Depuis plusieurs semaines, l'armée congolaise affronte les
mutins proches de Bosco Ntaganda, un ex-rebelle recherché par la Cour pénale
internationale (CPI). Après avoir longtemps protégé Ntaganda, Joseph Kabila
semble maintenant décidé à l'arrêter, au risque de relancer la guerre dans le
Kivu. Pierre Jacquemot, chercheur associé à l'IRIS, nous explique pourquoi la
violence persiste dans la région et pourquoi Joseph Kabila et Paul Kagame ont
décidé de "lâcher" Bosco Ntaganda.
Etes-vous étonné de la reprise de la
violence ces dernières semaines dans l'Est de la République démocratique du
Congo ?
La violence est endémique dans cette zone depuis une quinzaine
d'années, même si elle se déplace d'une ville à l'autre entre le Nord et le
Sud-Kivu. Cette violence est liée à plusieurs facteurs qui s'amplifient à
certaines périodes. Tout d'abord, la présence d'une communauté d'origine
rwandaise qui s'est installée après le génocide de 1994 dans des camps de
réfugiés, puis plus durablement et qui a ensuite mené des actions armées contre
le gouvernement rwandais de Paul Kagame. Ce premier groupe se retrouve autour
des FDLR (rébellion d'origine hutu, NDLR) et constitue un facteur permanent
d'insécurité. D'autant que les FDLR sont également attaqués par des groupes
d'origine tutsi - les rebelles du CNDP - qui ont abandonné la rébellion en 2009
après l'arrestation de leur chef Laurent Nkunda et l'allégeance de leur
responsable militaire, Bosco Ntaganda, au gouvernement de Joseph Kabila. Vous
pouvez ajouter à cela l'existence de groupes armés locaux, que l'on appelle les
Maï-Maï, qui passent régulièrement des alliances de circonstance avec telle ou
telle rébellion. Il y a également un facteur économique, un besoin important de
terres dans la région et les terres de deux Kivu sont particulièrement riches et
convoitées. On peut enfin ajouter à cela, la présence de minerais, comme la
cassitérite, le coltan ou l'or et vous obtenez tous les ingrédients d'une
économie de guerre, depuis que les cours de ces minerais se sont envolés.
Certaines mines font l'objet de combats très réguliers entre l'armée congolaise,
les FDLR ou le CNDP. Voilà le contexte qui permet de comprendre pourquoi il y a
en permanence une situation de conflit dans l'Est de la RDC.
La
situation échappe complètement à l'armée ?
L'armée est impuissante à
remettre de l'ordre, car elle est traversée par ses propres contradictions,
notamment avec le problème de l'intégration des troupes rebelles en son sein. La
Monusco ensuite, bien que forte de 20.000 hommes, le plus fort contingent de
Casques bleus au monde, est incapable de garantir durablement la sécurité des
populations.
Ces dernières semaines, la violence est montée d'un cran
dans le Kivu, avec l'annonce de la possible arrestation de Bosco Ntaganda ?
Il y a aujourd'hui un enjeu nouveau qui est l'arrestation de Bosco
Ntaganda. C'est un individu d'une violence rare que l'on appelait à une époque
"Terminator", qui n'a pas hésité à enrôler des enfants soldats et à commettre
des délits extrêmement graves. Ntaganda a eu longtemps le soutien du Rwanda, qui
maintenant prend ses distances. C'est du moins ce qu'a déclaré Paul Kagame la
semaine dernière. Bosco Ntaganda avait lâché son chef, Laurent Nkunda, en 2009,
pour rejoindre l'armée régulière congolaise avec 3.000 de ses hommes. En
contrepartie, on lui a donné un titre de général et des prérogatives sur une
partie du Nord-Kivu. En fait, cette ex-milice du CNDP ne s'est jamais vraiment
intégrée dans l'armée. Elle a toujours constitué "une armée dans l'armée" et
continuait les trafics de minerais, notamment de Cassitérite et les trafics
d'armes. Bosco Ntaganda devrait être déféré auprès de la Cour pénale
internationale de La Haye (CPI), mais on tourne autour du pot depuis au moins 18
mois. Il y a d'un côté Human Rights Watch (HRW) qui demande son arrestation en
mettant en avant le volet juridique de l'affaire et de l’autre côté, il y a ceux
qui pensent qu'il faut prendre un certain nombre de précautions pour éviter les
"répercussions négatives" des soldats du CNDP qui défendent encore Ntaganda et
qui risqueraient de s'en prendre à la population civile. Et c'est un peu ce qui
se passe depuis que la pression s'est accentuée autour de son arrestation. On
assiste à des désertions d'officiers du CNDP qui rejoignent des groupes Maï-Maï
et c'est, bien sûr, une source importante d'inquiétude.
