À moins d’un an de la fin de son mandat, Moïse Katumbi tire un premier bilan de son action à la tête du « poumon économique » de la RD Congo, le Katanga. Et jure vouloir désormais retourner à sa vie de businessman.
Jeune Afrique : Quel bilan tirez-vous de votre action, alors que votre mandat de gouverneur du Katanga s’achèvera en mars 2012 ?Moïse Katumbi : Il est difficile de faire soi-même un bilan, car on ne peut être à la fois juge et partie. C’est à la population katangaise de le faire.
Quels étaient vos chantiers prioritaires ?
À mon arrivée à la tête du Katanga, en mars 2007, j’ai trouvé une situation difficile. Les anciens gouverneurs avaient laissé beaucoup de problèmes, car ils avaient peu de moyens. Il fallait tout refaire, tout était prioritaire : l’éducation, la santé, les routes, l’eau, l’électricité… Or la population est très exigeante, et elle avait beaucoup augmenté, avec l’afflux de personnes venues d’autres provinces et le retour de la diaspora. Dès le début de mon mandat, nous avons élaboré un plan triennal, que nous avons présenté à l’Assemblée provinciale, et avons établi des priorités selon les spécificités et les problèmes de chaque district. Nous sommes cependant limités par les moyens…
Faites-vous référence au fait que la province ne perçoive pas la totalité des recettes que Kinshasa doit lui rétrocéder ?
En effet. Le gouvernement central n’a pas libéré la totalité des 40 % de recettes budgétaires qui reviennent aux provinces – en raison, notamment, du remboursement de la dette publique et des sacrifices que le pays a dû consentir à cause de la guerre. Mais aujourd’hui, avec l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative en faveur des Pays pauvres très endettés [PPTE, approuvée mi-2010 par les bailleurs, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, NDLR] et l’annulation de la quasi-totalité de la dette publique, les provinces devraient retrouver leurs droits et percevoir ce qui leur revient. J’espère qu’en 2011 la population en tirera enfin profit, et que le gouvernement central fera un effort financier en faveur des provinces.
Quel est le montant des recettes annuelles propres du Katanga ?
Il est de l’ordre de 100 millions de dollars [environ 70 millions d’euros].
Et à combien s’élève le montant des recettes que l’État aurait dû vous rétrocéder ?
Cela représente environ 300 millions de dollars. Seulement 40 % de ce montant nous a été rétrocédé. Pour compenser le manque à gagner, j’ai créé des taxes. Mais il faut savoir que le Katanga a la superficie d’un pays comme la France, avec 2 500 km de voies ferrées et 12 000 km de routes, et que rien que pour entretenir ces infrastructures, il faut un budget important.
Concrètement, comment se finance le poumon économique de la RD Congo ?
Au cours des dernières années, les sociétés minières ont investi plus de 12 milliards de dollars dans notre province. Quand je suis arrivé à la tête du Katanga, les recettes douanières n’étaient que de 1,2 million de dollars, elles sont passées à 20 millions en 2010.
L’agriculture, qui ne couvre pas les besoins du Katanga, est le maillon faible de votre action. Comment inverser la tendance ?
Nous l’avons déjà fait, notamment en encourageant les sociétés minières à investir dans l’agriculture et en relançant la pêche. À mon arrivée, la tonne de farine de maïs coûtait 2 200 dollars ; aujourd’hui, son prix est de 350 à 400 dollars, preuve que la production a augmenté. On importe beaucoup moins de maïs et de poisson, ce qui a permis d’économiser des devises. Mais je ne suis pas totalement satisfait, on doit effectivement aller plus loin.
Dans la zone minière de Lubumbashi, des maraîchers se plaignent de la pollution des rivières. Sanctionnerez-vous les pollueurs ?
La pollution est un vrai problème. D’ailleurs, les miniers paient une taxe pour cela. Cependant, nous manquons de laboratoires d’analyses sur place. Je souhaiterais que l’Union européenne et les coopérations belge et française nous envoient des experts pour nous aider à identifier les problèmes. Quand on aura une idée plus claire de la situation, on fermera les sociétés qui polluent.
Outre l’agriculture et les mines, sur quels secteurs misez-vous pour développer l’économie ?
Pour diversifier nos activités, nous mettons déjà l’accent sur la pêche et le tourisme. Le potentiel est là. Pour favoriser le tourisme, nous avons commencé par réhabiliter le réseau routier de la province. Nous réhabilitons également les parcs et d’autres sites touristiques.
Vous êtes un homme d’affaires, à la tête de plusieurs sociétés : n’y a-t-il pas conflit d’intérêts entre vos activités d’entrepreneur et votre mandat de gouverneur ?
Je suis issu d’une famille d’entrepreneurs et j’étais moi-même un opérateur économique avant de devenir gouverneur. Quand j’ai été élu, j’ai cédé mes affaires à ma famille. Fallait-il que celle-ci ferme toutes ses sociétés sous prétexte que j’étais devenu gouverneur ?
On vous a aussi accusé de trafic d’influence. Qu’en est-il ?
Je peux vous assurer que ma famille n’a contracté aucun marché public, pas plus avec le gouvernement central qu’avec celui de la province. Nous avons toujours travaillé avec le privé. Et nous continuons de le faire. Pour ma part, j’ai renoncé à tous les avantages matériels, y compris aux frais de mission que m’accorde mon statut de gouverneur. Cet argent est géré par quelqu’un et reversé dans des projets sociaux en faveur de la population.
Êtes-vous tenté par un second mandat de gouverneur ?
Je ne veux pas me représenter, ce sera mon seul mandat. D’ailleurs, c’est le président Joseph Kabila qui m’a encouragé à me présenter en 2007. Je lui avais alors dit que si cela n’allait pas, je démissionnerais. Je ne savais pas où je mettais les pieds. Il m’a donné des conseils et m’a soutenu. Le monde des affaires m’a aidé également. Je gère la province comme une entreprise. J’ai tenu, j’ai apporté ma petite contribution, j’essaye d’aider la population, je travaille main dans la main avec les ministres provinciaux et l’Assemblée provinciale. Aujourd’hui, je veux reprendre mes affaires. Avec le boom minier, j’ai raté beaucoup d’opportunités qui m’auraient permis d’être milliardaire.
Êtes-vous déçu par la politique ?
Le monde politique est dur, il y a des hauts et des bas. La politique crée beaucoup de jaloux. Surtout parmi ceux qui n’ont pas réussi et qui ne supportent pas la réussite des autres. Il y a aussi beaucoup d’ingratitude et d’incompréhension.
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Propos recueillis à Lubumbashi par Muriel Devey.
Source: Jeune Afrique, du 24/05/2011 à 13h:09
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