La carte de la Belgique
L’actuelle Belgique est née de la scission du royaume des Pays-Bas, crée en faveur de Guillaume 1er d’Orange par le Congrès de Vienne en 1815, suite à la défaite de Napoléon à Waterloo le 18 juin de la même année. Ce royaume était composé de deux entités. Au nord la Hollande avec 2 millions d’habitants et au sud la Belgique avec 3,5 millions. Mais ces deux entités n’étaient pas logées à la même enseigne. Dans le nouvel Etat, « la Belgique apportait ses terres fertiles, ses richesses minérales et son industrie; de son côté, la Hollande possédait des ports nombreux, une marine puissante et d’importantes colonies ». En outre, la Hollande était et reste protestante tandis que la Belgique était et demeure catholique.
Le rapport de forces était incontestablement en faveur du Nord. Aussi les Hollandais bénéficiaient-ils d’un « favoritisme indéniable dans l’administration et insupportable pour la plupart des Belges». Une invitation à la rébellion que ces derniers ne mettront pas longtemps à concrétiser. Le 15 août 1830, des manifestations engendrent des troubles à Bruxelles; ceux-ci débouchent sur une lutte sanglante et la défaite des Hollandais. C’est la révolution belge, mère de l’indépendance de la Belgique, reconnue par la Conférence de Londres en décembre 1830.
Dans le nouvel Etat comme dans l’ancien, il y avait une ligne de fracture relative à la composition sociologique du pays. Comment la démocratie de type Westminster s’est-elle adaptée à cette réalité ? Comment a-t-elle barré jusqu’ici la route à la libido dominandi des uns sur les autres et aux revendications séparatistes ?
Les ethnies belges
Il est vrai que les Belges ne parlent d’eux-mêmes en termes d’ethnie. Ils préfèrent réserver ce lexème pour désigner les Africains et les autres peuples du Tiers-Monde. Mais à y regarder de près, il ne s’agit-là que de la grande mystification de l’entreprise coloniale qui tenait à opposer les « civilisés » aux « sauvages ». Quand un même phénomène social était observé chez les uns et les autres, il fallait user des termes différents pour bien marquer la différence entre les premiers et les derniers. Ainsi, par exemple, le Belge vivant en RDC est un expatrié tandis que le Congolais vivant en Belgique est un immigré. Soulignant le ressort de la crise du Kosovo, l’historien français Jean-Pierre Chrétien écrit avec raison : « Les déchirements dans l’ex-Yougoslavie (Bosnie, Kosovo...) ne sont pas de nature différente de ceux qui ensanglantent depuis 1993 la région des Grands Lacs (Burundi, Rwanda, Kivu...). Les nationalités ne sont pas réservées à l’Europe et les ethnies à l’Afrique ».
La situation de la Belgique renvoie donc à celle de deux pays sur lesquels elle a eu à exercer sa tutelle : le Rwanda et le Burundi. A l’exiguïté territoriale commune s’ajoute le fait que les trois Etats sont peuplés de trois ethnies : les Flamands, les Wallons et les Germanophones (entités culturelles) dans le premier; les Hutu, les Tutsi et les Twa (sous-groupes raciaux) dans les deux autres. Dans chaque Etat, la dernière composante citée ne fait presque pas parler d’elle, compte tenu de son faible poids démographique. Deux différences essentielles. Dans l’Etat européen, chaque communauté occupe un territoire distinct, avec quelques enclaves, et l’écart démographique entre les deux grandes n’est pas très sensible. Par contre, dans chacun de deux Etats africains, il n’y a ni Hutuland ni Tutsiland, et les Hutu constituent une écrasante majorité de plus ou moins 85%.
