Monday, June 27, 2011

COTE D'IVOIRE: Arrestation du Président Laurent Gbagbo : Les derniers instants dans le bunker / Ce qui s’est passé le dimanche 10 avril

Chef de Service chargé des Finances et Moyens généraux au cabinet de la Première dame, et membre du comité de contrôle du Front populaire Ivoirien (Fpi) jusqu'au 11 avril 2011, Mme Agnès Tanoh, fut anciennement Secrétaire particulière et Dame
de compagnie de Simone Gbagbo. Elle a été respectivement secrétaire nationale
adjointe de l'Offpi, membre du secrétariat chargé des fédérations d‘Abidjan. Présente à la résidence présidentielle lors de l'arrestation du président Laurent Gbagbo, elle nous livre dans cet entretien les derniers instants dans le bunker…

Abidjandirect.net : Vous étiez à la résidence présidentielle avec le Président Laurent Gbagbo jusqu'à sa capture. Pouvez-vous nous raconter comment se sont passés les derniers moments?
Il faut dire que depuis un mois, pour les habitants d'Angré que nous sommes, ce n'était pas du tout le repos car la nuit c'étaient les bruits d'armes en provenance d'Abobo. Cela ne nous empêchait pas de vaquer tranquillement comme tous les abidjanais (habitants d'Abidjan ndlr) à nos occupations habituelles.
Ainsi, le 30 mars, je suis allée au travail comme d'habitude. Ce jour là, vers 11 heures, mes enfants, de la maison, ont appelé ma fille avec qui j'ai été
arrêtée, pour nous demander de ne pas revenir à la maison car des rebelles étaient postés devant notre maison ; surtout que la semaine d'avant nous avions été informés que j'étais sur une liste dressée par le Rhdp de mon quartier, lieu où j'habite depuis 1998. Nous avons donc passé la nuit à la résidence.
Le 31 mars, j'apprends que non seulement ma maison a été pillée la veille mais que les rebelles ont établi leur barrage à la pharmacie des «Allées» et aussi que les combats se sont déportés sur le boulevard des Martyrs vers Sococe qui est sur le trajet qui mène à mon domicile. Depuis lors, je suis restée à la résidence jusqu' à l'arrestation du Président Gbagbo. D'ailleurs je préférais être sur les lieux dans ces circonstances. Le 19 septembre 2002, je me suis retrouvée dans les mêmes circonstances et je me suis rendue utile. J'ai ouvert les bureaux de la première dame pour permettre au ministre Lida Kouassi d'être en contact avec le couple présidentiel alors en Italie. Ensuite
est arrivé le ministre Tagro et Paul Dokoui pour la Radio et la Télé. J'étais là quand Dr. Tabley a ramené le corps du ministre Boga à la résidence.
Revenant à votre question, le mot capture est inapproprié car Laurent Gbagbo n'était pas en fuite. J'ai même appris que le ministre Alcide Djédjé a entrepris des démarches auprès de l'Ambassadeur de France en Côte d'Ivoire et a obtenu le départ du Président Laurent Gbagbo en exil sans l'accord de ce dernier, mais tout naturellement, il a refusé.
Pour ce qui s'est passé, il faut noter qu'avant le 11 avril, date fatidique, il y a eu plusieurs tentatives de prise de points stratégiques et d'arrestation du
Président qui avait échoué avant que la force Licorne ne rentre en action.
Ainsi, il y a eu l'attaque de l'école de gendarmerie, la Rti, du Palais de la République, la Garde républicaine, le camp de gendarmerie d’Agban (etc).
Constatant ces échecs, la force Licorne prétextant du bombardement de l'Ambassade du japon, a détruit les chars de la Garde républicaine à la résidence du chef de l'Etat et a bombardé les patriotes qui campaient depuis quelques jours à l'entrée de la résidence. C'est à partir de ce moment que la force Licorne est entrée officiellement dans l'arène et a mené des actions offensives.
Le 4 avril, un hélico détecteur de son avec à son bord des snippers voulant abattre le Président, se positionne au dessus de la résidence, juste au dessus de sa chambre alors qu'il y était pour téléphoner. La sécurité a donc demandé à tous ceux qui étaient dans les appartements de descendre au deuxième sous sol. Depuis cette date, nous dormions tous au sous sol car c'est la nuit que la force
Licorne faisait ses grandes manœuvres.
D'autres manœuvres vont se dérouler du 7 au 10 avril 2011. Toutes les nuits, de 21h à 5 heures du matin, la Licorne lançait les obus sur la résidence et elle
disparaissait au lever du jour. Le bureau de la première dame, le bâtiment D et sa chambre ont été atteints. Dans la nuit du 9 au 10 avril, ils ont tenté sans
