Saturday, October 16, 2010

Le système Kabila

 
Qui détient la réalité du pouvoir à Kinshasa? Zoom sur une coterie dominée par les Katangais.

"Le Petit" a survécu. Mais a-t-il vraiment grandi? Ainsi surnommé lors de son accession au pouvoir du fait de sa jeunesse - 29 ans - et de son inexpérience, Joseph Kabila Kabange, alias JKK, aura défié tous les oracles. Propulsé au pouvoir dès janvier 2001, au lendemain de l'assassinat de son père Laurent-Désiré, puis élu au suffrage universel en octobre 2006, "Jo" a beaucoup joué de cette précarité originelle, notamment auprès d'une communauté internationale qui lui témoigne une mansuétude parfois déroutante.

Il doit sa survie à la loyauté de son entourage, à une absence totale d'états d'âme, à l'efficacité de l'Agence nationale de renseignements (ANR), dont tout dissident redoute les cachots clandestins, à l'émiettement de son opposition et à une science intuitive et rustique des rapports de force. "A défaut de culture politique, il a de l'instinct, avance un expatrié familier du Palais de marbre de Kinshasa. Mais il lui manque les fondamentaux quant à la conduite de l'Etat ou de la diplomatie. Je le trouve énigmatique, introverti, méfiant, immature et irrésolu. D'ailleurs, les réformes vitales de l'armée, de l'administration, de la justice ou du dispositif territorial se font attendre." Pas sûr qu'un tel jugement trouble l'intéressé : convaincu de n'avoir plus guère besoin de l'Occident, il mise désormais sur un partenaire empressé, cette Chine où il fut formé à la hâte à l'art militaire.

Réconciliation avec le Rwanda

Il n'empêche: autrefois crédible, la thèse de l'héritier accidentel manipulé par ses mentors et ses parrains n'a plus cours sur les rives du fleuve Congo. "Le vrai chef, c'est lui, tranche un fin connaisseur des coulisses kinoises. Il décide de tout. Mais rechigne à endosser les conséquences de ses choix." Quitte à susciter amertume et rancoeur, Joseph a écarté au fil des ans la plupart des vieux crocodiles du marigot paternel pour se tailler un premier cercle rénové: le "clan des Katangais", hommes d'influence originaires de la province minière du Katanga, baptisée Shaba au temps du maréchal-président Mobutu. S'ils ne figurent pas dans l'organigramme gouvernemental, ces conseillers de l'ombre ont souvent davantage d'autorité que les ministres. Le plus écouté? Augustin Katumba Mwanke, député de Pweto et ambassadeur itinérant.

Apparu dès la décennie 1990 dans le sillage de Laurent-Désiré, qui le promeut gouverneur de l'ex-Shaba, cet apparatchik deviendra la pièce maîtresse du "système JKK". Tour à tour chef d'orchestre de l'Alliance pour la majorité présidentielle (AMP), coalition acquise à Joseph, et patron du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la formation du jeune "boss", son Mazarin pèse également sur les dossiers économiques. S'il préfère par tempérament le pouvoir des antichambres à l'or des titres, Katumba pourrait revenir sur l'avant-scène dans la perspective du scrutin présidentiel prévu en 2011. Un signe? En septembre, la presse kinoise a publié un sondage à la fiabilité hasardeuse qui le place - et de loin - en tête du palmarès des parlementaires les plus populaires. Parmi les autres membres de la coterie de Lubumbashi, citons le gouverneur de la Banque centrale Jean-Claude Masangu, celui du Katanga, Moïse Katumbi, le président de la Cour suprême et... le général John Numbi, chef de la police placé en quarantaine après l'assassinat de Floribert Chebeya.

Si ambigu soit-il, le processus de réconciliation avec le Rwanda atteste l'emprise de l'axe katangais. Résumé d'un témoin : "Acte I: discussions directes entre Joseph Kabila et Paul Kagame. Acte II: Augustin Katumba fait la navette entre Kinshasa et Kigali. Acte III: Numbi l'exécutant finalise les modalités de l'accord avec son homologue rwandais." Jugé vital pour éradiquer enfin les rébellions de l'Est, donc reconquérir au Kivu un électorat dépité par le fiasco d'une paix tant promise, ce pacte expose JKK à un sérieux péril : le regain d'ardeur des boutefeux nationalistes qui contestent sa "congolité" et le ravalent au rang de marionnette de Kigali. D'autant que les milices sous emprise rwandaise ne cessent d'étendre leur sphère d'influence foncière et minière.

Au sein de la camarilla Kabila, deux personnages atypiques méritent enfin une mention spéciale: la soeur jumelle, Jeannette, et l'homme d'affaires israélien Dan Gettler, affairiste favori du régime et généreux donateur lors de la campagne de 2006. "Plus qu'un businessman, l'ami de tous les instants", précise un expert.

S'il n'a guère grandi, "le Petit" s'est endurci. Qu'a-t-il asséné voilà peu au petit groupe de députés et de ministres désireux d'animer au sein de la mouvance présidentielle un courant "libéral" ? Ceci : "Militaires, vous seriez déjà fusillés." Tout serait tellement plus simple si la RDC était une chambrée et le monde une caserne...

Author: Vincent Hugeux


Source:Copyright L'Express, du 15/10/2010 à 14:00

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