dicta pas comment ils devraient s’y prendre : « Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure. Voilà le schéma dont nous disposons. A vous de déterminer, vous peuples libres, vous Etats souverains que je respecte, à vous de choisir votre voie, d’en déterminer les étapes et l’allure ». Ainsi parla (Dieu) François Mitterrand au sommet de La Baule le 20 juin 1990.
Les pays africains étaient totalement libres de déterminer leur(s) voie(s). Quelle fut la situation du Congo à l’époque ? Quand ils réfléchissaient posément sur le devenir du pays dans la clandestinité, les pères fondateurs de l’UDPS avaient déjà trouvé une voie qu’ils n’avaient hélas pas suffisamment balisée : le communautarisme. Celui-ci se trouvait dans la droite ligne de la vision démocratique de l’Abako. Que s’est-il passé après? Le 24 avril 1990, Mobutu prononça le discours d’envoi du deuxième processus de démocratisation du pays en lançant celui-ci sur la même voie suivie à la veille de l’indépendance : la démocratie partisane et conflictuelle. Voyant que le contexte lui était favorable, l’UDPS abandonna son idéologie fondatrice pour se complaire également dans le mimétisme. Mobutu et Tshisekedi avaient-ils réfléchi en entrainant le peuple dans cette voie? Oui. En décidant de «tenter de nouveau l’expérience du pluralisme politique […] en optant pour un système de trois partis politiques, en ce compris le Mouvement Populaire de la Révolution, avec à la base le principe de la liberté pour chaque citoyen d’adhérer à la formation politique de son choix », Mobutu n’avait pas manqué de s’inspirer de l’expérience désastreuse du multipartisme de la Première République, de 1960 à 1965. Aussi avait-il mis l’accent sur le fait qu’on devrait surtout éviter que ce système de gouvernement ne devienne synonyme de «multitribalisme». Pour y parvenir, il comptait sans doute tant sur la limitation du pluralisme à trois que sur ce qu’il avait appelé «le sens élevé du nationalisme» et «la maturité politique» de son peuple. Tshisekedi lui répondait en écho, affirmant à qui voulait l’entendre que ce peuple avait dépassé le stade du tribalisme. Les deux leaders s’étaient lourdement trompés.
Ayons recours à une image pour expliquer cette erreur monumentale. Supposons que la ville de Kinshasa symbolise le despotisme colonial et l’océan Atlantique au large de Moanda, l’Etat de droit auquel nous aspirons. A la veille de l’indépendance, nous avions décidé de quitter Kinshasa pour atteindre l’océan. Nous savions tous que les Blancs avaient déjà effectué un tel voyage et qu’ils avaient navigué sur le fleuve Congo qui, dans cette illustration, symbolise la démocratie partisane et conflictuelle. Conscients de notre spécificité, les leaders de l’Abako avaient estimé que la voie fluviale était dangereuse. Aussi avaient-ils suggéré une alternative. Mais le reste de la classe politique ne voyait aucun danger à l’horizon. Le peuple avait alors emprunté la voie fluviale et s’était cassé les dents dès les premières rapides. Notons que se casser les dents renvoie ici à notre calvaire de 1960 à 1965. Loin d’atteindre l’océan, symbole de l’Etat de droit, le peuple s’était retrouvé à la case départ, c’est-à-dire à Kinshasa, symbole du despotisme. Dans les années 90, avant que le coup d’envoi du deuxième processus de démocratisation ne soit donné, les pères fondateurs de l’UDPS avaient déjà identifié une voie alternative. C’était celle-là même jadis indiquée par l’Abako et qui, une fois de plus, n’était pas très bien balisée. Mais aussitôt que le coup d’envoi fut donné et que Mobutu indiqua la même voie qu’à la veille de l’indépendance, en se disant que cette fois-ci le peuple avait grandi et rien de fâcheux ne lui arriverait, l’UDPS, qui avait la même lecture de la situation, lui emboîta le pas et plongea dans le fleuve. Et l’histoire se répéta. Plus dramatiquement que dans les années 60. Faut-il souligner que pour voyager de Kinshasa à l’océan Atlantique au large de Moanda, plusieurs chemins sont possibles?
