Le problème linguistique du Rwanda est masqué par des considérations économiques et politiques, tant du fait du vieux conflit entre la France et son gouvernement actuel, que du fait des inquiétudes venant du durcissement du régime. Cette question linguistique leur est pourtant intimement liée.
Laurance N'KAOUA le rappelle en quelques lignes dans les Échos. Le Monde en a fait une pleine page. C'est vrai que le sujet est plus politique qu'économique. Mais il a aussi une dimension francophone qui est à la fois sous-évaluée et mal comprise, et aucun de ces deux journaux n'en parle.
On sait que le Rwanda est une ancienne colonie allemande puis belge, où ce dernier colonisateur a implanté le français, l'éducation de base étant en kirwanda, la langue locale voisine de celle du Burundi voisin. À l'Est, les voisins anglophones sont plus développés économiquement que le grand voisin occidental congolais francophone qui sombre dans la guerre civile, en partie d'ailleurs du fait des problèmes que le gouvernement rwandais y exporte.
Le pouvoir actuel est détenu par un groupe formé dans les pays anglophones voisins et qui a pris le pouvoir par la force dans des circonstances qui ne sont pas l'objet de ce message. Ce groupe a introduit l'anglais puis l'a imposé comme seule langue officielle, ce qui a bien entendu bouleversé l'enseignement et toutes les nominations ou promotions, non seulement dans la fonction publique mais dans tous les domaines ayant besoin de bonnes relations avec l'État, c'est-à-dire quasiment tout le monde lorsque cet État est autoritaire.
Cet autoritarisme devenant pesant, les soutiens, notamment américains, au régime commencent à s'affaiblir, d'où probablement la recherche d'un rapprochement avec la France pourtant « ennemie ». Mais ces reproches démocratiques anglophones ne citent pas cette mesure particulièrement dictatoriale qu'est l'imposition de changement de la langue de travail des élites. Cela par ignorance, ou, chez les plus politiques, par la satisfaction de donner un bon coup à cette francophonie, qui a pour inconvénient de limiter leur influence culturelle, et donc économique et politique. Ce n'est pas une « théorie du complot », puisque dès «l'opération turquoise », la France était accusée par les mêmes de « soutenir un régime génocidaire en raison de sa francophonie ».
En France on parle peu de l'impact de l'abandon de la francophonie par cet État africain, qui mériterait davantage d'attention, ne serait-ce que par ses répercussions psychologiques sur l'ensemble de l'Afrique francophone. Il est curieux que la sphère économique, donc les Échos, ignore l'immense avantage pour les entreprises françaises de faire partie du « club francophone » qui leur est tellement utile au Maghreb et dans de nombreux autres pays. Je l'ai d'ailleurs expérimenté dans ma propre entreprise, par exemple via les réseaux libanais dans la péninsule arabique, ainsi que pour une percée américaine partant du Québec.
Et puis, pour ceux qui trouvent « ringarde » cette préoccupation linguistique, reste la gigantesque contrainte dictatoriale sur la vie professionnelle et privée de l'élite d'un pays, et le gâchis économique que ça va entraîner : aucun pays, surtout au Sud, ne peut se permettre d'éliminer ou de déclasser sa propre élite.
Espérons que ces considérations sont présentes dans l'esprit des interlocuteurs français à qui cette visite donne l'occasion de les faire valoir.
Author: Montenay
Source: Les Echos, du 14/09/2011
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