De l’unité fictive à l’unité réelle du pays
«Parce que la révolution avait été menée par les Wallons (...) qui alors et jusqu’en 1961 constituaient une majorité politique, la constitution de 1831, modelée sur le libéralisme et le constitutionnalisme monarchique français, reçut un caractère nettement unitaire et majoritaire, ceci en dépit de la population flamande qui ressentait fortement son identité et constituait une communauté culturelle distincte». Aussi la première constitution du nouvel Etat stipulait-elle en son article premier : « La Belgique est divisée en provinces... ». Mais 162 ans après, c’est-à-dire en 1993, cet article a été modifié : « La Belgique est un Etat fédéral composé des régions et des communautés ... ». Comment en est-on arrivé là ?
A l’indépendance de la Belgique, le rapport de forces penche du côté de la riche Wallonie. Aussi les Wallons vont-ils développer un complexe de supériorité vis-à-vis des Flamands. Mais « depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les divergences de vue entre les deux grandes communautés culturelles du pays se sont exprimées, parfois avec force, dans des problèmes tels que la question royale, la question scolaire, la répression de la collaboration et, plus récemment, la politique économique. Le déclin démographique et économique de la Wallonie contraste aussi avec l’essor démographique et industriel de la Flandre, dont le poids politique se fait de plus en plus sentir au Parlement et au Gouvernement ». Dès lors, le nationalisme flamand se sent pousser des ailes, s’affirme avec assurance et sous son impulsion, la loi fixe une frontière linguistique en 1963, freinant l’expansion de l’influence wallonne en Flandre. Sept années plus tard, la constitution est révisée : « l’article 107 quater reconnaît l’existence de trois régions économiques : la Flandre, Bruxelles et la Wallonie ». Et en 1980, les institutions régionales sont mises en place.
De la Belgique unitaire, on est passé à la Belgique régionalisée, l’antichambre du fédéralisme actuel. Car « après les accords de la Saint Michel (29 septembre 1992), d’Etat unitaire et centralisé, la Belgique est devenue un Etat fédéral, et, peut-être, dans l’avenir, si les thèses des séparatistes finissent par prévaloir, une confédération d’Etats indépendants ». En d’autres termes, de l’unité fictive chère aux défenseurs de l’idée d’Etat-Nation, on est passé à l’unité réelle.
Des partis nationaux aux partis ethnicisés
Les partis politiques n’ont pas attendu la régionalisation et la fédéralisation pour être ethnicisés. Déjà en 1968, des querelles ethniques, qui ont pour enjeu l’Université Catholique de Louvain d’où les Flamands chassent les Wallons, annoncent la scission du Parti Social-Chrétien en deux partis distincts : les sociaux-chrétiens francophones (PSC) et flamands (CVP ou Christelijke Volkspartij). En 1971, les libéraux jusque-là regroupés au sein du Parti pour la Liberté et le Progrès se séparent à leur tour en une aile flamande, actuellement VLD (Vlaamse Liberalen en Demokraten ou Parti Libéral et Démocrate flamand), et en une aile francophone, actuellement PRL (Parti Réformateur Libéral), coalisé depuis peu d’abord avec le FDF (Front pour la Défense des Francophones), et puis avec le MCC (Mouvement des Citoyens pour le Changement).
En 1978, c’est au tour du Parti Socialiste Belge de s’incliner devant la contrainte sociologique du pays, en dépit de la farouche opposition des unitaristes tel que l’ancien premier ministre Leburton. Il y a désormais deux partis socialistes sur le territoire belge : le PS en Wallonie et le SP en Flandre. La nouvelle génération des partis, les Verts, qui contrairement aux partis traditionnels ont choisi la défense de l’environnement et la quête d’un nouveau type de société comme cheval de bataille, ne déroge pas à cette règle générale. Les partis Ecolo et Agalev réunissent respectivement les Verts wallons et les Verts flamands.
