Quatre mois après la suspension de l'exploitation et la commercialisation des minerais dans les provinces de l'ex- Kivu (Nord-Kivu, Sud- Kivu et Maniema) par le président de la République Démocratique du Congo (RDC), je me suis rendu à Walikale pour découvrir ce qui se passait réellement sur terrain surtout que j'avais palpé les réalités de cette zone minière quelques mois avant que cette mesure ne soit prise.
Du boom au chaos
La population de Njingala, un centre de négoce à l'entrée du carré minier de Bisie, était estimée à 20.000 âmes, qui vivaient du boom de l'exploitation minière : les boutiques proposaient diverses marchandises, alors qu'une multitude de restaurants et de bistrots accueillaient les visiteurs. Aujourd'hui j'ai de la peine à reconnaître ce centre qui m'a accueilli il y a seulement huit mois.
Mubalama, un boucher de renom de la place explique ce qui est arrivé :
" Depuis la suspension de l'exploitation des minerais de Bisie, ce centre n'existe plus ; vous ne pouvez même plus avoir des cacahuètes sur la route, pas de restaurant ; auparavant, nous abattions sept vaches par jour ; pour le moment il nous faut sept jours pour écouler un quartier ; nous séchons la chair de vache comme la viande boucanée et malgré cela il n'y a plus de clients ; tous les commerçants sont partis et l'argent ne circule plus… "
Un autre habitant, naguère transporteur qui faisait des navettes entre Njingala et Bisie, d'ajouter : " Est-ce que réellement Kabila est un président de la République, quelqu'un qui fait souffrir sa population jusqu'à ce niveau ? Nous attendons voir aux prochaines élections. Il n'aura plus jamais nos voix comme en 2006. Tu vois, moi, je vivais grâce à la cassitérite que je transportais sur ma tête ; maintenant, pour survivre, je suis obligé d'aller voler du manioc dans les champs d'autrui ; il m'arrive de boire seulement de l'eau au sel pendant trois jours. Je ne peux pas rentrer chez-nous au Sud-Kivu sans argent, je préfère mourir ici à Njingala si l'on ne lève pas la mesure de suspension des minerais… "
Ils sont nombreux d'autres transporteurs et creuseurs artisanaux qui errent ainsi dans la nature et qui vivent dans ces conditions ; ils n'ont pas été en mesure d'aller chez eux et ils attendent sur place, impatiemment, la levée de la mesure présidentielle de suspension.
Mubi, un autre centre de négoce qui fait jonction avec Njingala et Umate, le carré minier aurifère le plus important du territoire de Walikale tant par la teneur et que par la quantité produite estimée à 1000 grammes d'or soit 100 tôlas par semaine, comptait bien avant la mesure de suspension des minerais environ 30.000 habitants, une centaine de voitures et 2000 motos, plus de 100 dépôts de cassitérites, plus de 10 hôtels et une trentaine de restaurants, plusieurs bistrots et un grand marché achalandé de divers articles. Aujourd'hui, ce centre ne reflète plus cette réalité, c'est la désolation.
Moins de gens circulent la journée, les véhicules et les motos sont comptés au bout de doigt ; aucun dépôt de cassitérite n'ose ouvrir ses portes, les hôtels qui proposaient des chambres à dix dollars la nuitée les offrent à quatre dollars ; le transport entre Mubi et Walikale- centre (27 km) qui coûtait 3000 FC -environ 3dollars US- coûte actuellement 1500FC ; quant aux étalages au marché, ils sont presque vides.
Mushagalusa , un commerçant de la place, a dit qu'il n'ose pas quitter le centre à cause des dettes. Il fournissait de la nourriture à un " manager " de Bisie qui avait un puits de cassitérite mais la mesure présidentielle est tombée alors qu'il n'avait pas encore été payé. Il estime à plus de 15 millions de dollars US l'argent qu'on lui doit et il compte sur la levée de la suspension et la reprise des activités minières pour recouvrer son argent.
Les autres commerçants tiennent à Mubi à cause de la fraude de l'or. Gustave est un hôtelier de la place : " Nous avons de petites recettes d'environ 50 dollars par jour. Auparavant, les hôteliers pouvaient gagner 300 dollars quotidiennement; cette mesure du Chef de l'Etat nous fait souffrir, certains parmi nous sont dans le trafic frauduleux de l'or qu'ils vont vendre vers Kisangani. L'or se manipule facilement, ce n'est pas comme la cassitérite qu'on ne peut pas cacher. Si l'or disparaissait, ce centre disparaîtrait aussi définitivement. Ce centre a été créé par le boom de l'or pendant la deuxième République -sous le règne de Mobutu- le coltan et la cassitérite ont été découverts vingt ans plus tard. C'est vrai que le mouvement a sensiblement diminué mais ceux qui sont habitués à l'exploitation de l'or vont rester et ceux-là qui vivaient de la cassitérite vont disparaître… "
Les conséquences de cette mesure ne se limitent pas seulement aux commerçants et autres trafiquants du secteur minier ; les autres secteurs de la vie sociale comme les écoles primaires, sont également secoués.