Un proverbe philosophique des Bambala, dans la province de Bandundu, dit :
«Mbuga todu, giyungu a mesu». Entendez : «Dans un chemin boueux, il faut laisser passer l’idiot devant». De cette manière, aussitôt que l’idiot s’embourbe, l’homme sage, lui, sait où ne pas passer. Combien d’iyungu (pluriel de giyungu) s’étaient déjà embourbés quand les Congolais persistaient et continuent à persister à vouloir atteindre l’océan par le fleuve au lieu de tirer des leçons de premières tentatives désastreuses en explorant d’autres pistes ? Faut-il citer les noms de tous les pays africains qui déchantaient déjà après les élections pendant que les Congolais fonçaient têtes baissées vers le même travers ? Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué pour marquer le pas et se ressaisir. Il y a eu l’interminable période de transition sous Mobutu. Il y a eu l’arrivée au pouvoir du vulgaire trafiquant d’or Laurent-Désiré Kabila. Il y a eu la grande surprise, « chance eloko pamba », de l’ascension de « Joseph Kabila ». Il y a eu Sun City. Il y a eu la nouvelle période de transition sous la formule 1+4. Et surtout, il y a le désenchantement actuel.
«Errare humanum est, perseverare diabolicum». Traduisez : «Il est humain de se tromper ; persévérer [dans l’erreur] est diabolique». Ce proverbe philosophique latin, qui cherche à atténuer une faute, une erreur ou une chute morale, a une signification claire : nous sommes des êtres humains, et nous ne pouvons pas nous empêcher totalement de commettre des erreurs. Cependant, cela ne doit pas servir à excuser la négligence, mais plutôt inviter à apprendre par l’expérience afin de réduire le nombre d’erreurs commises. On peut excuser Mobutu et Tshisekedi ainsi que le reste de la classe politique congolaise d’avoir entrainé le peuple dans une mauvaise voie dès le 24 avril 1990. Mais il est difficile de comprendre l’entêtement à suivre à tout prix une voie qui a par deux fois démontré sa dangerosité non seulement au Congo mais presque partout en Afrique. Jusqu’à quand serons-nous incapables d’apprendre de nos expériences démocratiques tragiques? Devons-nous attendre que les Blancs viennent réfléchir à notre place ?
«Le contexte historique actuel de mondialisation, où les intérêts de la finance internationale priment sur ceux des peuples», ne nous empêche nullement de réfléchir enfin sur la démocratie. Par ailleurs, les intérêts de la haute finance internationale priment avant tout sur les peuples des démocraties établies d’Occident où les contre-pouvoirs demeurent effectifs dans une large mesure. S’agissant de la situation actuelle du Congo, pays occupé par une armée étrangère avec la complicité avérée d’un président démocratiquement «élu», il convient de souligner d’abord qu’il serait aisé de mettre cette complicité hors d’état de nuire si les institutions étatiques étaient dotées de contre-pouvoirs réels. Ensuite, aussi dramatique soit-elle, notre situation n’interdit pas d’entamer la réflexion primordiale qui n’a jamais eu lieu. Quant aux acteurs potentiels du changement aujourd’hui entrés « gaiement dans la danse de la corruption et de la jouissance des privilèges matériels éphémères », ils danseraient moins si les contre-pouvoirs existaient, car ce sont les contre-pouvoirs de façade qui facilitent leur danse.
