Sociologue et spécialiste de l'Afrique des grands lacs, André Guichaoua était au Rwanda le 6 avril 1994. Il a assisté au déclenchement du génocide contre les Tutsis qui fera 800.000 morts en cent jours. Depuis, il participe comme témoin expert à tous les procès liés au génocide.
Paris a des territoires où flotte encore le parfum lourd du prestige. L'université Panthéon-Sorbonne est l'un de ceux-là. Et à en juger par l'air de conquête des élèves qui flânent place du Panthéon, ce sentiment est partagé. La Sorbonne, par son public souvent bien né et toujours bien mis, par son cadre élégant, est une sorte d'antithèse de l'Université de Bretagne Occidentale (UBO). André Guichaoua connaît bien les deux universités. La Sorbonne, il y enseigne depuis 2003, avant de prendre en 2006 la direction de l'Institut d'étude du développement économique et social (IEDES). L'UBO, le sociologue y officiera de 1979 à 1990, à Brest, et en sera même vice-président quatre années durant.
D'expert à témoin
Enthousiaste, il lance : «J'ai adoré cette vie brestoise. Ma famille a quitté la Bretagne quand mon grand-père s'est engagé dans la Royale. Malgré mon patronyme, je connaissais mal le département. J'ai, par exemple, pu renouer avec un grand-oncle, un personnage pittoresque, resté lui dans notre fief de Plogastel-Saint-Germain». De cette période finistérienne, le sociologue a conservé la maison de Saint-Pabu où il se réfugie, quand il parvient à desserrer l'étau de son agenda. À 64 ans, outre les cours et les recherches, le professeur intervient aussi comme expert témoin devant les tribunaux où sont jugés ceux qui sont accusés d'avoir participé au génocide Tutsi de 1994. Il intervient surtout auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), installé à Arusha, en Tanzanie, au lendemain du génocide. Voilà dix-huit ans que ce tribunal tente de rendre justice. Cinquante-huit affaires ont déjà été jugées et plus d'une vingtaine sont encore en cours. Expert, André Guichaoua l'est par son cursus de socio-économiste. À la fin des années 1970, en menant une mission pour le Bureau international du travail, il s'intéresse aux paysanneries de l'Afrique des grands lacs, région qu'il n'aura de cesse ensuite d'arpenter. Il y noue des relations, apprend à comprendre cette zone tantôt décrite comme le paradis ou la poudrière du continent. En 1994, il est envoyé à Kigali pour évaluer des programmes de développement mis en place quelques années plus tôt dans la région. Le génocide débute. Les vies ne valent plus rien. La sienne bascule. D'expert, il devient témoin.
L'hôtel des Mille Collines
Dans son livre consacré à cet événement, AndréGuichaoua offre, dans un chapitre, un décompte des jours précédant le 6 avril jusqu'à son évacuation, le 12 avril. Des jours d'horreur passés, la peur au ventre, terré dans l'hôtel des Mille Collines. Cet hôtel, où beaucoup trouvent refuge et qui est encerclé par les miliciens, inspirera à l'Amérique un hollywoodien «Hôtel Rwanda». Mais de ces émotions, de ces peurs, pas une ligne. Seules quelques allusions pudiques aux «mitraillages au loin», aux nuits «très dures» passées à dormir dans les couloirs dans la crainte, à tout instant, de voir surgir de l'ascenseur des hommes en armes «aux exactions de brutes ivres qui tiraient sur tout ce qui bougeait, massacraient, violaient et pillaient». L'essentiel est alors pour lui de sauver la vie des cinq orphelins de Mme la Premier ministre, assassinée le 7 avril.
La vérité comme obligation morale
Lorsque le TPIR est créé, André Guichaoua devient immédiatement témoin de fait et témoin expert auprès du procureur. Débute alors son sacerdoce. Les enquêtes de terrain, les allers-retours, les comparutions, les lectures se multiplient. Il faut avancer dans la vérité, contribuer à une histoire toujours écrite par les vainqueurs, si vainqueurs il y a dans de tels cas. Résultat inévitable : une obsession à la hauteur des faits. «Je ne dors que quatre à cinqheures par nuit. C'est un rythme de travail insupportable mais nécessaire». Parallèlement au livre, a été réalisé un site où il est possible de télécharger une grande partie des documents collectés mais également une traduction, aux frais de l'auteur, du livre en Kinyarwanda, langue officielle du Rwanda. «Quand j'ai vu que le livre avait été téléchargé plus de 2.000 fois en une semaine, ce fut comme un grand soulagement. Si j'écris et si je continue à travailler, c'est pour eux».
- André Guichaoua «Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994)». Editions de la découverte (Paris). - Site internet : http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr
Glen Recourt
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Qui a tué qui?
Qui a tué qui? Question fréquente qui illustre l'ignorance partagée sur le génocide rwandais, ou plus exactement sur le génocide de 800.000Tutsis et Hutus modérés par les Hutus extrémistes. Trop loin peut-être, trop compliqué sans doute. «On ne peut expliquer que des choses simples. Au-delà d'une certaine limite, on ne peut plus expliquer la complexité», tranche, fataliste, André Guichaoua. Retour surdeux points fréquemment abordés dans les médias.
L'étincelle : l'attentat du 6 avril
Le 6 avril 1994, juste avant d'atterrir, l'avion transportant le président burundais et le président rwandais Habyarimana, est touché par un missile. Il explose. Dans l'attentat, trois Français, membres d'équipage, trouvent également la mort. C'est pour ces morts que le juge français Marc Trévidic mène actuellement une investigation afin de déterminer qui a commis cet attentat. En effet, 18 ans après les faits, il est encore impossible d'affirmer qui est derrière cette attaque. Deux thèses principales s'affrontent. La première soupçonne l'actuel président rwandais, PaulKagamé, chef de la rébellion tutsi en 1994, d'être le commanditaire de l'attentat. Tuer le président hutu lui aurait permis de déstabiliser le pouvoir qu'il convoitait. La deuxième thèse considère que ce sont les extrémistes hutus, refusant un partage prochain du pouvoir avec les Tutsis, qui seraient responsables. Les rapports scientifiques, remis au juge Trévidic, semblent pencher pour cette dernière explication. Toujours est-il que cet attentat, qui n'est pas la cause du génocide, est considéré comme l'étincelle qui l'aurait provoqué.
La responsabilité de la France
Coupable, responsable mais pas coupable, attitude ambiguë : le degré de responsabilité de l'État français dans le génocide varie selon les analystes. Ce qui est certain, c'est que la France, dès 1990, a apporté un soutien, notamment militaire, aux Hutus alors au pouvoir. Il est certain aussi que, deux mois après le déclenchement du génocide, la France a pris la tête d'une coalition sous mandat de l'ONU, l'opération Turquoise censée mettre fin au génocide. L'opération qui n'y a pas mis fin, l'État refusant de s'engager, fait dire à certains que les militaires français ont donc laissé faire les massacres. Ce rôle ambigu de la France, constaté à différents moments, explique les tensions persistantes entre Kigali et Paris. En 2010, NicolasSarkozy fut le premier Président français à fouler le sol rwandais depuis 1994.
Source: Le Télégramme, du 19/03/2012
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