Laurent Gbagbo, désavoué par la communauté internationale, a prêté serment hier à Abidjan. Son rival, Alassane Ouattara, se considérant « président élu », l'a peu après imité par courrier.
Le scénario ubuesque s'est réalisé : la Côte d'Ivoire a depuis hier deux présidents au lieu d'un. Et ce pays de 19 millions d'habitants qui semblait enfin sortir de l'ornière après quinze ans de troubles risque de replonger dans la violence. Entre Laurent Gbagbo, intronisé hier par le Conseil constitutionnel, et Alassane Ouattara, qui a prêté serment lui aussi et bénéficie de la reconnaissance internationale, le bras de fer est engagé et pourrait rallumer la guerre civile.
1. Le coup de force du sortant
La décision du Conseil constitutionnel, qui a annulé vendredi le vote dans neuf départements du Nord en prétextant des « fraudes » dont le détail n'a pas été établi et sans tenir compte de l'avis des observateurs internationaux, était sans recours. Déclaré vainqueur par 51,45 % des voix alors que les premiers résultats donnés jeudi par la Commission électorale indépendante (CEI) le donnaient perdant avec 45,9 %, Laurent Gbagbo n'a pas traîné : il s'est fait accorder dès hier midi l'investiture officielle, jurant « de respecter fidèlement la Constitution », et « de protéger les droits et libertés des citoyens ». Un serment pour le moins déplacé alors que sa victoire, acquise au forceps et sans recomptage des bulletins, ce qui eût été le minimum, fait de lui un président autoproclamé.
2 .La réaction du « président élu »
Alassane Ouattara, déclaré vainqueur jeudi par la CEI par 54,1 % des voix, et qui s'est déclaré « président élu » vendredi nonobstant l'inversion du résultat par le Conseil constitutionnel, a répliqué hier soir. Le candidat du Rassemblement des houphouëtistes a également prêté serment. Il l'a fait par un courrier manuscrit déposé hier matin au siège du Conseil. Dans la foulée, « ADO » a reçu la démission du Premier ministre Guillaume Soro. Il a aussitôt reconduit dans ses fonctions le chef des FN (Forces nouvelles), qui occupait le poste depuis les accords de Ouagadougou en 2007. M. Soro, qui a condamné le coup de force de Laurent Gbagbo, a pris fait et cause hier pour Alassane Ouattara, précisant qu'il rejoignait « le camp de la vérité ».
3. Gbagbo désavoué à l'étranger
Dès vendredi, l'ONU, par la voix du secrétaire général Ban Ki-moon, a dénoncé le coup de force et reconnu Ouattara vainqueur. Hier, on a eu confirmation qu'à l'étranger, le désaveu est général. Tour à tour, les États-Unis d'Obama, la France de Sarkozy, la Grande-Bretagne de Cameron, l'Union européenne (par la voix de Mme Ashton puis celle de José Manuel Barroso) ont décrété Ouattara « légitime vainqueur d'élections démocratiques ». Et Dominique Strauss-Kahn a fait savoir que le FMI ne travaillerait pas avec « un gouvernement non reconnu par l'ONU ». Plus gênant encore pour Gbagbo, l'Union africaine (UA) a rejeté hier soir « toute tentative visant à créer un fait accompli », prenant ainsi le parti de Ouattara.
Désavoué de tous côtés, le président autoproclamé a dès hier matin dénoncé « les cas graves d'ingérence », et précisé que la souveraineté ivoirienne se décidait à Abidjan.
4. La France sort de l'ambiguïté
Prudente jusque-là, l'ex-puissance coloniale a lâché Gbagbo. Depuis Delhi, Nicolas Sarkozy a parlé de « la victoire incontestable » de Ouattara. Cela signifie soit le départ du président sortant, soit la rupture entre Paris et Abidjan. Avec 15 000 ressortissants et 900 soldats sur place, la France joue gros. Accusée depuis 2002 de vouloir la perte de Laurent Gbagbo, elle est redevenue la cible des partisans de ce dernier, convaincus que Paris a soutenu « ADO » en sous-main. Une nouvelle flambée nationaliste et antifrançaise n'est donc pas à exclure. Mais cette fois, la position de Gbagbo est très, très fragile…
Author: CHRISTOPHE lUCET
Source: Sud Ouest, 05/12/2010, à 07h43
No comments:
Post a Comment