Que fêtons-nous le 17 mai ? Notre article est un essai de relecture des faits politiques ayant rendu possible « la libération du 17 mai 1997 » et un appel à « la subversion » du sens de cette date pour une réécriture responsable de notre histoire. Une réécriture exigeante de notre histoire qui soit axée sur un travail assidu de recherche aux antipodes de l’amnésie historique et de la paresse intellectuelle.
La réponse à notre question introductive peut être liée à une certaine relecture de notre histoire des années 80-90. Celle qui arrive aux conclusions du genre : « Après la chute du mur de Berlin et le discours de La Baule sur le conditionnement de l’aide à accorder aux pays africains par leur engagement dans le processus démocratique, notre pays a organisé une Conférence nationale souveraine qui a accouché d’une souris. Il a fallu que l’AFDL envahisse notre pays pour chasser Mobutu du pouvoir et nous aider à revenir sur le chemin de la démocratie. »
Cette relecture de notre histoire commune peut avoir sa part de vérité. Mais elle est rapide. Elle efface tous les efforts conjugués à l’intérieur du pays pour fragiliser le pouvoir de Mobutu. Il est injuste de relire notre histoire en mettant entre parenthèses certains faits politiques tels que la lettre des 13 (treize) parlementaires à Mobutu (en 1982) l’invitant à rompre avec l’unipartisme, la montée en force d’Etienne Tshisekedi et de l’UDPS dans la lutte contre la peur, les luttes citoyennes menées par la Société civile dans sa diversité (avec des groupes de l’acabit du Groupe Amos), le dialogue inter-congolais initié à la Conférence nationale souveraine, la Constitution qui en est issue et le travail de la Commission des biens mal acquis qu’elle a permis, etc.
Mais pourquoi tous ces faits politiques n’ont-ils pas conduit au renversement des rapports de force au point de rendre possible la démocratisation du pays ? Pourquoi a-t-il fallu que l’AFDL et ses alliés viennent « réussir » là où les forces internes de changement avaient « échoué » ? Ces deux questions peuvent être posées autrement et de manière plus intelligente : « L’initiative de faire de Mobutu « roi du Congo » en novembre 1965 n’ayant pas été congolaise, les Congolais pouvaient-ils prendre l’initiative de le déchoir ? » A travers la question de la chute de Mobutu en 1997, il y a une autre plus fondamentale : celle de la reprise citoyenne de l’initiative dans la gestion collective de la cité congolaise.
Quand, en plus de luttes citoyennes menées intensément par les franges importantes de nos populations après la chute du mur de Berlin, Mobutu demandera à notre peuple de s’exprimer sur sa gestion du pays en organisant les consultations populaires, il se rendra compte, au travers des mémorandums récoltés, que « ses administrés », dans leur immense majorité, avait une conscience claire de la catastrophe humaine à laquelle il les avait conduits.
Les mémorandums soutenaient, en résumé, que les droits civiques et politiques n’avaient pas fait partie des priorités de la gestion mobutienne du pays. Les droits économiques, sociaux et culturels étaient systématiquement violés. L’unipartisme et la dictature était vomis.
Avec un peu de recul, il faut avouer que les consultations populaires initiées par Mobutu au début des années 90 avaient été une porte ouverte sur la reprise citoyenne de l’initiative historique dans notre pays. L’approfondissement de cette voie à travers le dialogue aurait posé les bases d’une démocratie populaire préjudiciable pour les intérêts de ceux qui avaient fait du Grand Léopard « le roi du Congo ». Pour ses créateurs, Mobutu n’en était pas à son premier coup bas. Au début des années 1970, il avait osé zaïrianisé certaines entreprises publiques ! Le 04 octobre 1973, il prononce un grand discours à la tribune des Nations Unies. Discours au cours duquel il décrie le néocolonialisme et dit la vocation africaine du Zaïre en rompant les relations diplomatiques avec Israël et en s’arrangeant derrière l’Egypte dans le conflit opposant la Palestine à Israël. (Lire le deuxième chapitre (Al-Bashir dans la guerre de Kippour) de C. ONANA, Menaces sur le Soudan et révélations sur le procureur Ocampo. Al-Bashir et Darfour. La contre-enquête, Paris, Duboiris, 2010)
Disons que le dernier Maréchal du Zaïre a osé, de temps en temps, ne fut-ce que théoriquement, aller à l’encontre de la ligne de conduite tracée par ses créateurs. Et chaque fois, il s’est fait taper sur les doigts pour qu’il ne trahisse pas ses « maîtres ». Son arrêt de mort est signé bien avant 1997 quand le FMI impose au Zaïre/Congo les programmes d’ajustement structurels qui seront appliqués rigoureusement chez nous dans les années 80.
Contrairement à ce que pensent certains « apprentis sorciers » d’entre nous, les PAS ont été et sont des armes de fragilisation des « régimes dociles» ayant tendance à devenir récalcitrants. (Lire N. CHOMSKY, Futurs proches. Liberté, indépendance et impérialisme au XXIe siècle, Québec, Lux Editeur, 2011. Nous étudierons davantage sur la question dans un prochain article.) Pour dire les choses autrement, la fragilisation de Mobutu fut le fruit de la combinaison de l’application des programmes d’ajustement structurel et de la répression que cela exige. L’application des PAS conduit, de gré ou de force, à la violation des droits économiques, sociaux et culturels dans la mesure où elle opère des coupes exorbitantes dans les dépenses publiques. Elle crée la misère et la révolte. Elle met le peuple dans la rue.
Quand l’AFDL, instrumentalisée par « les créateurs de Mobutu » et leurs alliés de la région de l’Afrique des Grands Lacs, fait son irruption dans notre pays, l’ouragan de l’histoire interne du pays a déjà bien préparé la chute du Grand Léopard.
