Dans un pays où les instituts de sondage manquent, la popularité d’un homme politique pourrait passer par les intentions de vote qu’il récolte. A Kinshasa, en République démocratique du Congo, le président réélu n’est pas aimé.
Joseph Kabila lors d'un sommet à Luanda, en Angola, le
17 août 2011. AFP PHOTO / STEPHANE DE SAKUTIN
l'auteur
Les résultats des différents scrutins auxquels s’est présenté Joseph Kabila, réélu à la présidentielle du 28 novembre
dernier, tendent à prouver que le président de la République démocratique du Congo, n’a pas la côte dans les
villes de l’Ouest. Surtout à Kinshasa, la capitale, où l’opposition a les faveurs des
Kinois.
Selon les résultats publiés par la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), à Kinshasa, Joseph Kabila récolte 30,03% de suffrages, Etienne Tshisekedi, candidat de l’opposition, fait 64,09%. A y regarder de près, on se rend compte que le leader de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) vient en tête dans les quatre circonscriptions électorales de la ville province de Kinshasa.
Kinshasa I: 29,14% pour J. Kabila et 64,01% en faveur d’Etienne Tshisekedi. Kinshasa II: Etienne Tshisekedi est largement en tête avec 71,13% et Joseph Kabila, président sortant se contente de 23,32%. Il ne fait pas mieux dans les deux autres circonscriptions, 28,53% à Kinshasa III et 37,37% à Kinshasa IV. Etienne Tshisekedi arrive encore une fois en tête avec respectivement 65,13% et 57,52%.
Jean-Pierre Bemba son principal opposant obtient 48,30% à Kinshasa. Dans les provinces du Bas-Congo et Bandundu, toujours à l’ouest, le candidat de l’opposition vient en tête avec respectivement 36,2% et 9,6%. Joseph Kabila est plébiscité à l’est du pays avec 94,6% au Sud-Kivu et 89,8% au Maniema. Il glane 70,3% en Province Orientale: 77,7% dans le Nord-Kivu, 78% au Katanga.
Au second tour de la présidentielle qui se déroule le 29 octobre de la même année, les électeurs de Kinshasa ne votent pas en masse pour lui. Joseph Kabila récolte 32% d’intentions de vote contre 68% pour Jean-Pierre Bemba.
Il faut souligner que Joseph Kabila n’est pas le seul, encore moins le premier président de la République démocratique du Congo à être confronté à cette situation. Son père Laurent-Désiré Kabila, avant le fils, a connu le même sort.
«A son arrivée en 1997, le pouvoir AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) a commis beaucoup de fautes, comme le ravissement des biens, des maisons, emprisonnements, discrimination, les soldats ex Faz envoyés à Kitona, etc. Bref, des actions ciblées contre les gens de l'Equateur et les dignitaires du régime Mobutu», explique Claude Misambo.
Il trouvera d’abord grâce aux yeux des Kinois pendant la guerre du 2 août 1998. Il y avait eu un rapprochement idéologique entre Kabila père et la population kinoise qui a vécu pendant trois semaines sans électricité, après la prise du barrage de Inga par le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie). La colère des Kinois s’est déversée sur les soldats RCD lors de leur tentative d'entrée à Kinshasa en 1998. A son décès, Kabila père sera considéré comme un héros national, mort pour la nation. Certains le regrettent jusqu’à ce jour.
Un argument qui revient très facilement dans la bouche de ceux qui le combattent et de beaucoup de Kinois. Si son père feu Laurent Désiré, bénéficiait de la reconnaissance de sa nationalité congolaise, son fils doit faire face à des doutes alimentés sur son identité, mais aussi sur sa filiation paternelle.
Comme argument, son frère Etienne Taratibu Kabila, exilé en Afrique du Sud, brandit le fait que «si Laurent Désiré était son père (NDLR: le père de l’actuel président), il aurait tout fait pour que la vérité sur son assassinat soit connue et moi, je ne serais pas en exil».
Pour ne pas être considéré comme «collabo» en manifestant visiblement son attachement à Joseph Kabila, les soutiens se font de plus en plus rare. Surtout quand est brandi l’argument de la guerre.
