Bernard Ntaganda, dirigeant du parti d'opposition rwandais
PS-Imberakuri, lors de son procès pour atteinte à la sûreté de l'État (parmi
d'autres chefs d'inculpation) à Kigali le 7 janvier 2011. Le 11 février,
Ntaganda a été jugé coupable et condamné à 4 ans de prison à l'issue d'un procès
qualifié de « politique » par Human Rights Watch.
« L’arrestation de
Ntaganda et les poursuites engagées contre lui ont, dès le départ, eu un
caractère politique. L’emprisonnement d’un homme politique de l’opposition
uniquement pour avoir critiqué les politiques de l’État n’a pas sa place dans
une société démocratique. »
(Nairobi, le 27 avril 2012) – La confirmation
par la Cour Suprême du Rwanda de la peine d’emprisonnement de quatre ans
prononcée à l’encontre de Bernard Ntaganda, un dirigeant de l’opposition, est un
coup dur pour ceux qui avaient espéré que la Cour protégerait la liberté
d’expression, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ntaganda, président
fondateur du PS-Imberakuri, un parti d’opposition, est un détracteur du
gouvernement parmi d’autres, dont deux journalistes, qui restent en prison
uniquement pour avoir légitimement exprimé leurs points de vue.
Dans son
jugement du 27 avril 2012, la Cour Suprême qui siège dans la capitale rwandaise,
Kigali, a confirmé les chefs d’atteinte à la sûreté de l’État et de «
divisionnisme » – incitation aux divisions ethniques – à l’encontre de
Ntaganda.
« L’arrestation de Ntaganda et les poursuites engagées contre
lui ont, dès le départ, eu un caractère politique », a fait remarquer Daniel
Bekele, directeur de la Division Afrique de Human Rights Watch. «
L’emprisonnement d’un homme politique de l’opposition uniquement pour avoir
critiqué les politiques de l’État n’a pas sa place dans une société
démocratique. »
Human Rights Watch a recueilli des informations sur
d’autres cas dans lesquels des lois et chefs d’accusation tels que l’atteinte à
la sûreté de l’État et l’incitation à la désobéissance civile ont été utilisés
pour poursuivre en justice et intimider les détracteurs du
gouvernement.
Ntaganda a été arrêté le 24 juin 2010 lors d’une vague de
répression à l’encontre des partis de l’opposition, de journalistes et d’autres
voix jugées critiques à l’égard du gouvernement, à l’approche du scrutin
présidentiel d’août 2010. Il a été inculpé d’atteinte à la sûreté de l’État, de
« divisionnisme » et de tentative d'organiser des manifestations sans
autorisation. Le 11 février 2011, il a été condamné à quatre ans de prison ainsi
qu’à une amende.
La Cour Suprême a prononcé son verdict dans l’affaire
Ntaganda exactement trois semaines après son jugement dans une autre affaire
importante – celle des journalistes du journal Umurabyo, Agnès Uwimana et
Saidati Mukakibibi. Ces deux journalistes, arrêtées en juillet 2011, ont été
condamnées en février 2011 à respectivement 17 et 7 ans de prison en lien avec
des articles jugés critiques à l’égard du gouvernement et du Président Paul
Kagame.
Elles ont interjeté appel du verdict et, le 5 avril 2012, la Cour
Suprême a réduit leurs peines à quatre ans et trois ans respectivement. Elle a
confirmé le chef d’atteinte à la sûreté de l’État à l’encontre des deux femmes,
ainsi que celui de diffamation à l’encontre d’Uwimana, la rédactrice en chef du
journal. Elle a par contre acquitté Uwimana des chefs de minimisation du
génocide de 1994 et de divisionnisme.
« Si la Cour Suprême se souciait un
tant soit peu de protéger la liberté d’expression garantie par la loi, elle
aurait dû acquitter ces deux journalistes, tout comme elle aurait dû acquitter
Ntaganda », a fait remarquer Daniel Bekele. « La réduction des peines de ces
journalistes est quelque part un soulagement, mais elles ne devraient pas être
tenues de passer un seul jour en prison. »
Le Rwanda s’est engagé dans un
processus de réformes juridiques et autres relatives aux médias. Plusieurs
gouvernements bailleurs de fonds se sont empressés de saluer ces propositions de
loi. La marge de manœuvre dont jouissent le journalisme indépendant et les
reportages d’investigation au Rwanda reste toutefois très étroite.
« Les
nouvelles propositions de loi relatives aux médias contiennent des amendements
positifs, tels que la suppression d’exigences professionnelles pesantes pour les
journalistes, mais ces réformes resteront du domaine de la théorie aussi
longtemps que des journalistes tels qu’Uwimana et Mukakibibi croupiront en
prison pour avoir publié des articles critiques », a souligné Daniel Bekele. «
Le Rwanda devrait également abolir la diffamation en tant qu’infraction pénale.