Le Directeur de l'école primaire de Bilobilo, une vieille école catholique de la contrée, a précisé qu'à la rentrée scolaire de septembre il avait un effectif de 250 élèves mais depuis le mois d'octobre le nombre a diminué jusqu'à 136 écoliers : " Je comprends que plusieurs parents ont été déstabilisés à cause de la suspension des minerais : la majorité d'entre- eux vivaient du trafic minier à Mubi et à Njingala et d'autres vendaient des produits agricoles au pied de l'avion .Tout est bloqué, les enfants aussi n'ont plus de moyens pour payer la prime des enseignants… "
L'Etat lui-même n'est pas épargné par les retombées néfastes de cette mesure. Un agent chargé de la perception des taxes de la province qui requiert l'anonymat s'estime la victime malheureuse de cette mesure : " J'achetais la cassitérite que j'envoyais à Goma ; après-vente, je versais l'argent au compte du trésor. Cette fameuse mesure a été prise pendant que je détenais un stock que je ne suis plus en mesure d'écouler, elle est d'une valeur de plus ou moins 40.000 dollars. Pour éviter les poursuites judiciaires j'ai vendu ma maison de Goma, je n'attends que la levée de cette mesure pour voir si je peux encore récupérer quelque chose… " Depuis quatre mois, il est en congé technique et, selon lui, le manque à gagner est énorme pour le trésor public : " Il n'y a plus moyen d'avoir des recettes sans exploitation de la cassitérite, je n'encaissais pas moins de 20.000 dollars par jour avec la rotation des avions ; actuellement j'ai zéro dollar, c'est un grand manque à gagner pour la province. Tous les services de l'Etat qui étaient en poste à la piste d'atterrissage de Kilambo, dans les carrés miniers et dans les différents centres commerciaux sont au chômage. C'est plus de 100 personnes et leurs familles qui souffrent de cette disposition du Président Kabila. Vous avez connu Bisie, Njingala et Mubi ? Mais allez-y aujourd'hui ; il n'y a plus de vie, plus de 70.000 personnes sont parties, elles sont aussi au chômage. Pensez-vous qu'elles soient contentes d'avoir élu un président comme Kabila qui les malmène de la sorte ? "
On n'observe plus de mouvement des masses d'argent à Walikale ; la Coopérative Imara ne ferme plus à 17 heures comme auparavant, a indiqué l'une des caissières de cette institution qui faisait de bonnes recettes pour le transfert d'argent entre Walikale et les grandes villes comme Bukavu, Goma et Kisangani : " Depuis que la cassitérite est interdite, nous clôturons nos activités à 14 heures. "
La misère est perceptible partout à Walikale -centre ; on y déplore régulièrement des cas de vols nocturnes dans les maisons d'habitation et les boutiques. Le comité territorial de sécurité a décidé de décréter un couvre-feu pour pourchasser les voleurs mais les victimes soupçonnent les militaires d'être complices de ces brigands.
Les mines aux mains des militaires
" Les carrés miniers ne peuvent pas rester sans protection sinon les groupes armés vont les envahir. ", déclare un officier des opérations militaires Amani Leo (La paix aujourd'hui) rencontré à Njingala. Malheureusement ces militaires se livreraient à l'exploitation clandestine de la cassitérite à Bisie et de l'or à Umate.