Author: Jacques Matand
Source: SlateAfrique, mise à jour 25/04/2012
Selon les résultats publiés par la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), à Kinshasa, Joseph Kabila récolte 30,03% de suffrages, Etienne Tshisekedi, candidat de l’opposition, fait 64,09%. A y regarder de près, on se rend compte que le leader de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) vient en tête dans les quatre circonscriptions électorales de la ville province de Kinshasa.
Kinshasa I: 29,14% pour J. Kabila et 64,01% en faveur d’Etienne Tshisekedi. Kinshasa II: Etienne Tshisekedi est largement en tête avec 71,13% et Joseph Kabila, président sortant se contente de 23,32%. Il ne fait pas mieux dans les deux autres circonscriptions, 28,53% à Kinshasa III et 37,37% à Kinshasa IV. Etienne Tshisekedi arrive encore une fois en tête avec respectivement 65,13% et 57,52%.
Désaveu ou désamour?
Au vu des derniers résultats de la présidentielle, on serait tenté de croire que les Kinois n’aiment pas Joseph Kabila. Même en 2006, face à Jean-Pierre Bemba, le candidat de l’opposition de l’époque, le président sortant n’a pas fait mieux dans la capitale Kinshasa, qui lui reste toujours hostile. Au premier tour de la présidentielle du 30 juillet 2006, dans les provinces de l’Ouest, visiblement acquise à l’opposition, il ne dépassera pas la barre des 15%; 14,7% à Kinshasa, dans le Bas-Congo et le Bandundu, il obtient respectivement 13,9% et 2,6%.Jean-Pierre Bemba son principal opposant obtient 48,30% à Kinshasa. Dans les provinces du Bas-Congo et Bandundu, toujours à l’ouest, le candidat de l’opposition vient en tête avec respectivement 36,2% et 9,6%. Joseph Kabila est plébiscité à l’est du pays avec 94,6% au Sud-Kivu et 89,8% au Maniema. Il glane 70,3% en Province Orientale: 77,7% dans le Nord-Kivu, 78% au Katanga.
Au second tour de la présidentielle qui se déroule le 29 octobre de la même année, les électeurs de Kinshasa ne votent pas en masse pour lui. Joseph Kabila récolte 32% d’intentions de vote contre 68% pour Jean-Pierre Bemba.
«L’aversion contre Joseph Kabila à Kinshasa et dans les villes de l’Ouest pourrait s’expliquer par le fait qu’il n’ait pas appris le lingala (NDLR: langue parlé à Kinshasa), et le fait de n’avoir jamais établi la moindre continuité avec la Conférence nationale souveraine pour laquelle l’Ouest s’était particulièrement engagé. Elle est persistante et toute fois nuancée par le changement d’adversaire, Jean-Pierre Bemba en 2006 et Etienne Tshisekedi en 2011» , croit savoir Claude Misambo, un analyste politique.Peter qui aborde dans le même sens estime:
«En plus du fait que Joseph Kabila ne parle pas le lingala, il est rejeté à Kinshasa parce qu’il n’est pas kinois. On ne le comprend pas et il ne sort pas beaucoup dans la ville. On ne le cite pas dans les chansons célèbres (sauf à l'occasion des élections). Il n'honore aucune grande bière de Kinshasa, ni un grand musicien. Ce n’est pas un sapeur. Contrairement au Kinois typique qui est un dilettante, menant une existence sans épaisseur, qui aime l’ambiance et qui n'investit pas dans le temps. C’est une question de mentalité. Et Joseph Kabila est loin de tout ce qui fait la spécificité des Kinois.»
Un parcours atypique
Le Président Joseph Kabila souffrirait aussi de son parcours atypique, auquel les Congolais ne sont pas habitués.«Comment quelqu’un dont le parcours scolaire est flou peut-il diriger un grand pays comme le Congo?», s’étonne Willy.Pour Taky, ce n'est pas seulement Joseph Kabila que l’on rejette, mais aussi tout ceux qui sont dans son entourage et qui travaillent avec lui pour ne rien faire de concret pour l’amélioration des conditions de vie des populations.
