Les hommes d’affaires de Goma et de Bukavu n’en finissent pas de se lamenter depuis que le 6 septembre dernier, les conviant à un dîner à l’hôtel Ihusi de Goma, le président Kabila leur annonça tout de go que la commercialisation des produits miniers était suspendue jusqu’à nouvel ordre, et que les stocks déjà constitués devaient être placés sous scellés. «Cela nous permettra d’y voir plus clair, de mettre un peu d’ordre dans ce secteur » avait-il conclu.
Depuis lors, tous les comptoirs offrent le même spectacle que la parcelle de Metalchem à Goma : seuls des gardiens et des jardiniers empêchent la végétation de reprendre ses droits autour des containers verrouillés ; les broyeuses, les séchoirs sont à l’arrêt, les installations électriques déconnectées. « Chaque container contient du minerai, coltan ou cassitérite, pour une valeur de 250 à 280.000 dollars » explique le patron de Metalchem, John Kanyoni qui est aussi le vice président local de la FEC, la Fédération des entreprises du Congo. Dans la seule province du Nord Kivu, les stocks bloqués représentent une valeur de 20 millions de dollars. Deux banques de la place, qui avaient avancé des capitaux aux négociants, sont au bord de la faillite et au Nord comme au Sud Kivu, le commerce fonctionne au ralenti, l’argent ne circule plus.
« Avec les devises apportées par les ONG internationales, le secteur minier était le principal moteur de l’économie du Nord Kivu » poursuit Kanyoni. « L’interdiction de la commercialisation affecte tous les secteurs : le commerce de détail, les assurances, le transport… Les recettes fiscales de la province sont en chute libre. » L’homme d’affaires reconnaît cependant que si le secteur minier payait deux millions de dollars par mois au titre d’impôts et de taxes, la moitié seulement de cette somme rentrait dans les caisses de l’Etat, l’autre partie s’évaporait sur les barrières dressées par les militaires et dans des ponctions diverses…
Le Mwami Alexandre Bamongo, l’un des chefs coutumiers de Walikale, confirme que dans son fief, la situation est dramatique : « la révolte gronde car il est interdit aux creuseurs de se rendre sur les carrés miniers. Or, vu le manque de routes qui permettraient d’écouler les produits agricoles, l’absence d’écoles, il n’y a pas d’autres débouchés pour les jeunes… »
Walikale… Sur la route de Kisangani, accessible uniquement par voie aérienne (les appareils se posent sur un lambeau de route), la petite ville au milieu de la forêt a longtemps fait figure d’enfer ou d’Eldorado. Pour tous ceux qui voulaient tenter leur chance dans les mines, c’était la terre promise, délivrant aux creuseurs le coltan, la cassitérite, l’or, les diamants. Des milliers de Hutus en cavale, d’anciens enfants soldats démobilisés s’y sont reconvertis en creuseurs.
Jusqu’en septembre dernier, on ne comptait pas moins de quinze à trente rotations aériennes par jour ; les petits porteurs amenaient dans la ville des produits de première nécessité, la viande et la bière, les légumes et les vêtements sans oublier la bimbeloterie chinoise, et ils repartaient chargés de produits miniers qui prenaient la direction des comptoirs de Goma et de Bukavu.
A chaque rotation, les pilotes payaient 1000 dollars au titre de taxes : « Walikale assurait 60% des recettes fiscales de la province » précise le chef coutumier.
Aujourd’hui ce Far West vit au ralenti, la colère gronde parmi les commerçants privés de marchandises et de clients tandis que les creuseurs interdits d’accès aux carrés miniers songent à reprendre les armes, un business qui continue à être lucratif : le groupe dirigé par un certain Cheka n’a pas hésité à s’emparer d’un équipage indien de la Monusco et l’a sans doute relâché moyennant discrète rançon…. L’abbé Arsène, qui fut le principal négociateur de cette libération, assure que Cheka et ses hommes étaient révoltés : « chassés des carrières, ils n’arrivent plus à vivre. » Mais il y a pire : Cheka a reconnu que ses hommes étaient responsables des viols massifs commis à Luvungi, où en septembre plus de 300 femmes ont été attaquées. « C’était une manière d’attirer sur eux l’attention de la communauté internationale, puisque désormais c’est des viols que l’on parle, plus que des tueries… »
Cependant les mines de Walikale sont loin d’être à l’arrêt : la nuit, les creuseurs y retournent comme des fourmis et surtout les militaires qui en contrôlent l’accès continuent à y envoyer des civils : « c’est une sorte de salongo, de travail obligatoire, on doit creuser pour eux durant deux jours par semaine » dit le chef coutumier.