Si ces scissions s’étaient produites en Afrique, elles n’auraient servi qu’à tourner nos traditions en dérision. Intellectuels occidentaux, imbus du complexe de supériorité raciale, et africains, colonisés jusqu’à la moelle des os, s’en seraient saisi pour démontrer l’absence de culture démocratique de nos dirigeants et de nos masses. Pourtant, on doit à la vérité de reconnaître qu’en Belgique comme ailleurs au monde, leur reconnaissance ne peut que servir la démocratie. Conduit par cette certitude, l’Américain Crawford Young s’est exprimé en ces termes, au sujet du déferlement des micronationalismes dans le jeune Etat indépendant du Congo en 1960 : « Ce n’est pas juste à l’égard des Congolais de faire du mot tribal un synonyme de l’adjectif arriéré : il n’y a rien de plus arriéré dans l’affirmation de la culture kongo que dans le nationalisme flamand ou québécois ».
Exemple à ne pas suivre ?
Avec sa démocratie basée sur l’ethnie, la Belgique a souvent été au bord de l’implosion ; ce qui discrédite, aux yeux de certains observateurs, le modèle démocratique basé sur l’ethnie. C’est oublier que les raisons des crises politiques à répétition en Belgique se situent ailleurs. L’existence de deux mémoires collectives au sein d’un même Etat explique le mal-être belge. Sous la domination des Hollandais, Flamands et Wallons avaient une même mémoire collective, celle des dominés. Avec l’indépendance de la Belgique et le remplacement, pour les Flamands, de la domination hollandaise par la domination francophone/wallonne, il y a eu divergence dans la mémoire collective des Belges. En effet, un dominé et un dominateur ne peuvent en aucun cas avoir une même mémoire, mais des mémoires différentes voire aux antipodes l’une de l’autre. Forts de la prospérité de la Wallonie, les élites francophones/wallonnes, qui n’avaient pas été à la bonne école d’Adu Elenga avec sa fameuse chanson « Ata ndele mokili ekobaluka » (Tôt ou tard, le monde changera), n’ont eu que du mépris pour les pauvres Flamands. Ce complexe de supériorité a développé en ces derniers des sentiments de dépit et de rancune qui, la richesse et l’essor démographique ayant changé de camp, poussent des élites flamandes à se venger tandis que des élites francophones s’en vont chercher leur grandeur perdue en soutenant l’insoutenable en RDC.
Conclusion
Les Belges ont-ils été mal inspirés en construisant leur démocratie sur l’ethnie ? Pour répondre à cette question de manière satisfaisante, il faut s’en poser une autre. L’imitation servile du modèle Westminster aurait-il suffi à couper les ailes au nationalisme flamand ? Non, car celui-ci se serait alors exprimé dans la violence. A cet égard, les Belges n’avaient d’autre alternative que d’adapter le modèle Westminster à l’asymétrie sociologique, économique, idéologique et politique entre le Nord et le Sud de leur pays. Par ailleurs, en dépit de leurs sempiternelles querelles ethniques et crises politiques récurrentes, les Belges ont réussi à bâtir un Etat de droit qui a brillamment démontré sa solidité lors de la dernière crise politique, la plus longue de l’histoire contemporaine européenne avec ses 541 jours, mais que les populations n’avaient nullement ressenti dans leur vécu quotidien. Par contre, à quelques rares exceptions, l’importation aveugle du modèle Westminster par les Etats africains a toujours entrainé ceux-ci dans une débâcle généralisée.
Le ressentiment flamand, qui a poussé la réforme de l’Etat belge jusqu’au fédéralisme et peut être demain au confédéralisme voire à la balkanisation pure et simple du pays, n’existe dans aucune province congolaise. A cet égard, les Congolais se contenteraient bien de la décentralisation dans le cadre d’un Etat unitaire avec les provinces élevées au statut de caucus. En outre, les institutions belges présentent une grande complexité du fait qu’en plus des régions, l’Etat fédéral est également composé des communautés, qui n’ont pas toujours les mêmes frontières géographiques que les régions et ayant leurs propres gouvernements et parlements. Les Congolais pourraient faire l’économie d’une telle complexité. Bien plus, l’accès au pouvoir serait également simplifié car les provinces fonctionnant comme des caucus devant élire leurs représentants aux institutions nationales, on pourrait se passer de partis politiques aux idéologies suspendues en l’air, puisque n’ayant aucun rapport avec les conflits et aspirations majeurs de la nation congolaise.
