Un président aux abonnés absents, une junte militaire aux abois, des rebelles qui enchaînent les victoires… Difficile d'y voir clair dans la crise qui secoue le Mali depuis le coup d'Etat du 22 mars. FTVi dresse le portrait des acteurs d'une situation qui pourrait aboutir à la partition du pays.
• Un président en fin de carrière
Surnommé le "soldat de la démocratie", Amadou Toumani Touré (ATT) devait quitter le pouvoir après les élections prévues fin avril. Une fin de règne programmée qui explique en partie sa faible résistance au coup d'Etat du 22 mars. "Il aurait pu tenter son va-tout, il ne l'a pas fait, et c'est à porter à son crédit", estime l'historien Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains au CNRS, qui explique qu'ATT veut éviter des combats fratricides.
Aujourd'hui, nul ne sait où il se trouve. Sa seule déclaration depuis le coup d'Etat a été faite par téléphone, à l'AFP. "Je suis bien à Bamako, et Dieu merci ma famille et moi nous nous portons tous bien", avait-il affirmé mercredi 28 mars.
• Des militaires inconnus et inexpérimentés
Lorsque le 21 mars, le lieutenant Amadou Konaré annonce à la télévision publique le renversement d'Amadou Toumani Touré, son visage est inconnu des Maliens. Et pour cause : comme la majorité des dirigeants de la junte, il est un simple officier de l'armée avant de devenir le porte-parole d'un mystérieux Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat (CNRDR). "Ce ne sont pas des gens expérimentés", souligne Pierre Boilley. Leur chef, le capitaine Amadou Sanogo, est professeur d'anglais au sein de l'armée.
La raison de leur colère ? En guerre contre des indépendantistes du nord du pays, l'armée subit des pertes. "Une grande partie des revendications est très sociale : la piétaille se fait massacrer au nord alors que la hiérarchie s'en met plein les poches", explique l'historien. Des revendications qui permettent aux mutins de rallier à leur cause une partie de l'opinion publique. Le 29 mars, des manifestants pro-junte ont occupé avec succès le tarmac de l'aéroport de Bamako, empêchant les leaders de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) de se poser, comme le raconte RFI.fr.
L'inexpérience des mutins est lourde de conséquences. "Jusqu'à présent, ils n'ont fait que du tort au Mali", résume Pierre Boilley. Il juge ce coup d'Etat "non seulement inepte mais très négatif pour le Mali". De fait, la désorganisation de l'armée et de l'Etat a permis à la rébellion du nord de prendre les trois plus grandes villes de la région en trois jours. "Et l’Oscar du putsch le plus inepte de la décennie est attribué à l’unanimité à… la junte malienne", ironise le journaliste de L'Express Vincent Hugeux sur son blog.
• Le Mouvement national de libération de l'Azawad, des rebelles organisés et déterminés
Le principal adversaire de l'Etat malien dans le Nord est le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA). C'est lui qui est aujourd'hui en position de force, au moins dans cette partie du pays. Sa revendication est simple : l'indépendance de l'Azawad, territoire de 800 000 km², soit plus de la moitié du Mali.
Fondé en novembre 2010, ce mouvement, dirigé par Mahmoud Ag Ghali, est composé majoritairement de Touareg, mais aussi de Maures, de Songhaïs et d'anciens des rébellions précédentes. Il est monté en puissance avec le retour des Touareg chassés de Libye par la chute de Mouammar Kadhafi, en 2011. Ces derniers ramènent dans leurs bagages des blindés légers et des missiles sol-sol. "Ce groupe a constitué l'apport décisif pour la constitution de la branche armée du MNLA, fin décembre-début janvier", juge Pierre Boilley. Aucune donnée fiable n'existe, mais leur nombre pourrait avoir doublé pour atteindre 2 000 à 3 000 soldats.
En position de force après la prise de Tombouctou et de Gao le week-end du 1er avril, ils enregistrent de nombreux ralliements. Même chose avec les habitants de la région : "Avec les succès, une majorité de gens sont manifestement derrière eux avec fierté", analyse Pierre Boilley.
Pour le chercheur, le MNLA a remporté la partie sur le plan militaire. "Je vois mal l'Etat reprendre le terrain perdu. Quand on tient Tombouctou et Gao, on tient le fleuve Niger et tous les accès au Nord", rappelle-t-il. Mais il est peu probable que les rebelles poussent leur avantage jusqu'à Bamako, la capitale. "C'est un fantasme. Ce n'est ni leur but, ni leur intérêt", estime Pierre Boilley.
