Thursday, August 25, 2011

Libye : quand la France jubile, la Russie désespère

Mouammar Kadhafi et Dmitry Medvedev à Moscou, en octobre 2008 (Sergei Ilnitsky/Reuters).
Kadhafi n'a pas encore officiellement abdiqué que le Conseil national de transition (CNT) s'affaire déjà à dresser les plans de la future Libye. Si la France, moteur de l'intervention armée, parle d'une « grande satisfaction », la Russie voit la prise de Tripoli par les rebelles et la victoire de la coalition d'un œil un brin plus critique. En témoignent ses médias nationaux.
Le jeu de mot de la chaîne d'info en continu russe Russia Today est sans équivoque : « Les Français veulent un contrôle Total sur le pétrole libyen. » Dans un reportage diffusé le 24 août, le média anglophone à la ligne éditorial proche du Kremlin commente :
« La France se sent gagnante d'être le premier pays à reconnaître les rebelles libyens, le premier à avoir bombardé la Libye et maintenant le premier à parler avec les leaders rebelles. »
En interrogeant un panel hétéroclite de Français – Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, le journaliste controversé Michel Collon ou encore Wallerand de Saint Just, vice-président du FN –, la chaîne dénonce implicitement la France pour être intervenue militairement à des fins économiques.
Russia Today souligne « qu'un des premiers Français à s'être rendu à Benghazi en mars était un représentant de Total ». (Voir la vidéo en anglais)
La chaîne russe n'est pas seulement critique envers la France : c'est toute la démarche de l'Otan qu'elle remet en cause. Elle n'hésite pas pour cela à s'appuyer sur le témoignage de personnalités controversées, comme Thierry Meyssan, journaliste boycotté par les médias français, mais très présent sur les chaînes étrangères.
En direct de Tripoli, il accuse les « soi-disant » journalistes qui logent dans le même hôtel que lui d'être des agents de la CIA : « Il y a des personnes dans l'hôtel qui tentent d'en tuer d'autres. » (Voir la vidéo)


Dans un autre reportage diffusé quelques heures plus tard, c'est le scepticisme qui gagne Russia Today lorsqu'elle évoque l'avenir du pays en Libye. Sur le plateau de la chaîne, Aram Shegunts, président du conseil commercial Russie-Libye, est sans espoir :
« Nous avons complètement perdu la Libye. On ne nous donnera plus de signal positif et si quelqu'un pense le contraire, c'est une illusion. »
Depuis des mois, les combats ont stoppé les exploitations pétrolières. Le présentateur s'inquiète de ce que les Russes, engagés en Libye, ne voient leurs contrats rompus pour ne pas avoir soutenu l'Otan et les rebelles libyens. (Voir la vidéo en anglais)

La Russie irritée par la stratégie militaire de l'Otan

Le journal Vzgliad, que mentionne le site Aujourd'hui la Russie, n'est pas plus optimiste.
Citant Abdel Jalil Mohammed Mauf, un des responsables de la compagnie pro-rebelles Agoco, il précise que si les contrats passés avec l'Italie, la France ou la Grande-Bretagne ne sont pas remis en cause, il en sera peut-être autrement pour la Russie ou la Chine. (Ecouter le son)


Le discours des médias russes ne surprend pas Thomas Gomart, directeur du centre Russie-NEI à l'Ifri (Institut français des relations internationales). Selon lui, Moscou a été au fil des mois de plus en plus irrité par les choix militaires de la coalition. La Russie accuse cette dernière d'avoir outrepassé la résolution de l'ONU de manière à pouvoir mener les opérations militaires qu'elle souhaitait.
Contrairement à la France ou à la Grande-Bretagne, la Russie a organisé pendant plusieurs mois des rencontres entre les rebelles et les proches de Kadhafi.

Les armes, première source de revenus des Russes en Libye

Thomas Gomart met cependant en garde contre une « simplification extrême » de la présentation des événements :
« Les contrats pétroliers ne peuvent pas être remis en cause du jour au lendemain. Dans ses dernières déclarations, le CNT est d'ailleurs revenu à beaucoup plus de prudence quant aux contrats passés avec la Russie.
Il est pour l'instant prématuré de parler de partage entre les compagnies des différents pays, si partage il doit y avoir. »
Le pétrole n'est d'ailleurs pas la première source de revenus russes en Libye. La manne financière qui y est générée par la Russie provient avant tout des armes. Un marché extrêmement important mais qui, selon Ria Novosti, ne devrait pas être affecté par le conflit.

L'« étroitesse » de la diplomatie russe

L'agence de presse précise que l'Agence russe d'exportation d'armement Rosoboronexport compte augmenter de 9,2 milliards de dollars le volume de ses livraisons en 2011, et ce malgré les pertes causées par l'embargo onusien sur les ventes d'armes en Libye : « A lui seul, [il] a coûté 4 milliards de dollars aux fournisseurs russes. »
Pour Thomas Gomart, la lecture hautement géopolitique des événements libyens faite par les médias russes met en lumière le problème actuel de la diplomatie du Kremlin :
« Comme avec la Syrie, la Russie fait preuve d'une certaine étroitesse. Elle semble dubitative sur le printemps arabe, qu'elle associe aux révolutions des anciens satellites de l'Union soviétique. A l'époque, elles s'étaient plutôt soldées par des échecs. »
Face à la prise de pouvoir croissante des rebelles, Dmitri Medvedev s'est dit prêt mercredi à établir des relations diplomatiques avec les rebelles, « s'ils parviennent à unir le pays. » Sans pour autant désavouer Kadhafi, qui, selon lui, reste « l'un des deux pouvoirs » qui existent aujourd'hui en Libye.
Dessin de Baudry.
Photo et illustration : Mouammar Kadhafi et Dmitry Medvedev à Moscou, en octobre 2008 (Sergei Ilnitsky/Reuters) ; dessin de Baudry.
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Source: | Rue89 | 25/08/2011 | 13H29

Author: Marie Kostrz 

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