Moyens insuffisants, stratégie inexistante, soutien populaire absent : faute d'avoir gagné sa "guerre humanitaire" en quelques semaines, l'OTAN n'est pas seulement enlisée en Libye. Elle y est piégée dans une sale guerre qu'elle doit aujourd'hui mener contre le peuple libyen, au risque d'y détruire son soi-disant modèle démocratique.
Officiellement, il n'y a pas ou peu de soldats occidentaux engagés au sol en Libye depuis le mois de mars. Pas de pertes non plus. C'est un point extrêmement important puisque l'opinion publique, qui ne soutient cette guerre que du bout des lèvres, se retournerait très vite si le compteur des pertes occidentales venait à s'affoler.
C'est un élément important des guerres que mène l'OTAN (et les Etats-Unis) sur toute la planète depuis vingt ans : limiter ou éliminer toute perte officielle. C'est vital, non seulement au regard de l'opinion publique, mais aussi au regard des capacités militaires de nos démocraties. En effet, si l'on fait exception du cas américain (un déficit budgétaire doublé entre 2001 et 2001 presqu'exclusivement à cause du financement de la "guerre contre le terrorisme", un budget militaire officiel qui, à lui seul, est égal aux budgets cumulés de tous les autres Etats de la planète), les pays occidentaux n'ont pas les moyens militaires de leurs ambitions géopolitiques.
C'est en particulier le cas de la France qui, avant d'intervenir en Lybie, était déjà au maximum de ses capacités humaines (et financières) de déploiement de troupes en dehors du territoire national. Au point de faire appel, pour boucher ses manques d'effectifs en métropole, à des réservistes ou retraités.
Manque de moyens
Le manque d'effectif et la professionnalisation des armées occidentales sont en partie compensés par la haute technologie et par le recours à des sociétés de mercenaires. En Lybie, ces deux artifices sont utilisés au maximum.
Mais cela ne peut suffire pour renverser un régime qui bénéficie du soutien d'une grande partie de la population. De même, les rebelles manquent cruellement d'effectifs depuis le début du conflit. Il y a une grande différence entre mener une insurrection armée pour s'emparer d'une ville et investir tout un pays.
Il a donc été nécessaire d'aller chercher des troupes. Il est presque certain aujourd'hui que la composition des forces rebelles est très hétéroclite. Elles comptent bien sûr des autochtones anti-Kadhafi, ceux que l'on exhibe volontiers. Mais elles comptent une grande partie d'islamistes, de repris de justice, de mercenaires recrutés à la va-vite en Egypte ou en Tunisie. Une masse de combattants sans expérience ni formation, qui forment la chair à canons et qui animent le story-telling pro-occidental. Ils sont encadrés par des forces spéciales occidentales. ils sont soutenus par d'autres soldats professionnels originaires du Qatar ou de Jordanie, ainsi que par les salariés de sociétés occidentales de mercenariat.
Tout cela est suffisant pour mener des coups de main, pour parader dans les rues désertes de villes soi-disant prises aux loyalistes. Mais cela ne peut suffire à conquérir le pays, ni même à mener de véritables combats urbains, voraces en troupes expérimentées. Aujourd'hui, comme hier, on ne prend pas une ville correctement défendue sans livrer de combats au corps à corps. On ne les conserve pas non plus sans y laisser des garnisons suffisantes. Or, en Lybie, les positions stratégiques sont essentiellement des villes.
Sièges moyen-ageux
A défaut de disposer de la nécessaire infanterie, manquant aussi d'un véritable soutien dans l'ensemble de la population, l'OTAN et les rebelles en sont réduits à mener une guerre de siège. Fin août, Tripoli n'a pu être prise que grâce à la trahison d'un des commandants loyalistes. Aujourd'hui encore, la ville n'est toujours pas sous contrôle des rebelles. Les autres cités favorables aux loyalistes, notamment Bani Walid, Syrte et Sabha, sont assiégées. La population civile y est prise en otage, non pas par les loyalistes, mais par l'OTAN, qui utilise l'écran des forces rebelles pour interdire la fuite à ces malheureux civils. On leur coupe l'eau, les vivres, les médicaments, l'électricité. On les bombarde au quotidien, par concentration d'artillerie, par avions et par drones. On les terrorise en organisant des exactions. On interdit l'accès de ces villes au Croissant rouge ou à la Croix-Rouge, ainsi qu'aux journalistes. On les bloque donc dans des zones de combat, en misant sur le fait qu'ils se révolteront contre ceux qui les défendent, à savoir leur propre armée. En même temps, en contraignant les civils à rester sur place, on limite d'autant plus les ressources nécessaires aux combattants loyalistes.
Ce n'est donc pas une guerre "humanitaire" que livrent les croisés de la démocratie, mais exactement le contraire, à savoir le plus moyen-ageux des conflits, où l'on préfère hypocritement sacrifier des civils plutôt que de risquer des pertes militaires. C'est la plus sale des guerres.
C'est la plus sale des guerres, dans laquelle l'OTAN s'enlise, contraint de s'allier aux barbares d'Al Qaida. C'est la plus sale des guerres, qui est la conséquence d'une stratégie de départ erronée. Bluffé par Bernard-Henri Lévy, aveuglé par ses calculs de politique intérieure, trompé par l'apparence d'un succès en Côte d'Ivoire, où Gbagbo n'a résisté que quelques jours, Nicolas Sarkozy pensait mener une guerre éclair en Lybie. Il était certainement persuadé que le colonel Kadhafi ne tiendrait pas longtemps sous ses bombardements, avec contre lui son propre peuple. L'erreur, c'est que Kadhafi, n'en déplaise aux démocrates de salon, est effectivement soutenu par son peuple. Il n'y a pas d'autre explication au fait qu'il a résisté à plus de six mois d'agression aérienne et maritime. Aujourd'hui, pour gagner la guerre de Lybie, l'OTAN en est réduit à vaincre le peuple lybien. On est à l'opposé complet des objectifs de la résolution 1973. Et c'est non seulement un peuple que l'Occident déboussolé est en train de massacrer, mais c'est aussi son propre modèle de démocratie.
Author: javanabal
Source: AgoraVox, du lundi 26 septembre 2011
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