A Goma, un officier issu des rangs du mouvement rebelle de Nkunda, nous confie :« pour les militaires, rien n’est plus facile que contourner l’embargo : ils chargent le coltan dans leurs camions, passent la frontière rwandaise et se font payer à raison d’un dollar le kilo. Cinq tonnes de coltan envoyés vers le Rwanda, cela rapporte 5000 dollars…Nous n’avons même plus la concurrence des civils… »
Cette semaine, une délégation de plusieurs généraux, venus de Kinshasa, a été envoyée à Walikale par le président Kabila : « une sorte de tournée d’inspection » explique l’un d’entre eux, « il faut remettre de l’ordre dans la filière »
Cette sollicitude soudaine fait sourire nos interlocuteurs de la société civile : «tout le monde sait que c’est le général Amisi, dit Tango Four, chef des Forces terrestres, qui exploite la principale des mines, du côté de Bisié, que les troupes de Nkunda, intégrées dans les forces gouvernementales ont pris le contrôle des mines. Il suffirait de les arrêter ou de les muter ailleurs dans le pays… »
Depuis lors, tous les comptoirs offrent le même spectacle que la parcelle de Metalchem à Goma : seuls des gardiens et des jardiniers empêchent la végétation de reprendre ses droits autour des containers verrouillés ; les broyeuses, les séchoirs sont à l’arrêt, les installations électriques déconnectées. « Chaque container contient du minerai, coltan ou cassitérite, pour une valeur de 250 à 280.000 dollars » explique le patron de Metalchem, John Kanyoni qui est aussi le vice président local de la FEC, la Fédération des entreprises du Congo. Dans la seule province du Nord Kivu, les stocks bloqués représentent une valeur de 20 millions de dollars. Deux banques de la place, qui avaient avancé des capitaux aux négociants, sont au bord de la faillite et au Nord comme au Sud Kivu, le commerce fonctionne au ralenti, l’argent ne circule plus.
« Avec les devises apportées par les ONG internationales, le secteur minier était le principal moteur de l’économie du Nord Kivu » poursuit Kanyoni. « L’interdiction de la commercialisation affecte tous les secteurs : le commerce de détail, les assurances, le transport… Les recettes fiscales de la province sont en chute libre. » L’homme d’affaires reconnaît cependant que si le secteur minier payait deux millions de dollars par mois au titre d’impôts et de taxes, la moitié seulement de cette somme rentrait dans les caisses de l’Etat, l’autre partie s’évaporait sur les barrières dressées par les militaires et dans des ponctions diverses…
Le Mwami Alexandre Bamongo, l’un des chefs coutumiers de Walikale, confirme que dans son fief, la situation est dramatique : « la révolte gronde car il est interdit aux creuseurs de se rendre sur les carrés miniers. Or, vu le manque de routes qui permettraient d’écouler les produits agricoles, l’absence d’écoles, il n’y a pas d’autres débouchés pour les jeunes… »
Walikale… Sur la route de Kisangani, accessible uniquement par voie aérienne (les appareils se posent sur un lambeau de route), la petite ville au milieu de la forêt a longtemps fait figure d’enfer ou d’Eldorado. Pour tous ceux qui voulaient tenter leur chance dans les mines, c’était la terre promise, délivrant aux creuseurs le coltan, la cassitérite, l’or, les diamants. Des milliers de Hutus en cavale, d’anciens enfants soldats démobilisés s’y sont reconvertis en creuseurs.
Jusqu’en septembre dernier, on ne comptait pas moins de quinze à trente rotations aériennes par jour ; les petits porteurs amenaient dans la ville des produits de première nécessité, la viande et la bière, les légumes et les vêtements sans oublier la bimbeloterie chinoise, et ils repartaient chargés de produits miniers qui prenaient la direction des comptoirs de Goma et de Bukavu.
A chaque rotation, les pilotes payaient 1000 dollars au titre de taxes : « Walikale assurait 60% des recettes fiscales de la province » précise le chef coutumier.
