Ayman Al-Zawahiri, le cerveau d'Al-Qaïda
Oussama ben Laden, tué dans la banlieue d'Islamabad par un raid américain dimanche matin était la figure proue d'Al Qaïda, mais le véritable cerveau de l'organisation est l'égyptien Ayman Al-Zawahiri.
Depuis les attentats du 11 septembre, il y a deux ans, les Etats-Unis ont consacré des milliards de dollars à la destruction de leur organisation. Eux-mêmes sont recherchés morts ou vifs, selon la formule du président Bush. Que l'un ou l'autre abandonne sa cache, qu'il passe un simple coup de fil ou qu'il envoie un courrier électronique, et il court le risque d'une arrestation, voire d'un bombardement «ciblé». Depuis que leur tête a été mise à prix - 25 millions de dollars par personne - ils vivent dans la crainte d'une trahison... Plus de sept cents jours après les attentats de New York et de Washington, cependant, les nos 1 et 2 d'Al-Qaeda restent introuvables. Non seulement Oussama ben Laden et Ayman al-Zawahiri n'ont pas été mis hors d'état de nuire, mais ils prennent régulièrement la parole par le biais de messages diffusés par les chaînes de télévision satellitaires arabes. Le nom de Ben Laden est devenu synonyme de terrorisme planétaire et d'islamisme fanatisé. Mais que penser de son proche compagnon, cet homme au turban blanc et aux grosses lunettes que l'on aperçoit à ses côtés sur toutes les séquences vidéo? A l'époque des attentats du 11 septembre, on ne savait pas grand-chose d'Ayman al-Zawahiri, si ce n'est qu'il était d'origine égyptienne et avait exercé le métier de chirurgien. Avec le temps, toutefois, son rôle apparaît comme déterminant au sein d'Al-Qaeda. Alors que Ben Laden apporte son charisme et son financement indispensable, c'est l'Egyptien, soulignent les spécialistes des agences de renseignement, qui fournit au mouvement ses racines intellectuelles et idéologiques.
C'est lui, aussi, qui développe peu à peu sa stratégie mondiale. Partisan d'une lutte sans merci contre les Etats-Unis, en particulier, serait le principal organisateur des attentats antiaméricains de ces cinq dernières années, de ceux contre les ambassades des Etats-Unis en Afrique, en 1998, aux attaques du 11 septembre 2001, en passant par l'assaut contre l'USS Cole, l'un des destroyers les plus modernes de la marine américaine, frappé dans le port d'Aden, au Yémen, le 12 octobre 2000. A présent, selon les spécialistes du contre-terrorisme, l'Egyptien chercherait à implanter Al-Qaeda en Irak. Mais qui est ce combattant infatigable de l'islamisme radical? Et comment cet intellectuel brillant a-t-il basculé dans le monde clandestin du terrorisme?
Ayman al-Zawahiri est né dans une banlieue paisible de la capitale égyptienne, le 19 juin 1951, au sein d'une famille conservatrice de médecins et d'enseignants. Son grand-père était directeur de l'université du Caire et fondateur de celle du Roi-Fahd, en Arabie saoudite. Le nom de Zawahiri était illustre dans le monde religieux aussi: en 1929, le grand-oncle d'Ayman était devenu grand imam de la mosquée d'Al-Azhar, au c?ur de la capitale, l'un des principaux lieux de l'enseignement islamique dans le monde. Dans le quartier de Maadi, où il grandit, le garçon acquiert la réputation d'un enfant taciturne, certes, mais brillant: «Il comprenait en cinq minutes ce que les autres élèves mettaient une heure à saisir, se souvient, dans l'hebdomadaire américain The New Yorker (1), l'un de ses anciens compagnons de classe. Il avait quelque chose de génial.»
Très tôt, Ayman est fasciné par la stature intellectuelle de Sayyid Qutb, un ancien critique littéraire devenu théoricien de l'islamisme radical. Qutb est accusé de complot en vue de renverser le gouvernement, condamné à mort et pendu le 29 août 1966. L'événement bouleverse l'adolescent. Agé tout juste de 15 ans, il fonde le jour même, dans son école, une cellule clandestine de la confrérie des Frères musulmans. L'humiliation de la guerre des Six-Jours, l'année suivante, remportée de manière décisive par Israël, décuple son ardeur.