«Les Kinois ne peuvent pas aimer et accepter de se faire diriger par quelqu’un qui n’a jamais assumé des fonctions publique et politique; même pas commissaire de commune. C’est inadmissible», tranche-t-il.
Il faut souligner que Joseph Kabila n’est pas le seul, encore moins le premier président de la République démocratique du Congo à être confronté à cette situation. Son père Laurent-Désiré Kabila, avant le fils, a connu le même sort.
«A son arrivée en 1997, le pouvoir AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) a commis beaucoup de fautes, comme le ravissement des biens, des maisons, emprisonnements, discrimination, les soldats ex Faz envoyés à Kitona, etc. Bref, des actions ciblées contre les gens de l'Equateur et les dignitaires du régime Mobutu», explique Claude Misambo.
Il trouvera d’abord grâce aux yeux des Kinois pendant la guerre du 2 août 1998. Il y avait eu un rapprochement idéologique entre Kabila père et la population kinoise qui a vécu pendant trois semaines sans électricité, après la prise du barrage de Inga par le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie). La colère des Kinois s’est déversée sur les soldats RCD lors de leur tentative d'entrée à Kinshasa en 1998. A son décès, Kabila père sera considéré comme un héros national, mort pour la nation. Certains le regrettent jusqu’à ce jour.
«S’il était encore en vie, la République démocratique du Congo ne serait pas à ce niveau. Il avait une vision et un idéal pour ce pays. On ne l’a pas compris tôt», confie Franck Kavira, nostalgique.
Accusé d'être un étranger
Entre temps, Joseph Kabila doit faire face à diverses critiques. Certains de ses opposants le traitent d’étrangers. Parmi eux, Honoré Nganda de l’Apareco (Alliance des patriotes pour la reconstruction du Congo): «Hippolyte Kanambe, alias Joseph Kabila est un Rwandais, fils de….»Un argument qui revient très facilement dans la bouche de ceux qui le combattent et de beaucoup de Kinois. Si son père feu Laurent Désiré, bénéficiait de la reconnaissance de sa nationalité congolaise, son fils doit faire face à des doutes alimentés sur son identité, mais aussi sur sa filiation paternelle.
Comme argument, son frère Etienne Taratibu Kabila, exilé en Afrique du Sud, brandit le fait que «si Laurent Désiré était son père (NDLR: le père de l’actuel président), il aurait tout fait pour que la vérité sur son assassinat soit connue et moi, je ne serais pas en exil».
Kinois rebelles et têtus
Du point de vue de la sociologie politique, les Kinois ont toujours été une population qui ne s’accorde pas avec le président en exercice.«Le feu-président Mobutu a connu le même sort dans les années 90, au point qu’il a fui Kinshasa pour aller vivre à Gbadolite, son village natal, dans la province de l’Equateur», analyse le professeur Mwayila Tshiyembe.Dans cette ville cosmopolite, chacun trouve une raison de détester le président qui vient d’être réélu dans un environnement où l’opposition bénéficie des faveurs d’un large électorat.
«Patrice-Emery Lumumba, malgré le succès qu’il avait en province orientale dans les années 60, n’a pas été accueilli à bras ouvert à Kinshasa. Kasa-Vubu, le premier président du Congo a connu le même rejet. Cela peut s’expliquer par le fait que Kinshasa est la capitale de ce pays et que la vie politique y est intense. En plus, les gens y sont éveillés et plus cultivés que ceux des provinces, disons, plus sensibilisés à la chose politique, C’est pour ça que les Kinois sont difficiles à berner», argumente l'universitaire.
Pour ne pas être considéré comme «collabo» en manifestant visiblement son attachement à Joseph Kabila, les soutiens se font de plus en plus rare. Surtout quand est brandi l’argument de la guerre.
«Il est responsable des six millions de morts à l’est du pays et des femmes violées», martèle Philippe.Difficile dans ces conditions d’afficher publiquement son amour à un président qui traîne une telle image.
Author: Jacques Matand
Source: SlateAfrique, mise à jour 25/04/2012