Avec l’ouverture du procès de Jean-Pierre Bemba à La Haye (Pays-Bas), la Cour pénale Internationale joue sa crédibilité mais surtout sa légitimité en tant qu’instance internationale des crimes contre l’humanité et autres de mêmes genres. Cet article, rendu en marge de la conférence de la CPI à Kampala par le Journal Le Pays, s’est concentré sur ce débat.
La nouvelle intéresse au plus haut point les nations africaines, et pour cause. Les Etats membres de la Cour pénale internationale (CPI) se sont réunis dernièrement à Kampala pour un bilan après huit années d’existence de l’instance judiciaire internationale.
En effet, fondée en 1998 par le Traité de Rome, la CPI est entrée en vigueur en 2002. Installée aux Pays-Bas, elle est à ce jour le premier tribunal international permanent chargé de juger des génocides, des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité.
Pendant une bonne dizaine de jours, les représentants d’environ 80 pays ayant ratifié les statuts de Rome ont dressé le bilan de l’action de cette CPI dont, on se rappelle, le premier procès a commencé en 2009.
Fait d’importance et qui devra focaliser une bonne partie de débats, la conférence de Kampala visait à inclure dans le champ de la compétence de la CPI, le crime d’ « agression » d’un Etat contre un autre Etat. Les débats ont été houleux sur le sujet.
Le simple fait que ladite rencontre se tienne en terre africaine constituait à lui seul tout un symbole. Que l’on recense des «criminels » qui croupissent déjà dans les geôles du tribunal à La Haye, ou que l’on fasse le décompte de ceux sur qui pèsent les redoutables mandats lancés par le juge Luis Moreno O’campo et ses pairs, un constat s’impose, évident : les Africains constituent le plus grand contingent des criminels épinglés.
Les plus célèbres prisonniers africains de la Cour déjà sous les verrous sont, le Libérien Charles Taylor, les Congolais Jean-Pierre Bemba, Mathieu Ngudjolo, Thomas Lubanga. L’Africain le plus activement recherché en ce moment demeurant le soudanais Omar El-Béchir. Cela fait tout de même un beau paquet pour le même continent.
A sa décharge, la CPI rétorque qu’elle s’est saisie des dossiers incriminés à la demande expresse d’Etats signataires du désormais fameux Traité de Rome. Et que si la majorité des cas concerne le continent africain, ce n’est que pure coïncidence et non pas la manifestation d’un quelconque acharnement provenant de sa part. Dont acte.
Et, en toute justice, il faut reconnaître et concéder à la CPI qu’en matière de violation de droits de l’homme, le continent noir est celui qui, fort malheureusement, s’illustre bien tristement. Et il est normal, si on réclame justice, que la Cour puisse traquer ces criminels qui s’amusent à jouer les prédateurs des droits de l’Homme.
Seulement, on ne devrait pas s’en arrêter là. Car, pour droits de l’Homme, il se trouve que des pays - et pas des moindres - qui n’ont ni signé ni ratifié le Traité de Rome se servent de leur abstention pour violer ces mêmes droits de l’homme sans que pour autant la justice internationale, à ce jour, ne traduise un seul de leurs ressortissants au tribunal de La Haye. Comment peut-on l’expliquer ?
Le simple fait de ne pas être signataire dudit traité donne-t-il le droit de se livrer impunément à tous les excès ? On présume que non. Alors, il faut trouver des solutions idoines.
Ce n’est pas là, le seul problème de la CPI. Même les pays signataires de sa charte, lorsque vient le moment d’en appliquer le contenu, choisissent la voie facile de la feinte et de la dérobade. Le cas le plus patent en ce moment, est bien celui du président soudanais El-Béchir. L’immense majorité des pays de l’UA qui lui apportent leur soutien est pourtant signataire du Traité de Rome.
A ce jour, mis à part l’Afrique du Sud et le Botswana, El-Béchir peut se déplacer et se pavaner à loisir presque partout où il le voudra sur le continent africain. En toute impunité. C’est simplement hypocrite et incongru. On l’aura compris, de gros problèmes subsistent auxquels devront sans doute s’attaquer les pays signataires du Traité de Rome, qui, en ce moment, se retrouvent pour faire le bilan de la CPI, à Kampala.
La Cour, si tant est qu’elle souhaite s’occuper vraiment de faire rayonner la justice en refusant de la restreindre aux limites des frontières, si tant est qu’elle souhaite dire le droit sans qu’on ne puisse en dire qu’il est à la tête du client, aura le devoir de revoir ses statuts. On l’imagine, c’est sans doute dans ce sens qu’elle envisage inclure le crime d’ « agression » d’un Etat contre un autre Etat. Ce ne sera sans doute pas une sinécure et le président de l’Assemblée des Etats membres de la CPI qui, dès à présent, murmure son « optimisme prudent », parlant d’un accord dans ce sens, ne veut pas dire autre chose. Car si un consensus peut facilement se faire sur la définition de ce « nouveau » crime, les discussions risquent d’achopper sur les conditions dans lesquelles devrait s’opérer la saisine de si délicats dossiers. Et la question débouche tout naturellement sur un problème plus grand.
Les Etats-Unis qui n’ont pas ratifié le Traité de Rome, ont signifié l’année dernière que seul le Conseil de Sécurité devrait avoir autorité pour déterminer ce qui constitue une agression. Fait notable, les Etats-Unis disposent, avec la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne et la France, du fameux droit de veto. Et si, dans le même temps, on se rend compte que deux autres « grands » de l’ONU ne sont pas, eux non plus membres de la CPI, on se rend compte que sortir le Tribunal de ses ornières n’est pas et ne sera pas pour bientôt. Tous ces pays sont animés de la ferme intention de se protéger eux-mêmes et de constituer de sérieux boucliers qui protègent leurs «amis ».
Dans ces conditions, on risque fort de se retrouver, tournant en rond, à l’infini, dans un cercle bien vicieux.
Et pourtant, ce sont tous des pays qui chantent à profusion les louanges et les mérites de la bonne protection des valeurs humaines et des droits de l’homme. Sans doute, des paradoxes inhérents depuis toujours à l’esprit humain qui régulièrement veut d’une chose et de son contraire. A la différence près qu’ici, se greffent des enjeux politiques, diplomatiques et géostratégiques. A ne plus savoir où donner de la tête. Et la CPI a bien du pain sur la planche. Elle devra suer sang et eau pour se rendre légitime et crédible..
LE PAYS
Source:Le Potentiel, du 23/11/2010
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