Pour Ayman al-Zawahiri et ses compagnons, la priorité est de purifier la société musulmane et de défaire le régime séculier du président Nasser - l' «ennemi proche», dans la terminologie du Jihad. Leur objectif est de rétablir le califat, le pouvoir des religieux islamiques, afin que leur pays devienne un point de ralliement pour le reste du monde musulman. «Alors, écrira ensuite Zawahiri, l'Histoire connaîtra un nouveau virage et prendra, si Dieu le veut, le chemin opposé à celui de l'empire américain et du gouvernement juif mondial.»
Promoteur des attentats suicides
A la tête du Jihad islamique égyptien, Ayman al-Zawahiri est l'un des premiers islamistes à avoir recours aux attentats kamikazes, malgré de puissants tabous religieux interdisant le suicide et le meurtre d'innocents. En 1983, le Hezbollah a certes utilisé des camions chargés d'explosifs contre l'ambassade américaine, le quartier général des marines à Beyrouth, au Liban, et contre le Drakkar français, mais ce genre d'opérations faisait alors exception. Al-Zawahiri est le premier, aussi, à faire enregistrer sur une cassette vidéo les voeux des volontaires à la veille de leur mission. Ce recours aux techniques audiovisuelles est l'une de ses priorités. En 1996, lors d'un bref passage aux Pays-Bas, l'Egyptien aurait cherché à convaincre des investisseurs arabes de créer une chaîne de télévision d'orientation fondamentaliste afin de faire contrepoids à la chaîne Al-Jazira, lancée peu de temps auparavant par le Qatar et réputée trop laxiste à son goût (en raison de la présence de femmes présentatrices, en particulier). Aujourd'hui encore, Ben Laden et Al-Zawahiri ont recours aux enregistrements audiovisuels dans l'espoir de frapper les esprits et de déclencher de nouvelles vocations.Deux ans plus tard, alors qu'il remplace un médecin dans une clinique des Frères musulmans, au Caire, le directeur de l'établissement lui demande s'il aimerait l'accompagner au Pakistan afin de venir en aide aux réfugiés afghans; ils sont des milliers à franchir la frontière à la suite de l'invasion soviétique, quelques mois plus tôt. Zawahiri accepte. Sur place, dans la ville frontalière de Peshawar, où il travaille pendant quatre mois pour le compte du Croissant-Rouge, il découvre le courage des moudjahidine afghans. Leur combat, écrira-t-il ensuite, constituait un entraînement pour «la bataille tant attendue contre la superpuissance qui, désormais, exerce seule sa domination sur le monde, à savoir les Etats-Unis». A cette époque, un jeune homme d'affaires saoudien âgé de 23 ans, Oussama ben Laden, multiplie déjà les voyages entre le Pakistan et l'Arabie saoudite afin de lever des fonds pour les combattants afghans...
Entre-temps, en 1979, l'ayatollah Khomeini s'est emparé du pouvoir en Iran, un pays relativement moderne et prospère. Les islamistes égyptiens voient dans cet épisode un encouragement à multiplier les actions violentes. D'autant que l'Egypte a approuvé par référendum, en avril 1979, un traité de paix avec Israël: les plus radicaux qualifient désormais Sadate d'hérétique. Ce qui revient, dans la loi islamique, à autoriser son assassinat.
Au mois de septembre 1981, le chef de l'Etat égyptien ordonne l'arrestation de 1 500 personnes: islamistes, marxistes, leaders syndicaux, intellectuels. Zawahiri passe entre les mailles du filet. Anouar el-Sadate est assassiné par l'un de ses soldats militants du Jihad islamique, le 6 octobre 1981. Dans un témoignage ultérieur, Al-Zawahiri, fondateur de l'organisation, jura qu'il n'apprit l'existence du projet d'attentat qu'au matin du jour fatidique. Reste que le médecin est arrêté et jeté en prison. Il y est torturé et battu à coups de bâton, selon un avocat islamiste, Montasser al-Zayat. Cette expérience le transforme, selon ses proches: à sa libération, en 1984, Ayman al-Zawahiri est devenu un extrémiste fanatique et violent.
A 33 ans, c'est déjà une personnalité très en vue. Outre qu'il anime depuis plus de quinze ans un groupe islamiste clandestin, ses talents d'orateur se sont affirmés au fil des débats incessants auxquels il participe dans la prison. Sa maîtrise de l'anglais lui permet, lors de son procès, d'apostropher les journalistes étrangers: désigné comme porte-parole par les quelque 300 autres accusés, il se découvre un don pour le commandement.
