Analyse. Les rebelles touaregs, dont une partie affiche des liens avec Al-Qaeda au Maghreb islamique, contrôlent désormais Gao et Tombouctou dans le nord du pays, mettant l’armée en déroute.
Kidal, Gao et Tombouctou. En trois jours, les rebelles touaregs ont achevé la conquête de tout le nord du Mali, atteignant leur but de guerre proclamé. Le pays est désormais coupé en deux et le risque de partition, jugé hier encore du domaine du fantasme, prend corps.
L’armée gouvernementale s’est effondrée de manière foudroyante. Durant leur offensive éclair, les insurgés n’ont quasiment rencontré aucune résistance. «L’armée malienne n’a jamais réellement existé, explique un expert militaire français. Ses hommes étaient là, pour la plupart, pour bénéficier d’un salaire et de conditions de vie décentes. Pourquoi se feraient-ils tuer pour une région qui leur apparaît comme un pays étranger ?»
A la mi-janvier, les rebelles touaregs ont justifié le recours aux armes par la volonté de «libérer» l’Azawad, une vaste région du Nord-Mali qu’ils considèrent comme le berceau de leur civilisation. Depuis l’indépendance de cette ancienne colonie française, en 1960, le Mali est périodiquement secoué par des mouvements de révolte des «hommes bleus». Ces derniers ne se sont jamais sentis ni intégrés ni considérés par le pouvoir central. «Le sentiment d’humiliation ressenti en permanence par les Touaregs est un ressort essentiel pour comprendre leur défiance vis-à-vis de Bamako», dit un spécialiste de la région.
Corridor. Jusqu’alors, ces révoltes à répétition s’achevaient toujours autour d’une table de négociations. Avec, dans le rôle du parrain attentionné, feu le colonel Kadhafi. Ce dernier a gardé en permanence un œil sur la bande sahélienne qu’il se piquait de vouloir régenter. Pour ramener le calme, l’ancien homme fort de Libye mettait généralement la main au portefeuille. Tout le monde rentrait alors dans le rang au Mali. Jusqu’à la fois suivante.
A cet égard, la disparition du Guide libyen a marqué un véritable tournant pour Bamako. Pendant le conflit en Libye, plusieurs centaines de combattants touaregs originaires du Mali, à la solde de Tripoli, ont fui sans encombre le sol libyen pour rejoindre leur pays natal. Le pouvoir malien a alors soupçonné l’Otan de leur avoir ouvert un corridor afin de leur permettre de sortir sans encombre de Libye. Et ainsi affaiblir le camp de Kadhafi. «C’est une colonne entière, très bien structurée, avec des ambulances en queue de convoi, qui a rallié le nord du Mali», s’étonnait, récemment, l’ex-ministre malien des Affaires étrangères, Soumeylou Boubèye Maïga.
Orphelins, les combattants touaregs des légions du Guide libyen, bien entraînés et lourdement armés, se sont trouvé une nouvelle raison d’être : devenir maîtres chez eux, en abrogeant la loi d’un pouvoir dont le siège est à plus d’un millier de kilomètres de là. Les hommes du colonel Mohamed Najim, rejoints par des vétérans de rébellions touareg précédentes, ont alors fondé le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ce sont ces soldats aguerris et motivés qui se sont emparés hier de Tombouctou.
Mais, sur le terrain, ils sont concurrencés par une autre faction touareg, baptisée Ansar Dine («l’Armée de la religion»). Dirigée par une figure de la région de Kidal, Iyad ag-Ghaly, elle affiche d’autres objectifs, proclamant notamment sa volonté d’instituer la charia sur tout le territoire malien. A Kidal, comme à Gao, des témoins joints par l’AFP racontent avoir vu des «barbus» lancer des «Allah akbar !» (Dieu est grand !) en entrant dans ces cités.
Ce groupe serait, en grande partie, composé de jeunes radicalisés au contact d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), actif dans le nord du Mali. Dans une zone désertique et extrêmement pauvre, une nouvelle génération de Touaregs aurait ainsi été séduite par l’idéologie des islamistes et par leur puissance fondée sur l’argent des rançons des prises d’otages occidentaux.
«Rétablir l’unité». Quelle est la nature exacte des liens entre Ansar Dine et les membres du MNLA, un mouvement qui se veut laïc ? C’est, pour l’heure, l’une des interrogations majeures. Sur le terrain, les deux groupes sont présents côte à côte, mais ils n’avancent pas forcément main dans la main. Ainsi à Kidal, chacun a pris le contrôle d’un camp militaire. «Nous partageons les mêmes objectifs, assure pourtant Hama Sid Ahmed, un porte-parole du MNLA. Dans les jours qui viennent, nous allons travailler tous ensemble à rétablir l’unité de notre mouvement. Certains slogans ne correspondent en rien aux traditions de la région et aux revendications des Touaregs.» Une fois atteints leurs objectifs territoriaux, ces groupes aux idéologies diamétralement opposées ne risquent-ils pas de s’affronter ? Pour compliquer un peu plus la donne, un nouveau groupe islamiste a fait irruption ce week-end à Gao : le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Se présentant comme une dissidence d’Aqmi, il serait dirigé par des activistes maliens et mauritaniens.
Les responsables du MNLA, qui affirmaient avoir pris les armes aussi pour «récupérer» les jeunes séduits par les sirènes d’Aqmi, auraient-ils déjà perdu la partie ? «Aqmi tente de profiter de la situation pour s’infiltrer, reconnaît Hama Sid-Ahmed. Jusqu’ici, notre priorité a été d’atteindre nos objectifs territoriaux. Mais dans les jours qui viennent, nous allons nous occuper d’Aqmi.»
Aux abois, la junte qui, à Bamako, a déposé l’ex-président Amadou Toumani Touré, a annoncé, hier, le rétablissement de l’ordre constitutionnel et l’envoi d’émissaires auprès des insurgés. Mais lesquels ?
Author: Thomas Hofnung
Source: Liberation, du 02/04/2012
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