Un habitant de Njingala qui est affecté à la barrière d'entrée vers Bisie révèle que les équipes militaires se relèvent toutes les deux semaines. A leur sortie, ajoute- t-il, chaque militaire fait transporter des lots de cassitérite : " Leurs porteurs arrivent clandestinement à la tombée de la nuit et ils entreposent la cassitérite dans les maisons des militaires basés ici à Njingala ; les camions FUSO viennent charger nuitamment et transportent leur cargaison vers Kisangani. Quelques creuseurs sont restés à Bisie, ils ne sont pas nombreux et ce sont eux que les militaires utilisent. "
S'agissant de l'exploitation de l'or par les militaires à Umate , le système est le même. Les militaires qui se relèvent toutes les deux semaines imposent le salongo (travaux forcés en groupe censés être d'intérêt communautaire) dans les puits productifs, précise un commerçant en provenance de ce carré minier : " Je viens d'Umate ; je suis à la recherche de la farine pour ravitailler les creuseurs qui travaillent pour le compte des militaires en position là- bas, il n'y a pas assez de gens, il n'y a que nous qui sommes proches des militaires qui faisons ce genre de transactions. Sinon beaucoup de commerçants et de creuseurs sont déjà partis. Je sais que je cours des risques mais sitôt que je fournirai la farine au chantier j'aurai de l'or frais et la vie va continuer."
Pour Akili Mwanaloba , un commerçant de Walikale- centre, l'implication des militaires dans l'exploitation des mines aurifères relève du secret de polichinelle: " Ce n'est pas un secret : les militaires en provenance d'Umate viennent nous vendre de l'or que nous acheminons à notre tour sur Kisangani parce qu'à Bukavu la commercialisation est interdite. C'est clandestinement que nous achetons. Ces militaires pour le compte de leurs chefs. D'ailleurs le propriétaire du carré minier d'Umate, Monsieur Dimanche Katengura de la SOCAGRIMINES, s'est plaint auprès du Ministre de la défense nationale des entraves dont sa société serait victime de la part des éléments de Forces armées de la République Démocratique du Congo. "
Effectivement dans une correspondance no 00938/EMG/Comndt/2010 du 10 septembre 2010, le Chef d'Etat-major général des FARDC répond à la requête du Ministre de la défense nationale no MDNA/CAB/1574/2010 en ces termes : " … compte tenu de la gravité des faits mis à charge des éléments des FARDC et dans le souci d'assurer la sérénité et la paix sociale troublée dans cet environnement, j'enjoins le Chef d'Etat-major de la Force Terrestre qui me lit en copie de reconsidérer sa lettre no 00/0098/QG FT/Comdt/010 du 09 Février 2010 afin que soit rétabli le statu quo ante en attendant l'aboutissement des procédures judiciaires engagées. "
Ces éléments prouvent combien les militaires de la Force terrestre s'étaient déjà appropriés le Carré minier d'Umate en violation de l'ordre du Chef de l'Etat Congolais.
Pour l'instant, une trentaine de militaires sont aux arrêts à Walikale , ils seraient prévenus d'ingérence dans l'exploitation illicite des minerais. A quoi cette procédure judiciaire va-t-elle aboutir lorsqu'on sait que les commanditaires sont les officiers militaires supérieurs des FARDC ?
Un mal nécessaire ou haine contre les exploitants
" Nous, originaires de Walikale, nous saluons cette mesure prise par le Président Kabila de suspendre ces minerais qui ne nous ont profité à rien, tous ces gens sont venus piller notre richesse mais notre milieu ne se développe pas ", explique Monsieur Janda de la société civile de Walikale. Cette hypothèse est vérifiable par le fait que ce territoire reste pauvre malgré toutes les richesses dont il regorge. "Il était grand temps que tous ces Bakuyakuya (les allochtones) quittent notre territoire ", renchérit Monsieur Janda.
Cette idée est largement partagée par plusieurs autres notables de ce territoire qui ne voient pas d'investissements ni des bailleurs ni des commerçants et encore moins des opérateurs miniers dans leur terroir. Cette opposition aux exploitants miniers non originaires de Walikale date de plusieurs années. Le dernier conflit entre l'entreprise MPC et les propriétaires terriens de Bisie en est un exemple frappant.
Malheureusement les groupes armés originaires de cette entité continuent à faire la loi dans les autres carrés miniers avec la bénédiction des rebelles rwandais des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) qui sont maîtres du terrain.
Les marchands et d'autres populations locales sont insécurisés presque chaque jour dans les villages et sur la route. Les FDLR et les Maï Maï du Colonel Tcheka se comportent en véritables brigands et en coupeurs de route malgré la présence de Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC, l'armée régulière) censées les traquer.
La situation est donc critique à Walikale et si la mesure de suspension de l'exploitation minière n'est pas revue, les conséquences vont se multiplier. Déjà pour arriver à Walikale les humanitaires sont obligés d'emprunter les hélicoptères de la MONUSCO qui ne peuvent transporter aucune aide dans cette partie de la province du Nord-Kivu où toutes les routes sont impraticables.
Author: PRIMO-PASCAL RUDAHIGWA
Source: Pole Institute, de Novembre 2010
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