»
Contexte
La liberté d’expression et la liberté d’association sont
soumises à de sérieuses restrictions au Rwanda. Près de deux ans après le
scrutin présidentiel qui a vu la réélection du Président Kagame avec plus de 93
pour cent des voix, le pays n’a toujours pas de partis d’opposition en état de
fonctionner.
Le PS-Imberakuri se trouve fortement affaibli depuis
l’arrestation de Ntaganda. En mars 2010, des membres du Front patriotique
rwandais (FPR, le parti au pouvoir), en collaboration avec des membres
dissidents du PS-Imberakuri, ont orchestré la prise de contrôle du PS-Imberakuri
et remplacé Ntaganda par une nouvelle direction accommodante. Cette aile du
parti n’est pas connue pour avoir critiqué le gouvernement.
Les membres
du parti demeurés fidèles à Ntaganda ont fait l’objet d’intimidations et de
menaces. Deux membres du PS-Imberakuri, Sylver Mwizerwa et Donatien Mukeshimana,
sont toujours incarcérés après avoir été condamnés en août 2011 à trois ans et
deux ans de prison respectivement pour « rébellion » et destruction de biens
privés, soi-disant pour être entrés par effraction dans les locaux du
PS-Imberakuri après que le propriétaire en eut repris possession.
Les
FDU-Inkingi, autre parti d’opposition, se trouvent également affaiblies depuis
l’arrestation de leur dirigeante, Victoire Ingabire, en octobre 2010. Ingabire a
été inculpée de six délits, entre autres d’actes terroristes en lien avec des
accusations de collaboration avec des groupes armés en République démocratique
du Congo, d’ « idéologie du génocide » et de « divisionnisme ». Son procès, qui
a débuté en septembre 2011, a connu de nombreux retards et contretemps. Le 16
avril, Ingabire a annoncé qu’elle allait boycotter le reste de son procès après
qu’un témoin de la défense eut décrit des événements semblant constituer des
tentatives d’intimidation à son égard.
Le témoin avait mis à mal la
crédibilité des preuves fournies par l’un des co-accusés d’Ingabire qui, selon
ses dires, avait peut-être été incité à incriminer Ingabire. Sur ordre du
ministère public, les autorités pénitentiaires ont fouillé la cellule du témoin
– qui purge une peine de prison – et, comme le témoin l’a confirmé à la cour,
tous ses documents personnels ont été saisis, y compris des notes qu’il avait
préparées pour sa déposition devant la cour. Au tribunal, le ministère public a
confirmé la fouille en produisant les notes. Dans le cadre d’une procédure
extrêmement inhabituelle, le témoin avait également été interrogé en dehors du
tribunal par les autorités pénitentiaires, sans la présence d’un avocat.
En avril 2011, deux autres membres des FDU-Inkingi, Anastase Hagabimana
et Norbert Manirafasha, ont été arrêtés en lien avec un projet de communiqué de
leur parti critiquant une hausse du coût de la vie au Rwanda. Manirafasha a
passé deux semaines en prison et Hagabimana quatre mois. Tous deux ont été
libérés.
Un troisième parti d’opposition, le Parti vert démocratique du
Rwanda, se trouve dans l’incapacité de fonctionner depuis le meurtre de son
vice-président en juillet 2010. Dans la foulée du décès du vice-président, le
président du parti a fui le pays et est toujours en exil.
Les
perspectives demeurent également sombres pour les journalistes indépendants au
Rwanda. À la suite de la suspension de deux journaux indépendants populaires,
Umuseso et Umuvugizi, et du meurtre d’un journaliste d’Umuvugizi, Jean-Léonard
Rugambage, en 2010, plusieurs éminents journalistes indépendants ont fui le
pays. D’autres ont choisi de garder le silence ou de limiter leurs reportages à
des sujets ne prêtant pas à controverse.
Des personnes moins en vue ont
également été réprimées pour avoir critiqué les politiques de l’État. Ainsi,
l’Abbé Émile Nsengiyumva, un prêtre de Rwamagana, dans l’est du Rwanda, purge
une peine de 18 mois de prison après avoir été reconnu coupable d’atteinte à la
sûreté de l’État et d’incitation à la désobéissance civile. Il a été arrêté en
décembre 2010 après s’être élevé contre certaines politiques gouvernementales,
notamment un projet prévoyant de détruire des maisons à toit de chaume (connues
sous le nom de nyakatsi) au profit de logements plus durables ainsi que des
propositions visant à introduire des restrictions en matière de planification
familiale.
Source: Human Rights
Watch, du 28/04/2012
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