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Honoré N’gbanda a eu le mérite de souligner avec des mots justes le mauvais départ pris par la nation dans sa quête légitime d’un Etat de droit : «Au lieu de saisir l’opportunité de la transition pour penser et asseoir les bases de l’avenir du pays tout entier, maints acteurs et diplomates ont concentré toutes leurs énergies à régler le sort d’un seul homme. Pour ou contre Mobutu : ce bipolarisme forcé a eu raison de tous. Mobutu était le point de repère de toute la transition. Chaque parti politique élaborait son programme en fonction de lui pour atteindre ses objectifs. Le pays et son peuple ne préoccupaient personne. Le calcul pour avoir le pouvoir était le seul objectif. Et pour y parvenir, il fallait soit s’attaquer à Mobutu, soit s’allier à lui » (N’gbanda, N., La Transition au Zaïre. Le long tunnel, Kinshasa, Noraf, 1995). Toute l’aporie de notre marche vers la démocratie est énoncée ci-dessus. Qu’on ne cherche donc pas des boucs émissaires. Et qu’on n’évoque surtout pas comme excuse le rapport des forces défavorable vis-à-vis des dictateurs africains ou puissances occidentales. Pendant toutes les opportunités qui se sont offertes aux Congolais et autres Africains, aucun peuple n’a été obligé d’une manière ou d’une autre de s’engager dans la mauvaise voie de la démocratie partisane et conflictuelle. La faute du désenchantement généralisé incombe aux seuls Congolais et Africains, incapables qu’ils sont d’amorcer une réflexion sur leurs propres égarements afin d’en tirer une lumière. En Afrique, tout combat pour la démocratie doit commencer par la remise en cause du modèle occidental et l’exploration d’autres pistes.
Ces questions nous renvoient à tous nos rendez-vous manqués avec l’Histoire. Qu’on se souvienne qu’à la veille de l’indépendance, un seul parti politique congolais avait entamé une réflexion sur comment construire la démocratie en tenant compte de la spécificité de notre tissu social. Ce fut l’Abako. Kasa-Vubu et les siens voulaient que nos différentes entités ethnico-régionales forment autant de partis politiques dont les grands acteurs se retrouveraient au sommet de l’Etat pour le gérer ensemble. Malheureusement, la nation s’est fourvoyée dans une querelle byzantine entre fédéralistes et unitaristes. Conséquence, le peuple s’est lancé dans la voie de la démocratie partisane et conflictuelle. Le Congo ne s’était pas singularisé dans ce domaine. Tous les Etats postcoloniaux d’Afrique avaient commis la même erreur qui les avait ramenés au point de départ, c’est-à-dire le despotisme animé non plus par les ex-colonisateurs mais par les Africains eux-mêmes assistés de l’extérieur.
Quand dans son immense hypocrisie l’Occident profita de la fin de la guerre froide pour enfin laisser libre cours à la soif des Africains pour la liberté et la démocratie, il ne leur dicta pas comment ils devraient s’y prendre : « Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure. Voilà le schéma dont nous disposons. A vous de déterminer, vous peuples libres, vous Etats souverains que je respecte, à vous de choisir votre voie, d’en déterminer les étapes et l’allure ». Ainsi parla (Dieu) François Mitterrand au sommet de La Baule le 20 juin 1990.
Les pays africains étaient totalement libres de déterminer leur(s) voie(s). Quelle fut la situation du Congo à l’époque ? Quand ils réfléchissaient posément sur le devenir du pays dans la clandestinité, les pères fondateurs de l’UDPS avaient déjà trouvé une voie qu’ils n’avaient hélas pas suffisamment balisée : le communautarisme. Celui-ci se trouvait dans la droite ligne de la vision démocratique de l’Abako. Que s’est-il passé après? Le 24 avril 1990, Mobutu prononça le discours d’envoi du deuxième processus de démocratisation du pays en lançant celui-ci sur la même voie suivie à la veille de l’indépendance : la démocratie partisane et conflictuelle. Voyant que le contexte lui était favorable, l’UDPS abandonna son idéologie fondatrice pour se complaire également dans le mimétisme. Mobutu et Tshisekedi avaient-ils réfléchi en entrainant le peuple dans cette voie? Oui. En décidant de «tenter de nouveau l’expérience du pluralisme politique […] en optant pour un système de trois partis politiques, en ce compris le Mouvement Populaire de la Révolution, avec à la base le principe de la liberté pour chaque citoyen d’adhérer à la formation politique de son choix », Mobutu n’avait pas manqué de s’inspirer de l’expérience désastreuse du multipartisme de la Première République, de 1960 à 1965. Aussi avait-il mis l’accent sur le fait qu’on devrait surtout éviter que ce système de gouvernement ne devienne synonyme de «multitribalisme». Pour y parvenir, il comptait sans doute tant sur la limitation du pluralisme à trois que sur ce qu’il avait appelé «le sens élevé du nationalisme» et «la maturité politique» de son peuple. Tshisekedi lui répondait en écho, affirmant à qui voulait l’entendre que ce peuple avait dépassé le stade du tribalisme. Les deux leaders s’étaient lourdement trompés.