succès de forcer le tunnel qui relie la résidence de l'Ambassadeur de France à
la résidence présidentielle. Rappelons que le Président Gbagbo avait fait fermer
l'accès à sa résidence quelques années plus tôt. Je crois que c'est cet énième échec qui a déclenché le bombardement continu jusqu' à l'arrestation du
Président.
En effet, ce jour du 10 avril, alors que nous nous attendions à 21 heures pour la "pluie de feux", comme cela était de coutume depuis quelques jours, ils ont commencé un peu plus tôt. Dès 17 heures déjà et cela s'est poursuivi jusqu' à 11 heures du matin. La résidence a pris feu et les voitures du côté du plan lagunaire aussi. Le feu, cependant n'a pas atteint l'intérieur du sous-sol.
Vers midi, ils ont mis le feu et du gaz lacrymogène par les sorties d'égouts. Cela s'est transformé en une fumée opaque. Ils l'ont fait à dessein pour nous
calciner car les conduits de gaz et d'électricité étaient à cet endroit. Le commandant Séka nous a donc demandé, avec la garde rapprochée du Président de remonter au premier sous sol pour éviter de mourir asphyxiés ou cramés. Une fois à ce niveau, nous avons été repartis dans plusieurs salles. Dans la nôtre, il n'y avait que des civils : des femmes et trois hommes (Sidjiri Vakaba,
le pasteur Adjé N’Zi et un autre Monsieur). Le Président était dans une autre avec "certainement" la Première Dame, le ministre Aboudramane Sangaré, etc. Le ministre Tagro s'est proposé à la négociation. Je l'ai vu et entendu téléphoner à quelqu'un. Il a dit un numéro dans lequel il y avait le nombre 936 ou 906. Il a dit à cette personne, «demandez leur d'arrêter de tirer, je viens discuter». J'ai appris plus tard que cette personne était l'ambassadeur de France en Côte d'Ivoire. Ce dernier a coordonné personnellement l'attaque de la résidence présidentielle car après le départ du Président, alors que nous sortions en file indienne du sous–sol, il était encore à l'entrée de la résidence, téléphone à l'oreille. Pour aller à la discussion, le ministre Tagro a demandé un drapeau blanc en signe de paix. Nous lui avons donné une nappe blanche. A peine, a-t-il mis le nez dehors qu'il est revenu sur ses pas en criant, «ils ont tiré sur moi, ils ont tiré sur moi». Des militaires adverses qui étaient sans doute à la porte
des escaliers se sont engouffrés derrière lui. Je ne sais pas combien ils étaient, toutefois trois d'entre eux sont entrés dans notre salle. Ils nous ont demandé où se trouvait le président.Nous avons répondu que nous sommes des civils et que nous ne savions pas grand-chose. Quelques instants après, d'autres (soldats rebelles ndlr) ont retrouvé Michel Gbagbo (fils de Laurent Gbagbo ndlr) qu'ils ont emmené dans notre salle. Ils lui ont dit, qu'ils abattraient les civils, femmes et hommes que nous sommes, s'il ne disait pas où se trouve son père. Il leur a répondu : «Si c'est mon père que vous êtes venus arrêter, il est dans la pièce d’à coté». Ils ont emmené Michel avec eux en laissant d'autres garder notre porte. La suite de l'arrestation, vous l'avez vu par les images qu'ils ont voulu vous montrer. Une fois hors de la résidence, nous autres, le gouverneur de la Bceao Dakoury, le ministre Adjobi Christine, l'ambassadeur Boubacar Koné qui avait reçu une balle juste en dessous de l'aisselle et une autre dans le pied, étions entassés devant la maison du Président de l'Assemblée nationale Koulibaly Mamadou quand nous avons vu venir le ministre Tagro Désiré, titubant complètement trempé de son sang. Il est allé s'adosser au mur de la résidence de l'Ambassadeur de France quand notre camionnette a démarré, encadrée par les chars de la force Licorne.Nous avions eu beaucoup de chance car l'un d'eux nous a rapporté ceci : «La mission était pour la mort. L'objectif des deux groupes (forces Licorne et des forces rebelles ndlr) était de tuer le Président Laurent Gbagbo et d'éliminer tous les témoins».
Fort heureusement, aucun d'entre eux ne voulait porter cette responsabilité. Les Français étant arrivés les premiers sur les lieux ont attendu les Fafn (Forces armée des forces nouvelles ndlr) pour commettre l'exploit de l'assassinat de plus d'une centaine de personnes avec le Président Gbagbo, mais ceux qui répondaient aux ordres de Soro, n'ont pas voulu prendre cette
responsabilité. La France qui travaille avec et pour Alassane Ouattara pourrait retourner ces meurtres contre eux. C'est Dieu qui a travaillé en notre faveur,
psaume 23.