Le MNLA a déjà fort à faire pour stabiliser la région sous son contrôle : à Tombouctou, des pilleurs sont à l'œuvre, rapporte un habitant au correspondant du Monde dans la région (article abonné). "C'est difficile de tout contrôler, relativise André Bourgeot, spécialiste du Mali au CNRS, d'autant que cela s'inscrit dans un contexte de délinquance généralisée" dans une région traversée par de nombreux trafics. Pour ne rien arranger, le mouvement doit également composer avec d'autres organisations touareg.
• Ansar Dine, la minorité salafiste
Composé de salafistes touareg, Ansar Dine "est un mouvement un peu hybride, à la fois salafiste et indépendantiste", explique Pierre Boilley. Minoritaire, ce mouvement ne partage pas les mêmes objectifs que le MNLA. "Ils veulent libérer le territoire et ensuite établir la charia au Mali, poursuit le chercheur. Ce que rejette le MNLA, qui parle de l'établissement d'une république laïque."
Sur le terrain, ses 200 à 300 hommes ont participé aux combats. "Toutes les conquêtes l'ont été en collaboration, rappelle André Bourgeot, ce sont des alliés objectifs du MNLA." Une alliance de circonstance qui pourrait ne pas durer. Dans la ville de Kidal, chaque mouvement a pris le contrôle d'un camp militaire, rapporte Libération.
"Maintenant que l'ennemi commun est affaibli, il va y avoir une compétition pour le leadership régional", prédit André Bourgeot. Si le MNLA a pour le moment l'avantage du nombre, le rapport de forces pourrait être modifié. Pour preuve, l'Ansar Dine a pris le contrôle de Tombouctou le 2 avril, et en a chassé les hommes du MNLA. Des personnalités ont ainsi changé de camp. Les autres populations de la région, comme les Maures, les Peuls et les Arabes, auront également leur mot à dire.
• Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)
Les deux chercheurs sont formels. Pour le moment, si des éléments d'Aqmi participent aux combats, l'organisation terroriste ne prend pas formellement part au conflit. "Aqmi n'a rien revendiqué", constate André Bourgeot. Et pour cause, "cette guerre n'est pas dans son intérêt, Aqmi n'a jamais revendiqué une quelconque conquête territoriale", rappelle Pierre Boilley.
Le conflit pourrait même desservir l'organisation, qui n'a pas les faveurs du MNLA. "Dans les jours qui viennent, nous allons nous occuper d’Aqmi”, déclare Hama Sid-Ahmed, un porte-parole du mouvement, à Libération le 2 avril.
Le MNLA va-t-il s'en prendre à l'organisation terroriste ? "Jusqu'à présent, ils avaient trop à faire au sud pour ouvrir de nouveaux fronts. Mais maintenant, c'est nettement plus plausible", estime Pierre Boilley. André Bourgeot se montre plus sceptique : "Une fois que vous avez fait une conquête militaire, il faut administrer le territoire. Est-ce qu'ils en auront les moyens tout en faisant la guerre à Aqmi ?"
• L'inconnue du Mujao
Créé ces derniers jours à Gao, le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) vient un peu plus compliquer la situation. Selon Libération, ce groupe se présente comme une dissidence d'Aqmi. Il serait composé de jeunes Touareg séduits par l'idéologie islamiste et l'argent des rançons des prises d'otages.
• Quel avenir pour le Mali ?
Condamnée par la quasi-totalité des partis politiques maliens et par la communauté internationale, la junte ne devrait pas s'éterniser à la tête du Mali. Ce week-end, elle a dû accepter de rétablir l'ordre constitutionnel, sous la menace des sanctions de la Cédéao, explique Jean-Philippe Rémy, du Monde, sur son blog. "Je pense qu'il y aura un rétablissement à relativement court terme d'une vie politique normale au Mali", prédit Pierre Boilley.
Dans le Nord, un retour à la normale s'annonce compliqué. D'un côté, l'Etat malien ne peut accepter de perdre la moitié de son territoire. De l'autre, les rebelles, en position de force, sont déterminés à ne rien lâcher. "Les positions sont irréconciliables", résume Pierre Boilley.
Author: Thomas Baïetto
Source: France TV Info, Publié le 03/04/2012 | 07:39 , mis à jour le 03/04/2012 | 07:39
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