Wednesday, December 8, 2010

RWANDA: Kagame: rassurer tous les Rwandais

Le président Kagame a rencontré à Bruxelles la diaspora en exil en Europe pour l’inciter à rentrer. Pas de main tendue, en revanche, pour les officiers dissidents. Entretien exclusif.
Entretien


Vous avez rencontré la diaspora rwandaise d’Europe à Bruxelles. Quel message leur avez-vous transmis ?
J’ai saisi l’occasion de ma présence ici pour les rencontrer parce que nous pensons qu’ils doivent être associés à ce qui arrive au pays et y contribuer. Et aussi parce que ceux qui vivent éloignés du Rwanda depuis longtemps ne savent pas toujours ce qui s’y passe réellement.

Quelles conditions créez-vous pour leur retour ?
Il n’y a pas de conditions particulières pour eux. Nous créons des conditions politiques, économiques et sociales pour tous - ceux de l’intérieur et ceux de l’extérieur. Le but est de construire une société stable dans notre pays.

La sénatrice Inyumba et d’autres personnalités rencontrent depuis plusieurs semaines la diaspora – y compris des partisans du génocide – pour les convaincre de rentrer au pays. Cela inquiète des rescapés du génocide...
Nous cherchons à rassurer tous les Rwandais, mais, comme toutes les sociétés, nous ne sommes pas homogènes, nous avons des modes de pensée différents. Il y a les rescapés, les criminels, les gens associés avec les criminels qui n’ont pas tué eux-mêmes... toutes sortes de gens. Il faut créer un environnement régi par la loi et la justice, pour que chacune de ces catégories soit relativement à l’aise pour vivre, même si tout ne leur convient pas. Nous essayons d’être le plus inclusifs possible. Nous disons aux rescapés que nous avons maintenant la paix, que le pays progresse dans le développement, que les gens reconstruisent leur vie... Nous disons aux gens associés au génocide et à ceux qui trouvent qu’on ne les a pas assez aidés à surmonter les difficultés, que beaucoup peut être surmonté grâce aux conditions que nous avons créées.

Vous avez été réélu à la présidence cette année. Cette élection n’aurait-elle pas été plus consensuelle s’il y avait eu plus d’opposants autorisés à y participer – Victoire Ingabire (1) par exemple ?
Je ne doute jamais de l’intelligence des gens mais de leurs intentions. Il y a des choses que certains ne veulent pas voir... Il y a eu quatre candidats à la présidentielle. Des gens à l’extérieur ont jugé que ce n’étaient pas les bons candidats; qui sont-ils pour en décider ? Est-ce aux gens du dehors de choisir pour nous ? Ingabire est venue en disant qu’elle voulait être président de la République, mais le processus électoral a ses règles, elle ne peut pas décider de suivre les siennes. Le Rwanda n’est pas la jungle, c’est un pays qui a eu d’énormes problèmes et qui veut la stabilité. Elle ne peut pas arriver et décider - ou d’autres à travers elle.

Quel est le problème ? Ses connexions avec les FDLR ?
Oui. Et aussi qu’elle a épousé l’idéologie du génocide et ne craignait pas de la diffuser au Rwanda - peut-être pour nous provoquer : j’imagine qu’elle comptait sur la communauté internationale - qui est parfois confuse à ce sujet - pour nous empêcher de réagir. Il est vrai que la communauté internationale a fait du bruit (NdlR : quand elle n’a pas pu se présenter et a été détenue), mais nous n’allions pas nous laisser prendre à ce jeu.

La sénatrice Inyumba peut parler avec des FDLR mais pas Mme Ingabire, alors ?
La sénatrice Inyumba n’appelle pas les criminels à rentrer; elle dit que certaines personnes ont quitté le pays parce qu’elles sont dans la confusion. Au Rwanda, il y a un processus pour les criminels; celui qui se repent peut être pardonné et réintégré. Mais Ingabire ne peut pas décider du processus elle-même, par les voies qu’elle choisit.

Un nombre grandissant d’officiers de votre armée choisissent l’exil. Certains discrètement, d’autres, comme le général Kayumba, bruyamment. Est-ce une menace ?
Ce qui arrive est dû à un opportunisme politique sans limite, de gens qui s’associent avec n’importe qui pour arriver à ce qu’ils veulent, même si cela n’a pas de sens. Cela peut arriver, mais cela ne fera jamais dérailler le processus dans lequel nous sommes engagés. Non. On en a parlé avec la diaspora; beaucoup de rumeurs colportées n’ont tout simplement pas de sens. Ces rumeurs feraient presque croire que le pays est à feu et à sang...