Abidjandirect.net : Qu'en est-il des jeunes patriotes qui étaient rassemblés devant le palais ?
Entre le 7 et le 10 avril, il nous a été déconseillé de sortir de l'enceinte de la résidence. Je me rappelle que lorsque la gouvernante et la Dame de compagnie parties prendre des nouvelles d'une des cuisinières qui a été projetée au sol par le souffle d'un obus la veille, n'ont pu traverser la cour à cause des manœuvres des hélicos. Je sais qu'après la destruction des chars de la Garde républicaine à la résidence du Président liée aux soi-disant bombardements de l'Ambassade du Japon, ils étaient moins nombreux quand je suis sortie de la résidence.

Abidjandirect.net : Le quartier présidentiel était déjà encerclé, comment les jeunes leaders présents à la résidence ont pu s'échapper ?
Ceux qui sont partis ont pu le faire dans la matinée du 10 avril s'ils y étaient encore parce que comme je le disais plus haut, dans la matinée, il y avait un
répit. C'est comme cela que la deuxième secrétaire du Président bloquée depuis une semaine a pu rejoindre son bébé qu'elle avait laissé, contrainte à rester à la résidence à cause des combats dans la commune de Cocody. Aussi, les jeunes n'étaient pas dans la même enceinte que nous. Ce que je peux affirmer c'est qu'il y avait plusieurs chars de la Licorne à la résidence du chef de l'Etat. Ils ont jalonné notre parcours jusqu' au golf.

in abidjandirect.net

Ce qui s’est passé le dimanche 10 avril

«Celui qui se fie à la France paie le prix de sa vie», avertit le célèbre sociologue ivoirien, Dédi Séry. S’appuyant sur la résolution 1975 la France a lancé ses hélicos de combat à l’assaut des armes lourdes de l’armée ivoirienne. Non pas pour protéger les civils comme elle le faisait croire, mais pour affaiblir les forces fidèles à Laurent Gbagbo. Ainsi, lorsque les combattants pro-Ouattara peinaient à prendre les centres névralgiques et stratégiques
d’Abidjan, la France, emportée par sa ruse légendaire, proclamait par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, «même si Ouattara le demandait, il n’était pas question pour les forces françaises d’aller chercher Gbagbo dans son bunker». Hélas, la paille des mots n’est pas le grain des choses. Entre le discours et les actes, il y a un hiatus. Le dimanche 10 avril 2011, la France a décidé de «finir le travail». Reclus dans un hôtel de la
Riviera, notre soif d’informations nous a poussé à composer le numéro d’un habitué de la résidence de Laurent Gbgabo. Nous vous publions la courte conversation qui en disait long sur l’imminence de la chute de Laurent Gbagbo.

Bonsoir Zé !
Bonsoir Tché !
On dit quoi à la résidence.
Ce n’est pas bon.
Pourquoi ?
Les gens vont entrer en jeu la nuit. En plus des 700 bérets verts, 300 autres viennent cette nuit pour une opération commando. Ils vont partir la même nuit.
Et nos amis Angolais ?
Je n’ai aucune information sur le sujet. Je t’appelle demain pour d’autres infos. Si le PR est encore là.
Ça va aller !
Attendons que le soleil se lève d’abord. Ce n’est pas bon.
Ok, bonne nuit.
Le lendemain, 11 avril 2011, Laurent Gbagbo est arrêté. Par les combattants pro-Ouattara se défend la France. Ses forces, selon elle, n’ont fait que créer un cordon autour de la résidence, pour éviter que la zone soit «infectée» par des combattants incontrôlés. Ce cordon autour de la résidence du chef de l’Etat était-il prescrit par la résolution 1975 ? Assurément pas. Les forces fidèles à Laurent Gbagbo gagnaient du terrain. Et ça la France «sarkozienne» ne pouvait l’accepter. Elle a décidé de renverser celui qui est devenu son cauchemar dans le pré-carré. Tout autre version des faits n’est que montage grotesque.

Author:Tché Bi Tché
emailadress:zanbi05641405@yahoo.fr


Source: Le Temps, du 27/06/2011

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