Le rapport de forces était incontestablement en faveur du Nord. Aussi les Hollandais bénéficiaient-ils d’un « favoritisme indéniable dans l’administration et insupportable pour la plupart des Belges». Une invitation à la rébellion que ces derniers ne mettront pas longtemps à concrétiser. Le 15 août 1830, des manifestations engendrent des troubles à Bruxelles; ceux-ci débouchent sur une lutte sanglante et la défaite des Hollandais. C’est la révolution belge, mère de l’indépendance de la Belgique, reconnue par la Conférence de Londres en décembre 1830.
Dans le nouvel Etat comme dans l’ancien, il y avait une ligne de fracture relative à la composition sociologique du pays. Comment la démocratie de type Westminster s’est-elle adaptée à cette réalité ? Comment a-t-elle barré jusqu’ici la route à la libido dominandi des uns sur les autres et aux revendications séparatistes ?
Les ethnies belges
Il est vrai que les Belges ne parlent d’eux-mêmes en termes d’ethnie. Ils préfèrent réserver ce lexème pour désigner les Africains et les autres peuples du Tiers-Monde. Mais à y regarder de près, il ne s’agit-là que de la grande mystification de l’entreprise coloniale qui tenait à opposer les « civilisés » aux « sauvages ». Quand un même phénomène social était observé chez les uns et les autres, il fallait user des termes différents pour bien marquer la différence entre les premiers et les derniers. Ainsi, par exemple, le Belge vivant en RDC est un expatrié tandis que le Congolais vivant en Belgique est un immigré. Soulignant le ressort de la crise du Kosovo, l’historien français Jean-Pierre Chrétien écrit avec raison : « Les déchirements dans l’ex-Yougoslavie (Bosnie, Kosovo...) ne sont pas de nature différente de ceux qui ensanglantent depuis 1993 la région des Grands Lacs (Burundi, Rwanda, Kivu...). Les nationalités ne sont pas réservées à l’Europe et les ethnies à l’Afrique ».
La situation de la Belgique renvoie donc à celle de deux pays sur lesquels elle a eu à exercer sa tutelle : le Rwanda et le Burundi. A l’exiguïté territoriale commune s’ajoute le fait que les trois Etats sont peuplés de trois ethnies : les Flamands, les Wallons et les Germanophones (entités culturelles) dans le premier; les Hutu, les Tutsi et les Twa (sous-groupes raciaux) dans les deux autres. Dans chaque Etat, la dernière composante citée ne fait presque pas parler d’elle, compte tenu de son faible poids démographique. Deux différences essentielles. Dans l’Etat européen, chaque communauté occupe un territoire distinct, avec quelques enclaves, et l’écart démographique entre les deux grandes n’est pas très sensible. Par contre, dans chacun de deux Etats africains, il n’y a ni Hutuland ni Tutsiland, et les Hutu constituent une écrasante majorité de plus ou moins 85%.
De l’unité fictive à l’unité réelle du pays
«Parce que la révolution avait été menée par les Wallons (...) qui alors et jusqu’en 1961 constituaient une majorité politique, la constitution de 1831, modelée sur le libéralisme et le constitutionnalisme monarchique français, reçut un caractère nettement unitaire et majoritaire, ceci en dépit de la population flamande qui ressentait fortement son identité et constituait une communauté culturelle distincte». Aussi la première constitution du nouvel Etat stipulait-elle en son article premier : « La Belgique est divisée en provinces... ». Mais 162 ans après, c’est-à-dire en 1993, cet article a été modifié : « La Belgique est un Etat fédéral composé des régions et des communautés ... ». Comment en est-on arrivé là ?
