BENGHAZI, Libye (AP) — Six mois après la chute de Moammar Kadhafi, le gouvernement de Tripoli s'avère incapable de diriger la Libye, et l'instabilité n'a fait qu'empirer. D'autres pays qui se sont débarrassés de leurs dirigeants dans les révoltes du printemps arabe -l'Egypte, la Tunisie et le Yémen- passent par des périodes de transition difficiles, mais aucun n'a connu un effondrement de l'autorité centrale comme en Libye.
Aujourd'hui, une bonne partie du pouvoir est détenue par les villes, les régions, mais aussi les milices et les tribus.
Après la chute du régime du colonel Kadhafi, les Libyens espéraient que leur pays, qui compte six millions d'habitants, devienne un nouveau Dubaï, avec une population réduite, regorgeant de pétro-dollars et attirant comme un aimant les investissements. Maintenant, ils craignent de connaître une situation similaire à celle de la Somalie, une nation qui n'a pas eu de véritable gouvernement depuis plus de vingt ans.
Si la Libye devrait éviter l'éclatement, elle pourrait en tous cas être condamnée à des années d'instabilité alors qu'elle se remet de quatre décennies de pouvoir de Moammar Khadafi, qui dressait les gens les uns contre les autres, les villes contre les villes, et les tribus contre les tribus. Le ressentiment et l'amertume qu'il a suscités se traduisent aujourd'hui par une anarchie générale.
"Ce que Kadhafi a laissé en Libye depuis 40 ans est un héritage très, très lourd", affirme Mustafa Abdul-Jalil, président du Conseil national de transition (CNT) qui, en théorie, dirige la Libye, mais qui en fait ne parvient même pas à contrôler la capitale, Tripoli. "C'est dur de surmonter ça en un an ou deux, ou même en cinq ans".
Partout, on peut voir des signes de la faiblesse du gouvernement. Tripoli reste sous le contrôle d'ex-révolutionnaires devenus miliciens, qui ont décliné les offres visant à les intégrer dans une armée nationale.
Koufra, situé dans une zone désertique du sud-est du pays, est le théâtre de violents combats entre deux tribus rivales, l'une arabe et l'autre africaine, qui ont fait plusieurs dizaines de morts en deux semaines le mois dernier.
Misrata, la troisième ville du pays, à seulement deux heures de route de la capitale, est gouvernée de manière autonome, avec des milices ignorant les demandes du gouvernement et n'hésitant pas à avoir recours à des méthodes brutales pour se venger de quiconque suspecté d'avoir soutenu le colonel Kadhafi.
Dans un garage de Misrata transformé en prison par des miliciens, un détenu, Abdelkader Abdel-Nabi, a les doigts coupés. Il affirme que des miliciens lui ont fouetté la main avec une cravache jusqu'à ce que ses doigts soient tranchés.
"Ensuite, ils m'ont jeté du haut des escaliers alors que j'avais la main en sang", raconte-t-il. Ceux qui l'interrogeaient voulaient qu'il avoue avoir collaboré avec les forces de Kadhafi pendant la guerre civile, l'an dernier, et contribué aux meurtres de combattants insurgés.
Quelque 800 autres détenus sont incarcérés dans cet endroit, que l'Associated Press a été autorisée à visiter. Les prisonniers sont accusés d'être impliqués dans des tueries, tortures, viols et autres crimes commis sous l'ère Kadhafi. Actuellement, il n'y a pas de tribunal capable de les juger, alors les détenus sont totalement à la merci des miliciens.
Des médecins travaillant dans un dispensaire mis sur pied dans le garage disent avoir soigné plusieurs dizaines de détenus torturés pendant des interrogatoires. Un médecin s'exprimant sous couvert d'anonymat affirme qu'il a vu neuf prisonniers dont les organes génitaux ont été coupés, alors que d'autres ont reçu des décharges électriques.
Ces violences et cette anarchie témoignent de la faiblesse du CNT, constitué de représentants venus de toute la Libye. Le CNT est censé superviser la transition vers la démocratie après la chute de Kadhafi, notamment l'organisation d'élections prévues pour le mois de juin. Mais l'instance est elle-même minée par les divisions, alors que du côté de Benghazi (est), certains dirigeants sont tentés par la création d'une "union fédérale" qui leur donnerait une grande autonomie.
Quant à Mustafa Abdul-Jalil, le président du CNT, beaucoup lui reprochent son manque d'autorité. Il reconnaît avoir commis des erreurs. "Mais la raison, c'est la démocratie (...) Pour chaque décision, je dois avoir le vote" des 72 membres du CNT, assure-t-il. AP
Source: Le Nouvel Observateur, du 06/03/2012
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