Il y a quand même eu de meurtriers attentats à la grenade...
Il y en a eu, oui. L’Europe aussi a dû affronter le terrorisme, cela n’a pas arrêté ses progrès. Cela peut arriver n’importe où. Ce qui, par contre, n’est pas courant, c’est qu’on règle rapidement le problème. Dans certains pays, le terrorisme a causé des déstabilisations durables. Nous avons construit des institutions solides, de la cohésion, des capacités à assurer la sécurité... Si ceux qui sont partis revenaient, ils verraient que le pays va mieux qu’à leur départ et qu’eux sont plus mal qu’alors.

Il y a quand même beaucoup d’officiers qui sont partis.
Non. Il y a de l’exagération à ce sujet. Mettons qu’ils soient 100, ou même 200... Nous avons 3 500 militaires rwandais comme force de paix au Darfour et des milliers d’autres au pays. L’armée rwandaise est dans de bonnes mains. Et c’est pourquoi ce pays progresse.

Pourquoi Kigali essaie-t-il de ramener des partisans du génocide au Rwanda mais pas ces dissidents de l’armée ?
Vous n’ignorez pas qu’ils se rejoignent presque ! (rires)... Il y a eu tellement de problèmes au Rwanda, avant le génocide, après... Au total, il y a eu beaucoup de bonnes choses, pas que des mauvaises. On va catégoriser les gens : les criminels, ceux qui ont appuyé les criminels. Cela implique une sorte d’éducation. On fait de la mobilisation - dire que le Rwanda a changé et que l’on veut que le plus grand nombre possible de Rwandais soient associés au processus et avancent avec le pays. Le choix est : si vous voulez vivre dans ce nouveau Rwanda et faire ce qu’il suggère que vous fassiez, bienvenue. S’il y a des charges criminelles contre vous, il existe des institutions, des lois, des mécanismes pour voir si vous êtes coupable ou non et de quoi; vous pouvez être pardonné si vous regrettez et demandez une nouvelle chance.

Vous offrez une deuxième chance au général Kayumba ?
La veut-il ?

En septembre dernier a été annoncée – avec des fuites – la sortie d’un rapport d’experts de l’Onu sur les crimes commis au Congo avant 2003, qui indiquait que votre armée s’y était peut-être rendue coupable d’actes de “génocide”. Vous avez alors menacé de retirer vos troupes des forces de paix au Darfour si le rapport paraissait. Il a été publié et vous n’avez pas retiré vos troupes. Pourquoi ?
Parce qu’ils ont pris en compte nos explications. Le texte final donnait également notre version. Le rapport était donc plus équilibré.

Quelles ont été, selon vous, les conséquences de ce rapport sur le Rwanda ? Est-ce un embarras pour votre pays ?
Pour moi, c’est du passé. Et ce devrait plutôt être un embarras pour ceux, dans la communauté internationale, qui ont essayé de lui donner une crédibilité.

En janvier 2009, votre armée et celle du Congo ont conduit au Kivu une opération conjointe pour neutraliser les FDLR (2). Mais le problème n’a pas disparu. Kinshasa et Kigali envisagent-ils une nouvelle opération ?
C’est vrai, le problème n’a pas disparu. Mais soyons fair-play : il a bien diminué. Des milliards de dollars sont dépensés chaque année au Congo dans le même but (3). Avec quel résultat ? C’est pour ça que le Congo et le Rwanda ont décidé d’agir ensemble. La différence faite en peu de temps ne l’a pas été par cette coûteuse opération mais par notre opération conjointe, même si beaucoup a été fait pour la décourager. Au final, l’opération la plus chère a été maintenue plutôt que la moins chère. Cela soulève des questions.

(1) Opposante longtemps en exil, elle est accusée par un rapport d’experts de l’Onu d’être en liaison avec les FDLR.

(2) FDLR : rebelles hutus rwandais issus des génocidaires; terrorisent le Kivu (est du Congo, à la frontière rwandaise).

(3) M. Kagamé fait allusion à la mission des casques bleus, la plus importante jamais mise sur pied par l’Onu.


Author: Marie-France Cros

Source: La Libre, Mis en ligne le 08/12/2010

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