Après la publication le 1er octobre 2010 par le Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme du rapport faisant état de plus graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le sol congolais, l’heure est à la mise en œuvre des mécanismes pour poursuivre les coupables en justice. Mais, des divergences persistent entre l’ONU et la RDC sur la méthode.
Malgré l’appui apporté au rapport publié le vendredi 1er octobre 2010 par le Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) relatif aux violations graves des droits de l’homme et du droit humanitaire sur le sol congolais entre 1993 et 2003, la RDC n’épouse pas l’avis exprimé par les experts des Nations sur la mise en œuvre des mécanismes juridiques de réparation.
En effet, dans le rapport mapping 2010, le HCDH réserve l’initiative de création des chambres mixtes au Conseil de sécurité. Le rapport demande expressément que la justice soit faite. Au même moment, il propose des mécanismes de justice transitionnelle, avec une préférence pour l’institution des chambres mixtes, qui ne seraient pas sous la férule des juridictions nationales de la RDC.
Ce point de vue n’est pas partagé par la RDC. Celle-ci reste favorable à l’option présentée par le ministre de la Justice et Garde des sceaux, Luzolo Bambi Lessa, à la réunion interinstitutionnelle tenue la semaine dernière à Lubumbashi.
Que propose la RDC ?
L’option défendue devant les plus hauts responsables du pays par le ministre de la Justice part du fait que « la responsabilité du contentieux de la répression des crimes internationaux revient aux juridictions congolaises, à travers l’instauration de chambres spécialisées au sein des juridictions congolaises avec possibilité de juge ad litem, c’est-à-dire une ouverture est faite aux magistrats étrangers ».
De l’avis du gouvernement congolais, « ces chambres, seules compétentes pour juger des crimes internationaux, seront +mixtes+ afin de renforcer l’indépendance, l’intégrité et les capacités des magistrats ». Par conséquent, se défend le gouvernement, « le caractère mixte de ces chambres confère une présence temporaire de magistrats internationaux, c’est-à-dire limité dans le temps afin d’accompagner la réforme judiciaire en cours sans toutefois priver la justice congolaise de rendre justice ».
En proposant ces mécanismes qui doivent mettre en valeur les juridictions congolaises pour des crimes commis en RDC, le Gouvernement entend au préalable avoir tout le soutien de la communauté internationale. La même, pense-t-il, qui a financé la réalisation du rapport mapping du Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
« Nous demandons à la communauté internationale, plus particulièrement à ceux qui ont financé le rapport mapping, de travailler étroitement avec nous pour la mise en place de mécanismes susceptibles de nous permettre de nous en prendre résolument aux auteurs de ces violences, en tous lieux, et mettre un terme à l’impunité ». Cet accompagnement devait servir à renforcer et à équiper le système judiciaire congolais pour qu’il soit à même d’amorcer les poursuites pénales à l’endroit des milliers d’auteurs des crimes graves qui circulent librement sur l’ensemble du territoire national.
« La République démocratique du Congo est prête à remplir son rôle », rassure dans son mémo le ministre Luzolo Bambi. Il s’appuie sur les engagements pris antérieurement par la RDC dans le cadre, notamment, de « la tolérance zéro et la lutte contre l’impunité ». Toutes ces actions, commente le ministre de la Justice, démontrent que le Gouvernement n’a pas laissé impunis les crimes commis sur son territoire. Il cite, pour illustration, le transfèrement à La Haye de certains Congolais impliqués dans des crimes répertoriés dans le traité de Rome créant la Cour pénale internationale (CPI). Particulièrement ceux commis après juillet 2002.
Ainsi, pour le gouvernement tout devrait se jouer en RDC, avec l’entrée en jeu des juridictions congolaises. Or, cette position se heurte à l’option levée par l’Onu dans le rapport Mapping. Comme on le voit, les deux options achoppent sur la terminologie « mixte ». Encadré
Quelles juridictions pénales pour les crimes internationaux commis en RDC ?
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La communauté internationale qui a réagi rigoureusement face à des violations similaires perpétrées ces quinze dernières années dans le monde, notamment par la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie pour un conflit qui a occasionné la perte en vie humaine de 400.000 personnes en ex- Yougoslavie ; du Tribunal pénal international pour le Rwanda, suite au génocide qui a fait 800.000 morts au Rwanda ; des juridictions pénales hybrides, en l’occurrence, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone suite au conflit qui a causé la mort de 200 mille personnes ; et tout récemment du Tribunal spécial pour le Liban, après l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafik Hariri et six de ses proches ; cette communauté dite « internationale » tarde à intervenir sur la question congolaise.
La justice nationale - déjà incapable de répondre aux attentes de la société et de satisfaire le justiciable de droit commun - peine à aborder les questions qui touchent aux violations graves du droit international humanitaire, matière peu connue des acteurs judiciaires congolais.
La répression des crimes perpétrés contre le droit international humanitaire au cours du conflit armé en RDC, passe par la création des juridictions pénales internationales et l’adoption des instruments juridiques fixant leur régime de répression.