Fêter « la victoire de l’AFDL » du 17 mai 1997 participerait de l’amnésie historique entretenue par « les maîtres du monde et ceux qui leur obéissent ». Fêter « la victoire de l’AFDL », c’est ignorer l’instrumentalisation dont elle a été l’objet et la cause qu’elle a voulu servir avant que « le soldat du peuple », Mzee Laurent-Désiré Kabila, n’échafaude ses idées sur le développement autocentré, transformant les Congolais avilis et paupérisés en « maîtres chez eux, là ». (Lire A. DENEAULT, Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Québec, Ecosociété, 2008, C . ONANA, Ces tueurs Tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009 et H. NGBANDA, Crimes organisés en Afrique centrale. Révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux, Paris, Duboiris, 2004 et P. PEAN, Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010).
En effet, quand, en 1998, Laurent-Désiré Kabila, président de l’AFDL va essayer, tant soit peu, d’utiliser « la victoire de l’AFDL » en faveur du peuple congolais en se passant de l’aide des partenaires traditionnels du pays, il deviendra l’homme à abattre.
A ce point nommé, il y a un beau texte de Colette Braeckman qu’il est sage de lire : « La disgrâce de Kabila repose (…) sur une raison plus profonde, qui explique pourquoi, au-delà du souci de leur sécurité et du goût du lucre, les pays de la région ont exigé un droit de regard sur le régime à mettre en place à Kinshasa. S’il était urgent de détrôner Kabila, dictateur certes, mais guère plus que d’autres, n’est-ce pas aussi parce qu’il avait eu l’audace de prétendre déconnecter le Congo des circuits dominants qui mènent le Sud vers le Nord ? Parce qu’il avait tenté d’aller à contre-courant ? Ne serait-ce pas parce que d’autres pays d’Afrique, suivant l’exemple du Congo, auraient pu être tentés de réduire leur dépendance par rapport au reste du monde ? » (C. BRAECKMAN, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003, p. 187) Madame Baeckman répond elle-même à ses questions (et sa réponse ne diffère pas de celle donnée par Cynthia McKinney, ancienne congressiste américaine et envoyée spéciale de Bill Clinton à la conférence organisée par l’UNIR –MN à Bruxelles, le 4 mars 2010) quand elle écrit : « Rappelons que les projets fondés sur l’idée de « renaissance africaine » ont pour ambition de mieux intégrer le continent aux circuits économiques mondiaux, et le Congo est un maillon essentiel à la réussite de cette ambition. Dans cette perspective, il apparaît que l’objectif à long terme de la guerre menée au Congo fut de remettre le pays sur cette trajectoire-là, de mieux l’intégrer à l’économie (néolibérale) mondialisée. » (Ibidem)
L’intégration du Congo dans le circuit du néolibéralisme est un projet économique à long terme. Les initiateurs de ce projet réussissent là où il y a atomisation (politique) des pays de la sous-région. Et c’est l’image que donne l’Afrique centrale aujourd’hui. L’intégration politique aux contours panafricains est négligée au profit de la faible intégration économique. Et les pays satellites des grandes puissances en tirent des bénéfices mirobolants grâce à leur droit de regard sur le pouvoir de Kinshasa. A travers cette faible intégration économique régionale et la grave intégration dans le circuit du néolibéralisme, le Congo perd sa souveraineté économique c’est-à-dire la « capacité de maîtriser son économie nationale et de participer aux marchés internationaux à ses propres conditions ».
Fêter le 17 mai, c’est aussi célébrer le jour où notre pays a été inséré dans le réseau néolibéral de la perte de sa souveraineté économique et politique.
Nous pouvons subvertir « cette fête » en une activité culturelle collective. Le 17 mai peut devenir un jour où nous pouvons marquer un arrêt symbolique pour une réflexion collective sur le long chemin du détournement de nos luttes communes au profit des oligarchies d’argent ; le jour où nous pouvons réfléchir sur le galvaudage des mots dans notre histoire commune ; le jour où les mots tels que le communisme, la dictature, la démocratie, la libération, les élections, etc. peuvent être questionnés dans leur rapport avec nos luttes d’émancipation des forces de la mort, de notre assujetissement et de notre abâtardissement.
De toutes les façons, il y a aujourd’hui, une littérature sérieuse et abondante pouvant nous aider à comprendre la longue marche vers notre véritable souveraineté. La paresse intellectuelle et l’amnésie historique peuvent constituer des obstacles sérieux à une suffisante maîtrise de notre histoire de ces 15 dernières années. Cela peut rendre pénible la réécriture de notre propre histoire et l’indispensable travail de récupération de notre initiative historique ravie depuis l’assassinat de Lumumba (le 17 janvier 1961) jusqu’à ce jour. Nous le ferons en nous appuyant sur des « sources » mises à notre disposition par les penseurs de notre temps, sur un travail assidu de recherche questionnant les concepts galvaudés, les méthodes et les procédures auxquelles les oligarchies d’argent recourent pour paupériser et assujettir les peuples. (Plusieurs pays de l’Amérique Latine s’adonnant à ce travail vont, au mois de juillet 2011, porter sur les fonds baptismaux l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR) calquée sur le modèle de l’Union européenne. Elle aura sa banque, sa monnaie, sa politique d’intégration politique et économique.
Elle ne sera pas au bout de ses peines avec les oligarchies d’argent. Mais elle aura gagné d’avoir maîtrisé leurs procédures et leurs méthodes et d’avoir opté pour des gouvernements participatifs et populaires).
Author: J.-P. Mbelu
Source: Le Potentiel, du 18/05/2011
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