A l’indépendance de la Belgique, le rapport de forces penche du côté de la riche Wallonie. Aussi les Wallons vont-ils développer un complexe de supériorité vis-à-vis des Flamands. Mais « depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les divergences de vue entre les deux grandes communautés culturelles du pays se sont exprimées, parfois avec force, dans des problèmes tels que la question royale, la question scolaire, la répression de la collaboration et, plus récemment, la politique économique. Le déclin démographique et économique de la Wallonie contraste aussi avec l’essor démographique et industriel de la Flandre, dont le poids politique se fait de plus en plus sentir au Parlement et au Gouvernement ». Dès lors, le nationalisme flamand se sent pousser des ailes, s’affirme avec assurance et sous son impulsion, la loi fixe une frontière linguistique en 1963, freinant l’expansion de l’influence wallonne en Flandre. Sept années plus tard, la constitution est révisée : « l’article 107 quater reconnaît l’existence de trois régions économiques : la Flandre, Bruxelles et la Wallonie ». Et en 1980, les institutions régionales sont mises en place.
De la Belgique unitaire, on est passé à la Belgique régionalisée, l’antichambre du fédéralisme actuel. Car « après les accords de la Saint Michel (29 septembre 1992), d’Etat unitaire et centralisé, la Belgique est devenue un Etat fédéral, et, peut-être, dans l’avenir, si les thèses des séparatistes finissent par prévaloir, une confédération d’Etats indépendants ». En d’autres termes, de l’unité fictive chère aux défenseurs de l’idée d’Etat-Nation, on est passé à l’unité réelle.
Des partis nationaux aux partis ethnicisés
Les partis politiques n’ont pas attendu la régionalisation et la fédéralisation pour être ethnicisés. Déjà en 1968, des querelles ethniques, qui ont pour enjeu l’Université Catholique de Louvain d’où les Flamands chassent les Wallons, annoncent la scission du Parti Social-Chrétien en deux partis distincts : les sociaux-chrétiens francophones (PSC) et flamands (CVP ou Christelijke Volkspartij). En 1971, les libéraux jusque-là regroupés au sein du Parti pour la Liberté et le Progrès se séparent à leur tour en une aile flamande, actuellement VLD (Vlaamse Liberalen en Demokraten ou Parti Libéral et Démocrate flamand), et en une aile francophone, actuellement PRL (Parti Réformateur Libéral), coalisé depuis peu d’abord avec le FDF (Front pour la Défense des Francophones), et puis avec le MCC (Mouvement des Citoyens pour le Changement).
En 1978, c’est au tour du Parti Socialiste Belge de s’incliner devant la contrainte sociologique du pays, en dépit de la farouche opposition des unitaristes tel que l’ancien premier ministre Leburton. Il y a désormais deux partis socialistes sur le territoire belge : le PS en Wallonie et le SP en Flandre. La nouvelle génération des partis, les Verts, qui contrairement aux partis traditionnels ont choisi la défense de l’environnement et la quête d’un nouveau type de société comme cheval de bataille, ne déroge pas à cette règle générale. Les partis Ecolo et Agalev réunissent respectivement les Verts wallons et les Verts flamands.
Si ces scissions s’étaient produites en Afrique, elles n’auraient servi qu’à tourner nos traditions en dérision. Intellectuels occidentaux, imbus du complexe de supériorité raciale, et africains, colonisés jusqu’à la moelle des os, s’en seraient saisi pour démontrer l’absence de culture démocratique de nos dirigeants et de nos masses. Pourtant, on doit à la vérité de reconnaître qu’en Belgique comme ailleurs au monde, leur reconnaissance ne peut que servir la démocratie. Conduit par cette certitude, l’Américain Crawford Young s’est exprimé en ces termes, au sujet du déferlement des micronationalismes dans le jeune Etat indépendant du Congo en 1960 : « Ce n’est pas juste à l’égard des Congolais de faire du mot tribal un synonyme de l’adjectif arriéré : il n’y a rien de plus arriéré dans l’affirmation de la culture kongo que dans le nationalisme flamand ou québécois ».