Après avoir
longtemps protégé son allié Bosco Ntaganda, Joseph Kabila se retrouve face à un
dilemme : satisfaire la communauté internationale en arrêtant Ntaganda et
prendre le risque de rallumer la guerre à l'Est ou continuer de la protéger et
s'isoler sur la scène internationale ?
Il semble que Joseph Kabila a
tranché. Visiblement il a évolué dans son attitude puisqu'au départ il était
très réticent à l'arrestation de Ntaganda. Je lui ai directement posé la
question plusieurs fois. Il était assez évasif, mais il était convaincu que
l'individu commettait des exactions et était complètement incontrôlable au sein
de l'armée. Kabila a changé de position puisque dernièrement, 14 militaires
ex-CNDP ont été transférés à Bukavu pour y être jugés. Il faut également
rappeler que Joseph Kabila souhaite retrouver un peu de crédibilité et un peu de
"virginité" après des élections qui se sont mal passées en novembre dernier.
Joseph Kabila a-t-il les moyens d'arrêter Ntaganda ?
C'est une
opération pas facile à mener. Il faut d'abord l'attraper. Ntaganda est
actuellement retranché dans son fief du Nord-Kivu (dans le Masisi, NDLR) qui
constitue une sorte de "sanctuaire" dont il sera difficile de le sortir. Je
pense qu'il faudra des moyens supplémentaires et je pense aux hélicoptères de la
Monusco qui devront l'emmener immédiatement sur Kinshasa et ensuite vers La
Haye. Tout doit se passer très vite. A noter qu'il faudra également trouver un
autre "chef" à mettre à la tête du CNDP, qui soit loyal à Kinshasa, intègre… et
ces conditions ne sont pas faciles à trouver. Sinon nous aurons des ex-miliciens
qui vont se retrouver dans la nature sans chef et c'est extrêmement dangereux.
Ntaganda est-il toujours soutenu par le Rwanda ?
Le Rwanda a
compris que Ntaganda est une carte qu'il ne peut plus jouer. Le Rwanda n'a plus
vraiment besoin de s'occuper de deux Kivu. Les réseaux mafieux sont parfaitement
huilés et ils n'ont plus besoin de ces miliciens.
Selon vous, le Rwanda
peut-il lâcher Ntaganda ?
Oui, je le pense. Soutenir Ntaganda coûte trop
cher en termes d'image au Rwanda. En plus, Ntaganda n'est plus vraiment utile en
terme économique. Pour gérer les réseaux mafieux à leur bénéfice, ils n'ont pas
besoin de Bosco. Il faut également savoir que le coltan et la cassitérite ne
rapportent plus autant d'argent qu'il y a encore 2 ans.
Pour quelles
raisons ?
Essentiellement, à cause de la loi Dodd Franck qui contraint
les entreprises américaines à prouver l'origine de la cassitérite et du coltan
qu'elles utilisent. Les marchés se sont donc déplacés vers l'Australie et
l'Amérique Latine. Il y a donc moins d'intérêt économique pour le Rwanda. En
plus, ces groupes CNDP sont devenus, avec le temps, des électrons libres et je
ne crois pas que Kagame y trouve beaucoup d'intérêts. On peut donc penser que
Kabila est assuré d'une certaine neutralité du Rwanda s'il souhaite procéder à
l'arrestation de Ntaganda.
Joseph Kabila peut-il être tenté de juger
Ntaganda à Kinshasa et de ne pas l'envoyer devant la Cour pénale internationale
?
Je n'ai pas vraiment la réponse. Joseph Kabila peut en effet être
tenté de jouer la carte de la fierté nationale, comme les Ivoiriens aurait pu
refaire avec Laurent Gbagbo. Kabila pourrait effectivement dire : «On est assez
grand pour le juger à Kinshasas». C'est un procès qui aurait une grande valeur
symbolique et qui, s'il était mené dans de bonnes conditions, pourrait corriger
l'impact négatif du procès de l'affaire Chebeya. Ce n'est pas exclu.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD (Afrikarabia.com)
Source: Le
Potentiel, du 07/05/2012
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