Ayons recours à une image pour expliquer cette erreur monumentale. Supposons que la ville de Kinshasa symbolise le despotisme colonial et l’océan Atlantique au large de Moanda, l’Etat de droit auquel nous aspirons. A la veille de l’indépendance, nous avions décidé de quitter Kinshasa pour atteindre l’océan. Nous savions tous que les Blancs avaient déjà effectué un tel voyage et qu’ils avaient navigué sur le fleuve Congo qui, dans cette illustration, symbolise la démocratie partisane et conflictuelle. Conscients de notre spécificité, les leaders de l’Abako avaient estimé que la voie fluviale était dangereuse. Aussi avaient-ils suggéré une alternative. Mais le reste de la classe politique ne voyait aucun danger à l’horizon. Le peuple avait alors emprunté la voie fluviale et s’était cassé les dents dès les premières rapides. Notons que se casser les dents renvoie ici à notre calvaire de 1960 à 1965. Loin d’atteindre l’océan, symbole de l’Etat de droit, le peuple s’était retrouvé à la case départ, c’est-à-dire à Kinshasa, symbole du despotisme. Dans les années 90, avant que le coup d’envoi du deuxième processus de démocratisation ne soit donné, les pères fondateurs de l’UDPS avaient déjà identifié une voie alternative. C’était celle-là même jadis indiquée par l’Abako et qui, une fois de plus, n’était pas très bien balisée. Mais aussitôt que le coup d’envoi fut donné et que Mobutu indiqua la même voie qu’à la veille de l’indépendance, en se disant que cette fois-ci le peuple avait grandi et rien de fâcheux ne lui arriverait, l’UDPS, qui avait la même lecture de la situation, lui emboîta le pas et plongea dans le fleuve. Et l’histoire se répéta. Plus dramatiquement que dans les années 60. Faut-il souligner que pour voyager de Kinshasa à l’océan Atlantique au large de Moanda, plusieurs chemins sont possibles?
Un proverbe philosophique des Bambala, dans la province de Bandundu, dit :
«Mbuga todu, giyungu a mesu». Entendez : «Dans un chemin boueux, il faut laisser passer l’idiot devant». De cette manière, aussitôt que l’idiot s’embourbe, l’homme sage, lui, sait où ne pas passer. Combien d’iyungu (pluriel de giyungu) s’étaient déjà embourbés quand les Congolais persistaient et continuent à persister à vouloir atteindre l’océan par le fleuve au lieu de tirer des leçons de premières tentatives désastreuses en explorant d’autres pistes ? Faut-il citer les noms de tous les pays africains qui déchantaient déjà après les élections pendant que les Congolais fonçaient têtes baissées vers le même travers ? Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué pour marquer le pas et se ressaisir. Il y a eu l’interminable période de transition sous Mobutu. Il y a eu l’arrivée au pouvoir du vulgaire trafiquant d’or Laurent-Désiré Kabila. Il y a eu la grande surprise, « chance eloko pamba », de l’ascension de « Joseph Kabila ». Il y a eu Sun City. Il y a eu la nouvelle période de transition sous la formule 1+4. Et surtout, il y a le désenchantement actuel.