Les juges n'ayant rien à lui reprocher, si ce n'est un port d'arme illégal, Al-Zawahiri est donc libéré après trois ans. Il décide de quitter l'Egypte et, après un court séjour en Arabie saoudite, s'installe à nouveau au Pakistan. Dès son arrivée, il se rapproche de Ben Laden, dont la fortune semble sans limites. Entre 1986 et 1988, Al-Zawahiri place des membres de confiance du Jihad islamique autour du Saoudien et devient peu à peu son médecin personnel. Les deux hommes s'apprécient. Ils ont pratiquement le même âge, sont issus de milieux aisés et ont fait des études supérieures. Surtout, ils poursuivent le même dessein et leurs expériences sont complémentaires: le premier a du charisme et beaucoup d'argent; le second est un intellectuel possédant une longue expérience de la clandestinité.
Sayyid Qutb, son maître à penser
Comme de nombreux autres partisans de l'islamisme radical, Ayman al-Zawahiri décrit Sayyid Qutb comme son mentor. Cet Egyptien, né en 1906, est un critique littéraire réputé du Caire lorsqu'il part, de 1948 à 1950, enseigner dans une université du Colorado (Etats-Unis). «L'Américain est primaire dans sa quête éperdue du pouvoir qui lui fait oublier idéaux, bonnes manières et principes», écrit-il à son retour. Devenu musulman militant, Qutb estime que la société islamique doit être purifiée de toute influence occidentale. Membre de la confrérie des Frères musulmans, soupçonné d'avoir participé à une tentative d'assassinat contre le président Nasser, il est, en 1954, jeté en prison, où il aurait été longuement torturé. Sorti clandestinement par des amis, le manuscrit de son ouvrage, Repères, circule sous le manteau. Libéré en 1964, il est arrêté l'année suivante et accusé de complot en vue de renverser le gouvernement. Sayyid Qutb est condamné à mort et pendu le 29 août 1966.Le milliardaire retourne alors en Arabie saoudite, officiellement pour travailler dans l'entreprise familiale. L'année suivante, quand Saddam Hussein envahit le Koweït voisin, Ben Laden propose à la famille royale que ses compagnons moudjahidine contribuent à la défense du territoire. A Riyad, toutefois, le gouvernement fait appel à l'armée américaine, tout en promettant que les étrangers quitteront rapidement le pays. Un an après la fin de la guerre du Golfe, les forces américaines sont toujours en place et Oussama se sent trahi.
Il retourne alors en Afghanistan. Mais les diverses factions des moudjahidine sont déchirées par des luttes intestines qui préfigurent la guerre civile à venir. Dépité, Ben Laden s'installe au Soudan. Ayman al-Zawahiri le rejoint; depuis la fin de la guerre en Afghanistan, son mouvement est en manque de fonds. Mais le Saoudien rechigne à financer une organisation en désaccord perpétuel avec sa principale rivale égyptienne, le Groupe islamique.
Ayman al-Zawahiri part alors chercher de l'argent aux Etats-Unis. Sans grand succès. A son retour au Soudan, il travaille de plus en plus étroitement avec Ben Laden, au point que la plupart des membres de son mouvement sont bientôt financés par Al-Qaeda. Peu à peu, le Jihad islamique reprend ses actions en Egypte. En août 1993, ses hommes tentent d'assassiner le ministre de l'Intérieur... qui s'en tire avec un simple bras cassé. En novembre, une bombe destinée au Premier ministre rate sa cible et tue une jeune fille de 12 ans. Cette même année, surtout, les policiers égyptiens découvrent dans un ordinateur tous les noms et adresses de l'ensemble des militants du Jihad islamique, y compris les identités utilisées sur les faux passeports. Quelque 300 personnes sont déférées devant les tribunaux militaires et l'organisation perd pratiquement toute sa base égyptienne.
Al-Zawahiri se met en quête d'un nouveau sanctuaire et d'autres sources de financement. Au fil des années, il se rend dans les Balkans, en Autriche, au Yémen, en Irak, en Iran, aux Philippines et même en Argentine. En décembre 1996, il est arrêté en Tchétchénie. Les autorités russes omettent de faire traduire les textes en arabe contenus dans son ordinateur; son identité reste secrète et le voyageur, condamné pour absence de visa, écope simplement de 6 mois de prison (2).
