Friday, March 11, 2011

LIBYE: Kadhafi engage la guerre du pétrole

Les installations de Brega et de Ras Lanouf alimentent en gaz la majorité des centrales électriques de l'Est libyen. Si les soldats rebelles en perdaient le contrôle, le gouvernement de Tripoli pourrait plonger dans le noir les villes insurgées.

À Ras Lanouf

L'énorme complexe de Ras Lanouf trône au milieu d'une plaine sèche, gros amas de tubes et de tuyaux au milieu de nulle part. Une simple arche blanche au bord de la route signale l'entrée de Ras Lanouf Oil and Gas Processing Compagny (Rasco) comme si ce n'était qu'une grosse ferme. Mais avec le terminal pétrolier voisin de Sidra, le site représente en fait l'un des fleurons de l'industrie libyenne, le cœur des finances du régime de Kadhafi. Plus de 220.000 barils de brut raffinés sortaient des installations par jour, de même que des tonnes de gaz. Des millions de dollars de bénéfices. Jusqu'à la guerre.

Devant les grilles, quelques soldats rebelles passent le temps, kalachnikov sur les genoux, sans prêter la moindre attention à l'usine. Ils ne parlent que d'attaquer les villes plus lointaines: Ben Jawad, Syrte et enfin Tripoli «inch'allah». L'intérêt stratégique du contrôle de Rasco dans cette guerre civile est loin de leurs préoccupations et de leurs rêves de liberté. Les lieux, il est vrai, semblaient comme préservés des combats qui s'acharnaient sur les villes et villages voisins.

La donne a brusquement changé mercredi. Pour la première fois, un chasseur des forces fidèles à Kadhafi a bombardé Sidra, touchant de plein fouet une grande cuve de brut et un pipeline. Jeudi, un Sukhoï a lâché une bombe à une encablure du centre gazier de Brega, à 100 kilomètres plus à l'est. La menace ainsi brandie par le Guide n'a échappé à personne. La nouvelle a affolé les Bourses, faisant grimper encore un peu plus les cours et la pression sur les pays occidentaux si dépendants des exportations de pétrole. En Libye, l'enjeu que représentent ces complexes pour l'avenir de la révolution du 17 février est lui aussi apparu au grand jour. Les installations de Brega et de Ras Lanouf alimentent en gaz la majorité des centrales électriques de l'Est libyen. Si les soldats rebelles en perdaient le contrôle, le gouvernement de Tripoli pourrait plonger dans le noir les villes insurgées.


«Nous sommes là pour vaincre ou mourir»

Leur destruction fait courir un plus grand danger encore aux populations. Les réservoirs des sites pétrochimiques regorgent de brut, mais aussi de gaz, d'éthylène, de propylène et d'ammoniaque, hautement explosifs. «Si les réservoirs sont pleins, il y a de quoi raser la région à 40 kilomètres à la ronde», confie un ingénieur. «Nous sommes maintenant fermés. Plus rien ne fonctionne», glisse, visiblement très mal à l'aise, l'un des directeurs de l'unité de Brega. Il n'en dira pas plus. L'homme, il y a quelques jours à peine, était encore charmant. Mais depuis, la peur, celle qui l'a habité pendant 42 ans, est revenue. Il redoute ouvertement un retour des miliciens de Kadhafi et les enlèvements. Des histoires, invérifiables, circulent. Rassurés par l'avancée des leurs, les anciens de la police secrète du régime auraient ressurgi, kidnappant ces derniers jours une vingtaine d'employés infidèles. «Les cuves du complexe ont presque toutes été vidées il y a dix jours. Il ne reste qu'un peu de gaz ainsi que de l'ammoniaque», affirme un cadre. Suffisant pour causer d'énormes dégâts.

Sur la route, les chebab refusent pourtant toujours de se soucier de Sidra. «Nous sommes là pour vaincre ou mourir», répètent-ils. À Benghazi, capitale de la révolution, cette guerre du pétrole lancée par le tyran n'est pas non plus une surprise. «On sait qu'il est capable de tout. Même de raser une partie du pays», résume, fataliste, Mustafa Gheriani, membre du Comité national, cette instance désormais reconnue par la France comme le gouvernement légitime de la Libye. «S'il nous faut vivre sans électricité pour nous libérer, nous le ferons.»



Author: Tanguy Berthemet


Source:  Le Figaro, du  11/03/2011

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