Exemple à ne pas suivre ?
Avec sa démocratie basée sur l’ethnie, la Belgique a souvent été au bord de l’implosion ; ce qui discrédite, aux yeux de certains observateurs, le modèle démocratique basé sur l’ethnie. C’est oublier que les raisons des crises politiques à répétition en Belgique se situent ailleurs. L’existence de deux mémoires collectives au sein d’un même Etat explique le mal-être belge. Sous la domination des Hollandais, Flamands et Wallons avaient une même mémoire collective, celle des dominés. Avec l’indépendance de la Belgique et le remplacement, pour les Flamands, de la domination hollandaise par la domination francophone/wallonne, il y a eu divergence dans la mémoire collective des Belges. En effet, un dominé et un dominateur ne peuvent en aucun cas avoir une même mémoire, mais des mémoires différentes voire aux antipodes l’une de l’autre. Forts de la prospérité de la Wallonie, les élites francophones/wallonnes, qui n’avaient pas été à la bonne école d’Adu Elenga avec sa fameuse chanson « Ata ndele mokili ekobaluka » (Tôt ou tard, le monde changera), n’ont eu que du mépris pour les pauvres Flamands. Ce complexe de supériorité a développé en ces derniers des sentiments de dépit et de rancune qui, la richesse et l’essor démographique ayant changé de camp, poussent des élites flamandes à se venger tandis que des élites francophones s’en vont chercher leur grandeur perdue en soutenant l’insoutenable en RDC.
Conclusion
Les Belges ont-ils été mal inspirés en construisant leur démocratie sur l’ethnie ? Pour répondre à cette question de manière satisfaisante, il faut s’en poser une autre. L’imitation servile du modèle Westminster aurait-il suffi à couper les ailes au nationalisme flamand ? Non, car celui-ci se serait alors exprimé dans la violence. A cet égard, les Belges n’avaient d’autre alternative que d’adapter le modèle Westminster à l’asymétrie sociologique, économique, idéologique et politique entre le Nord et le Sud de leur pays. Par ailleurs, en dépit de leurs sempiternelles querelles ethniques et crises politiques récurrentes, les Belges ont réussi à bâtir un Etat de droit qui a brillamment démontré sa solidité lors de la dernière crise politique, la plus longue de l’histoire contemporaine européenne avec ses 541 jours, mais que les populations n’avaient nullement ressenti dans leur vécu quotidien. Par contre, à quelques rares exceptions, l’importation aveugle du modèle Westminster par les Etats africains a toujours entrainé ceux-ci dans une débâcle généralisée.
Le ressentiment flamand, qui a poussé la réforme de l’Etat belge jusqu’au fédéralisme et peut être demain au confédéralisme voire à la balkanisation pure et simple du pays, n’existe dans aucune province congolaise. A cet égard, les Congolais se contenteraient bien de la décentralisation dans le cadre d’un Etat unitaire avec les provinces élevées au statut de caucus. En outre, les institutions belges présentent une grande complexité du fait qu’en plus des régions, l’Etat fédéral est également composé des communautés, qui n’ont pas toujours les mêmes frontières géographiques que les régions et ayant leurs propres gouvernements et parlements. Les Congolais pourraient faire l’économie d’une telle complexité. Bien plus, l’accès au pouvoir serait également simplifié car les provinces fonctionnant comme des caucus devant élire leurs représentants aux institutions nationales, on pourrait se passer de partis politiques aux idéologies suspendues en l’air, puisque n’ayant aucun rapport avec les conflits et aspirations majeurs de la nation congolaise.
Author: Nkwa Ngolo Zonso
Source: Congoindépendant 2003-2012, du 27 Mars 2012
Source: Congoindépendant 2003-2012, du 27 Mars 2012
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