Témoin à charge
Avocat islamiste égyptien, Montasser al-Zayat a été un proche d'Ayman al-Zawahiri: les deux hommes ont même partagé, dans les années 1980, la même cellule de prison! Cependant, dans son ouvrage publié au Caire en février 2002, Ayman al-Zawahiri tel que je l'ai connu, le juriste critique sévèrement son ancien compagnon. Les attentats du 11 septembre, écrit-il, représentent une «catastrophe sans précédent pour le mouvement islamique». Al-Zayat accuse Al-Zawahiri d'avoir révélé autrefois sous la torture le nom de plusieurs de ses compagnons d'armes, provoquant leur arrestation et, pour certains, leur exécution. Ce serait un sentiment de honte né de cet épisode, selon lui, qui expliquerait le départ du médecin pour l'Afghanistan, au milieu des années 1980. L'ouvrage de Montasser al-Zayat est l'un des premiers qui décrive la mouvance islamiste radicale de l'intérieur et sa publication fait sensation en Egypte. Six mois après sa sortie, cependant, son éditeur subit des menaces et décide d'interrompre sa diffusion.Le 23 février 1998, enfin, Al-Zawahiri scelle officiellement son alliance avec ben Laden, lors de la création d'un Front international islamique pour le jihad contre les juifs et les croisés. Selon un témoin le Saoudien déclare aux membres du Jihad que leurs opérations en Egypte sont inefficaces et trop coûteuses. Le principal objectif sera désormais les Etats-Unis, assure-t-il, non seulement dans la région arabe mais dans le monde entier. Six mois plus tard, le 7 août, deux attentats suicides simultanés détruisent les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie (223 morts). Le 20, le président Clinton ordonne le bombardement des camps d'entraînement afghans et d'une celui usine de médicaments au Soudan, soupçonnée de fabriquer des armes chimiques. Dès le lendemain, Al-Zawahiri joint au téléphone un journaliste pakistanais: «Dites à l'Amérique que ses bombardements, ses menaces et ses actes d'agression ne nous effraient pas. La guerre ne fait que commencer.»
Le 12 octobre 2000, Al-Qaeda frappe le destroyer USS Cole, dans le port d'Aden (Yémen). Et en juin 2001, enfin, le Jihad islamique et Al-Qaeda se fondent dans une entité unique.
Dans la journée du 11 septembre 2001, Ayman al-Zawahiri et Oussama ben Laden s'enfuient dans les montagnes, où ils suivent à la radio l'enchaînement des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone. Selon un membre de la CIA, cité par l'hebdomadaire The New Yorker, on entendit ce jour-là un membre d'Al-Qaeda expliquer au téléphone que les attaquants avaient mené à bien le «programme du docteur».
Depuis lors, les deux hommes se terrent. Parmi leurs compagnons d'armes, beaucoup auraient trouvé refuge en Iran. Quant à Ben Laden et Al-Zawahiri, on les a dits au Yémen, en Somalie, en Irak, en Iran, en Egypte, en Tchétchénie, aux Philippines, en Indonésie, au Bangladesh, en Birmanie et, naturellement, au Pakistan. Afin d'échapper à la surveillance des satellites espions, leurs consignes seraient transmises oralement aux militants, par le biais de messagers. Et, à l'intention du monde arabe, ils multiplient des déclarations publiques dont la véracité est authentifiée par les services de renseignement américains
Dans sa dernière intervention en date, diffusée le 3 août 2003 sur la chaîne de télévision Al-Arabiya, Al-Zawahiri met en garde Washington: «Ce que l'Amérique voit jusqu'à présent ne constitue que de premières escarmouches, déclare-t-il. La grande bataille n'a pas encore commencé.»
(1) L'article remarquable de Lawrence Wright (The New Yorker du 16 septembre 2001) est un texte de référence concernant Ayman al-Zawahiri.
(2) Cet épisode fait l'objet d'un texte rédigé par Al-Zawahiri en personne sur son ordinateur. La machine a été découverte ensuite à Kaboul par deux journalistes américains du Wall Street Journal.
(2) Cet épisode fait l'objet d'un texte rédigé par Al-Zawahiri en personne sur son ordinateur. La machine a été découverte ensuite à Kaboul par deux journalistes américains du Wall Street Journal.
Source: L'Express.fr
Author:Marc Epstein, publié le 11/09/2003, mis à jour le 02/05/2011 à 09:30
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