On connaissait la violence de la répression des manifestations libyennes. Un rapport d'Amnesty International – fruit d'une enquête de terrain effectuée entre fin février et fin mai, en juin et fin août – met le doigt sur des crimes de guerre et violations des droits de l'homme commis par les rebelles, à plus petite échelle toutefois.
Le document ne fait pas l'impasse sur les exactions des kadhafistes : des tirs à l'arme automatique sur la foule de manifestants, aux représailles aveugles contre la population civile, en passant par les agissements des redoutés des officiers de l'Agence de sécurité intérieure (ISA), le document décrit par le menu l'horreur de la répression qui sévit en Libye depuis des mois. Il jette cependant un éclairage nouveau sur les actes perpétrés – à plus petite échelle toutefois – par une partie des rebelles. En l'occurence des crimes de guerre et des violations des droits de l'homme, jusqu'ici mal documentés.
DU CÔTÉ DE L'OPPOSITION
Dès les premiers jours de la rébellion, en février, des rebelles capturent et tuent des soldats et des présumés mercenaires étrangers. Certains sont lynchés, au moins trois sont pendus, d'autres tués par balle, relève Amnesty International. Des groupes semblent s'organiser pour assouvir des vengeances. Parmi les victimes, Hussein Gaith Bou Shiha, ancien de l'ISA, a été capturé chez lui et retrouvé tué d'une balle dans la tête, avec des traces de coups et les poings liés. Des insurgés sont allés jusqu'à traquer les soldats loyalistes dans les hôpitaux : une vidéo montre ainsi, selon l'ONG, un ancien soldat à l'hôpital al-Jala de Benghazi, humilié et forcé de répéter : "Je suis un chien de Kadhafi".
S'il a connaissance de ces faits, et les condamne, le CNT (Conseil national de transition) tend à les minimiser. Le Conseil n'a d'ailleurs pas dilligenté d'enquête indépendante sur ce sujet ni cherché à prendre des mesures contre les responsables, dénonce l'organisation. Pour Amnesty International, "il est confronté à la difficile tâche de contrôler les combattants de l'opposition et les groupes d'autodéfense responsables de graves atteintes aux droits de l'homme, y compris d'éventuels crimes de guerre, mais se montre réticent à les tenir responsables." Le rapport souligne en outre les difficultés de contrôler ces groupes de combattants armés manquant d'expérience et opérant sans être encadrés ni supervisés.
Le rapport s'attarde également sur le traitement infligé aux soldats loyalistes par centaines par les rebelles. Interviewés par Amnesty International à Benghazi et à Misratah, certains de ces prisonniers disent avoir été capturés par des hommes lourdement armés et masqués lors de raids nocturnes, parfois à leur domicile. De nombreux faits de torture sont rapportés : coups de barres métalliques ou d'autres objets, éléctrochocs, viols, absence de soins pour les blessés. Sous la violence, les tortionnaires tentent d'obtenir des aveux, arrachent la signature de documents ou se rendent eux-mêmes justice pour des crimes attribués aux détenus.
LE SORT DES LIBYENS NOIRS
Des migrants africains, débarqués de Misratah, en Libye, attendent pour embarquer dans des bus de la Croix-Rouge à Benghazi, le 5 mai 2011.AFP/SAEED KHAN
Parmi les personnes détenues ou tuées, figurent nombre d'individus présentés comme des mercenaires africains aux ordres de Kadhafi, sans que, bien souvent, leur identité soit réellement renseignée. Dès le 20 février, une vidéo montrait par exemple deux Africains morts, attachés sur le capot d'un pick-up paradant triomphalement sous les cris de "Dieu est grand" et les tirs de fusil, rapporte l'ONG. Aucun d'eux ne portait d'uniforme policier ou militaire, laissant craindre qu'ils aient pu être pris, à tort, pour des mercenaires.
Amnesty International dénonce un "climat de racisme et de xénophobie des deux côtés" – antérieur au printemps arabe – à l'égard de ces Libyens d'origine étrangère, en majorité d'Afrique subsaharienne et constituant environ un tiers de la population. Depuis le début de l'insurrection, la stigmatisation a été entretenue de part et d'autre. Kadhafi n'a pas hésité à opposer "frères arabes et Africains". De son côté, le président du CNT, Mustapha Abdeljalil lui-même, ne s'est pas privé d'indiquer qu'en tant qu'ancien ministre de la justice, il avait constaté que "40 % des criminels en Libye étaient des Africains qui envahissaient le pays par sa frontière sud, le traversaient et espéraient, avidement, vivre en Europe."
> Lire aussi notre reportage : Le calvaire des Africains noirs de Tripoli, brutalisés par les révolutionnaires libyens
LA NON-ASSISTANCE DES PAYS EUROPÉENS
A ce sujet, "les Etats membres de l'UE (...) n'ont pas répondu de manière adéquate à la tragédie humaine qui se déployait", estime Amnesty International à propos de "ceux qui fuyaient les conflits et les persécutions en Libye pour assurer leur sécurité". Depuis mars, 1 500 Libyens qui ont essayé de gagner l'Europe par la mer ont trouvé la mort, selon Amnesty. L'ONG cite par ailleurs le témoignage d'un migrant de 23 ans qui a survécu à cette périlleuse traversée : il a payé 800 dollars pour embarquer sur une barque qui a dérivé pendant seize jours, croisant un navire militaire, deux hélicoptères et d'autres bateaux, sans recevoir aucun secours.
"Une embarcation transportant 257 immigrés a coulé le 29 mars au large de la Libye. Vingt-trois personnes ont été sauvées et 21 corps ont été repêchés", a indiqué le chef de mission de l'International Organisation for Migration à Tripoli.AFP/-
Amnesty International rappelle enfin qu'en mai, malgré le nombre réduit de demandes d'asile, l'UE s'inquiétait d'un afflux massif et renforçait les contrôles aux frontières. Il faut se souvenir, rapelle l'ONG, que le colonel Kadhafi et l'UE, Italie en tête, coopéraient auparavant pour "contrôler les migrations", "encourageant dans les faits les pratiques abusives contre les réfugiés".
Dans la même lignée, le CNT a déjà promis de "fermer les frontières à ces Africains". Le 17 juin, il a signé un memorandum avec l'Italie, dans lequel les deux parties ont renouvelé leur engagement à mettre en œuvre les accords contre la "migration illégale", y compris le rapatriement des migrants alors que la Libye est encore loin d'être pacifiée.
Source: Le Monde.fr, du 14/09/2011
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