«Errare humanum est, perseverare diabolicum». Traduisez : «Il est humain de se tromper ; persévérer [dans l’erreur] est diabolique». Ce proverbe philosophique latin, qui cherche à atténuer une faute, une erreur ou une chute morale, a une signification claire : nous sommes des êtres humains, et nous ne pouvons pas nous empêcher totalement de commettre des erreurs. Cependant, cela ne doit pas servir à excuser la négligence, mais plutôt inviter à apprendre par l’expérience afin de réduire le nombre d’erreurs commises. On peut excuser Mobutu et Tshisekedi ainsi que le reste de la classe politique congolaise d’avoir entrainé le peuple dans une mauvaise voie dès le 24 avril 1990. Mais il est difficile de comprendre l’entêtement à suivre à tout prix une voie qui a par deux fois démontré sa dangerosité non seulement au Congo mais presque partout en Afrique. Jusqu’à quand serons-nous incapables d’apprendre de nos expériences démocratiques tragiques? Devons-nous attendre que les Blancs viennent réfléchir à notre place ?
«Le contexte historique actuel de mondialisation, où les intérêts de la finance internationale priment sur ceux des peuples», ne nous empêche nullement de réfléchir enfin sur la démocratie. Par ailleurs, les intérêts de la haute finance internationale priment avant tout sur les peuples des démocraties établies d’Occident où les contre-pouvoirs demeurent effectifs dans une large mesure. S’agissant de la situation actuelle du Congo, pays occupé par une armée étrangère avec la complicité avérée d’un président démocratiquement «élu», il convient de souligner d’abord qu’il serait aisé de mettre cette complicité hors d’état de nuire si les institutions étatiques étaient dotées de contre-pouvoirs réels. Ensuite, aussi dramatique soit-elle, notre situation n’interdit pas d’entamer la réflexion primordiale qui n’a jamais eu lieu. Quant aux acteurs potentiels du changement aujourd’hui entrés « gaiement dans la danse de la corruption et de la jouissance des privilèges matériels éphémères », ils danseraient moins si les contre-pouvoirs existaient, car ce sont les contre-pouvoirs de façade qui facilitent leur danse.
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Honoré N’gbanda a eu le mérite de souligner avec des mots justes le mauvais départ pris par la nation dans sa quête légitime d’un Etat de droit : «Au lieu de saisir l’opportunité de la transition pour penser et asseoir les bases de l’avenir du pays tout entier, maints acteurs et diplomates ont concentré toutes leurs énergies à régler le sort d’un seul homme. Pour ou contre Mobutu : ce bipolarisme forcé a eu raison de tous. Mobutu était le point de repère de toute la transition. Chaque parti politique élaborait son programme en fonction de lui pour atteindre ses objectifs. Le pays et son peuple ne préoccupaient personne. Le calcul pour avoir le pouvoir était le seul objectif. Et pour y parvenir, il fallait soit s’attaquer à Mobutu, soit s’allier à lui » (N’gbanda, N., La Transition au Zaïre. Le long tunnel, Kinshasa, Noraf, 1995). Toute l’aporie de notre marche vers la démocratie est énoncée ci-dessus. Qu’on ne cherche donc pas des boucs émissaires. Et qu’on n’évoque surtout pas comme excuse le rapport des forces défavorable vis-à-vis des dictateurs africains ou puissances occidentales. Pendant toutes les opportunités qui se sont offertes aux Congolais et autres Africains, aucun peuple n’a été obligé d’une manière ou d’une autre de s’engager dans la mauvaise voie de la démocratie partisane et conflictuelle. La faute du désenchantement généralisé incombe aux seuls Congolais et Africains, incapables qu’ils sont d’amorcer une réflexion sur leurs propres égarements afin d’en tirer une lumière. En Afrique, tout combat pour la démocratie doit commencer par la remise en cause du modèle occidental et l’exploration d’autres pistes.
Author:Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
Source:Congoindépendant 2003-2010, du 23 Octobre 2010
Source:Congoindépendant 2003-2010, du 23 Octobre 2010
No comments:
Post a Comment