Deux types de juridictions sont envisageables : soit la création d’un tribunal pénal international (TPI) entièrement sous l’égide des Nations unies ; soit l’érection d’un tribunal mixte, dans lequel siègent des juges nationaux, mais qui devrait bénéficier du concours actif des juges internationaux. La Cour pénale internationale (CPI), quant à elle, a un rôle primordial et crucial dans la répression des crimes qui entrent dans sa compétence.
I. L’hypothèse de l’institution d’un TPI pour la RDC
Faudrait-il envisager la création d’un tribunal pénal international pour la RDC ? S’il faut se référer aux paramètres contextuels, politiques, sociaux et économiques de la RDC, et se baser sur les motivations qui ont conduit à l’érection de deux précédents tribunaux pénaux internationaux, il semble bien légitime de l’envisager.
La procédure de création
Avec l’expérience de deux précédentes juridictions pénales internationales, la décision de la création d’un Tribunal pénal international pour la RDC ne passerait que par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. L’initiative de la création d’une telle institution émane soit du Conseil de sécurité lui- même, soit de l’Etat requérant. Pour la création du Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie, la décision a été prise à l’initiative du Conseil de sécurité.
ce qui ressort du préambule de la Résolution 827 du 25 mai 1993 par ces termes : « Prenant note à cet égard de la recommandation des Coprésidents du Comité directeur de la Conférence internationale sur l’ex- Yougoslavie en faveur de la création d’un tel tribunal (S/25221) ».
La décision de créer le Tribunal pénal international pour le Rwanda a été prise à la demande du Gouvernement rwandais. C’est qu’exprime le paragraphe 1 de la Résolution 955 du Conseil de sécurité en ces termes : « Décide par la présente résolution, comme suite à la demande qu’il a reçue du Gouvernement rwandais (S/ 1994/ 1115), de créer un tribunal pénal international (…) ».
Il sied de noter que la résolution de créer un tribunal pénal international sous les auspices du Conseil de sécurité des Nations unies se fonde sur le Chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Une étude analytique sur les actes créateurs des tribunaux pénaux internationaux mixtes nous renseigne qu’il a existé quatre modes procéduraux pour la création d’une juridiction pénale internationale mixte.
Ainsi, pour le Tribunal spécial pour la Sierra Léone, l’acte générateur de cette juridiction est un traité bilatéral pris conformément à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le cas cambodgien, quant à lui, a comme fondement une loi nationale adoptée conformément à un accord bilatéral. Pour les cas du Kosovo et du Timor-Oriental, ce sont des actes d’administration transitoire des Nations unies pris conformément à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui en constituent les actes générateurs.
II. Hypothèse de la création des chambres mixtes
A côté de cette solution, une autre hypothèse peut retenir notre attention. Il s’agit de la création d’un tribunal mixte ; c’est aussi celle proposée dans le Mapping des Nations unies.
Les faiblesses dans les mécanismes d’organisation et de fonctionnement des tribunaux pénaux internationaux peuvent se résoudre par la création d’une juridiction mixte.
Suite aux recommandations fournies par le Haut Commissariat aux droits de l’homme à travers le Mapping, le Gouvernement congolais a réagi en proposant plutôt l’hypothèse de la création des chambres mixtes. Il s’agirait là d’un mécanisme nouveau dans la répression des crimes internationaux.
Procédure
Etant une formule sui generis, il n’est pas aisé d’imaginer le mécanisme qui devrait être adopté pour la création d’une telle juridiction. Cependant, une simple orthodoxie nous permet de penser qu’aucune disposition constitutionnelle n’accorde une telle latitude au Gouvernement. En effet, s’il est vrai qu’en se basant sur l’article 149, alinéa 5, « la loi peut créer des juridictions spécialisées », il n’est pas explicitement édicté l’option de créer des « chambres spécialisées ».
Quand bien même le vocable « chambre spécialisée » serait compris par extension comme étant une « juridiction spécialisée », il faudrait en ce moment qu’une Commission spécialisée soit mise sur pied (ce qui est déjà le cas, aux dires du Ministre de la Justice), qu’ensuite cette option obtienne l’aval du Conseil supérieur de la magistrature, et qu’un projet de loi portant sur la création d’une telle chambre soit présentée et défendue devant les deux chambres du Parlement, adoptée et promulguée enfin par le Président de la République.
Au regard de ce qui est développé, il sied de s’interroger sur les vraies motivations du Gouvernement en rejetant les autres options plus souples et plus concrètes. Ce qui susciterait une certaine suspicion quant à l’acharnement à conduire seul la répression des crimes internationaux à travers ces « chambres spécialisées ».
AUTHOR: Me Oswald Bafunyembaka S.
Avocat
Chercheur au Centre de Droit international pénal de
l’Université Protestante au Congo
Source: Le Potentiel, du 16/11/2010
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