Aujourd’hui ce Far West vit au ralenti, la colère gronde parmi les commerçants privés de marchandises et de clients tandis que les creuseurs interdits d’accès aux carrés miniers songent à reprendre les armes, un business qui continue à être lucratif : le groupe dirigé par un certain Cheka n’a pas hésité à s’emparer d’un équipage indien de la Monusco et l’a sans doute relâché moyennant discrète rançon…. L’abbé Arsène, qui fut le principal négociateur de cette libération, assure que Cheka et ses hommes étaient révoltés : « chassés des carrières, ils n’arrivent plus à vivre. » Mais il y a pire : Cheka a reconnu que ses hommes étaient responsables des viols massifs commis à Luvungi, où en septembre plus de 300 femmes ont été attaquées. « C’était une manière d’attirer sur eux l’attention de la communauté internationale, puisque désormais c’est des viols que l’on parle, plus que des tueries… »
Cependant les mines de Walikale sont loin d’être à l’arrêt : la nuit, les creuseurs y retournent comme des fourmis et surtout les militaires qui en contrôlent l’accès continuent à y envoyer des civils : « c’est une sorte de salongo, de travail obligatoire, on doit creuser pour eux durant deux jours par semaine » dit le chef coutumier.
A Goma, un officier issu des rangs du mouvement rebelle de Nkunda, nous confie :« pour les militaires, rien n’est plus facile que contourner l’embargo : ils chargent le coltan dans leurs camions, passent la frontière rwandaise et se font payer à raison d’un dollar le kilo. Cinq tonnes de coltan envoyés vers le Rwanda, cela rapporte 5000 dollars…Nous n’avons même plus la concurrence des civils… »
Cette semaine, une délégation de plusieurs généraux, venus de Kinshasa, a été envoyée à Walikale par le président Kabila : « une sorte de tournée d’inspection » explique l’un d’entre eux, « il faut remettre de l’ordre dans la filière »
Cette sollicitude soudaine fait sourire nos interlocuteurs de la société civile : «tout le monde sait que c’est le général Amisi, dit Tango Four, chef des Forces terrestres, qui exploite la principale des mines, du côté de Bisié, que les troupes de Nkunda, intégrées dans les forces gouvernementales ont pris le contrôle des mines. Il suffirait de les arrêter ou de les muter ailleurs dans le pays… »
Alors que le Kivu fut son bastion électoral, où il remporta plus de 90% des voix, la popularité du président Kabila est en chute libre, l’embargo sur la commercialisation des minerais, une décision prise à la hâte, sans mesure d’accompagnement, est unanimement critiqué. Comment expliquer cette sorte de coup de poing sur la table ? D’aucuns avancent qu’une société russe se verra bientôt confier toute l’exploitation minière de Walikale et que les creuseurs seront invités à se reconvertir dans l’agriculture.
Mais pour John Kanyoni, la réponse est à chercher du côté de Washington : « sous la pression d’un lobby puissant, animé par des groupes miniers canadiens et américains, le Congrès a voté en juillet dernier la loi Dodd-Frank donnant moins d’un an au secteur minier congolais pour se mettre en ordre et répondre aux exigences de traçabilité. Faute de quoi, les minerais venant de RDC et aussi de tous les pays voisins (soit un tiers de l’Afrique) seront tout simplement interdits aux Etats unis.
Cette mesure semble inspirée par le souci de bannir les « minerais de sang » ; en réalité, la mise hors la loi du tantale congolais provoquera la hausse des cours mondiaux, qui passeront de 40 à plus de 100 dollars la livre. Une aubaine pour des mines canadiennes ou australiennes, qui redeviendront rentables en assurant à leurs acheteurs qu’elles proposent du minerai plus cher certes, mais « propre »…
Source: Carnet de Colette Braeckman, début DECEMBRE 2010
Mais pour John Kanyoni, la réponse est à chercher du côté de Washington : « sous la pression d’un lobby puissant, animé par des groupes miniers canadiens et américains, le Congrès a voté en juillet dernier la loi Dodd-Frank donnant moins d’un an au secteur minier congolais pour se mettre en ordre et répondre aux exigences de traçabilité. Faute de quoi, les minerais venant de RDC et aussi de tous les pays voisins (soit un tiers de l’Afrique) seront tout simplement interdits aux Etats unis.
Cette mesure semble inspirée par le souci de bannir les « minerais de sang » ; en réalité, la mise hors la loi du tantale congolais provoquera la hausse des cours mondiaux, qui passeront de 40 à plus de 100 dollars la livre. Une aubaine pour des mines canadiennes ou australiennes, qui redeviendront rentables en assurant à leurs acheteurs qu’elles proposent du minerai plus cher certes, mais « propre »…
Source: Carnet de Colette Braeckman, début DECEMBRE 2010
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