Contribution au Séminaire des syndicats congolais et belges
« les syndicats comme promoteur de paix »
Bukavu, 11 – 18 octobre 2010
Introduction
L’Afrique Centrale est le produit de différentes dynamiques régionales complexes au travers desquelles des différends locaux et des conflits nationaux ont débordé des frontières nationales. Dans cette région chaque pays a une situation interne complexe et une histoire récente violente, dans laquelle les antagonismes locaux ont été polarisés et entremêlés à ceux des pays voisins. Suivant la fin de la Guerre Froide et au travers des années 1990, ces dynamiques régionales ont évolué vers une avalanche de mort et de destruction. Pendant les deux guerres en République Démocratique du Congo (RDC), (1996-1997 et 1998-2002) qui suivirent le génocide au Rwanda, le Congo et plus particulièrement ses provinces à l’est devinrent le champ de bataille de “la Première Guerre Mondiale Africaine”.
La richesse en ressources naturelles de la RDC a été un facteur important en alimentant le conflit comme les partis en guerre étaient en compétition pour le contrôle des réseaux parallèles pour le flux illégal des ressources de la RDC vers les marchés internationaux. Le résultat est un Etat en ruines, une crise de l’impunité et en plus de tout, une population martyrisée. Approximativement 6 millions de gens sont morts en tant que conséquence directe ou indirecte du conflit, faisant de cette guerre la plus sanglante depuis la seconde guerre mondiale. Ni la transition ni les élections n’ont réussi à ramener la paix et la sécurité à l’Est du Congo.
- Conflit à plusieurs niveaux ou différents conflits?
Les gens me demandent souvent: quel est le nœud du conflit en Afrique centrale ? Il est très difficile de répondre à cette question. Il n’y a pas un seul conflit. Dans l’Est du Congo, il y a au moins trois niveaux de conflit qui se rejoignent dans un contexte local qui est déjà très compliqué en lui-même. Les trois niveaux se chevauchent et se renforcent mutuellement, mais aucun d’eux ne peut être réduit à l’un des autres.
- En premier lieu, il y a la lutte pour le pouvoir à Kinshasa après le démantèlement de l’Etat congolais. Dans les semaines qui ont suivi l’indépendance, le Congo a sombré dans une crise constitutionnelle et institutionnelle. Le pays est devenu un pion sur l’échiquier de la guerre froide, l’Etat a été si mal géré que l’on a du inventer le mot kleptocratie pour lui; les institutions étatiques et les mandats publics étaient considérés comme des instruments d’enrichissement personnel. Il en résulte une crise de légitimité, un Etat ruiné qui a besoin d’être réhabilité de presque zéro et l’absence totale des instruments pour un Etat pour imposer la primauté du droit. La réhabilitation de l’Etat congolais est la condition pour une paix durable en Afrique centrale.
- Puis il y a la guerre Rwandaise et le génocide qui ont été exportés au Congo après la fuite de deux millions de Hutus Rwandais. L’implication du Rwanda dans la chute de Mobutu et, la guerre de 1998-2002 en ont été la conséquence, ainsi que.la présence permanente de l’opposition armée Rwandaise sur le sol congolais (qui, jusqu’à maintenant, est responsable pour la plus grande partie de la souffrance de la population de l’Est du Congo et reste une menace pour le Rwanda).et la présence maintenue de groupes armés dirigés par des Tutsis congolais soutenus par le Rwanda.
- La course pour les ressources naturelles du Congo, dont l’exploitation a depuis longtemps échappé au contrôle de l’Etat parce que l’exploitation minière et la commercialisation étaient organisées par des réseaux parallèles et illégaux. Les années ‘90 n’ont pas créé l’exploitation parallèle des ressources naturelles mais en ont changé la direction: Kampala et Kigali devinrent les principaux axes pour les minerais, venant du Congo et vendus sur le marché mondial, souvent passant à travers les ports d’Afrique de l’Est, les pays arabes ou le sous- continent indien.
Ces trois niveaux viennent s’ajouter à une situation locale complexe avec des relations compliquées entre communautés et un problème de terre avec une pression démographique forte.
- Des évènements dramatiques en tant que conséquence immédiate de la chute du Mur de Berlin en Afrique Centrale
Le Congo est passé au travers de trente ans de dictature néo-coloniale sous Mobutu soutenue par l’Ouest pour deux raisons (a) pour garantir les intérêts économiques occidentaux dans le secteur minier; et (b) en tant que bastion contre le communisme en Afrique sur l’échiquier géostratégique de la Guerre froide.
- Mobutu a fait un coup d’Etat et consolidé son pouvoir dans une période ou un nombre de chefs d’état africains se déclarèrent eux-mêmes adeptes d’un socialisme africain, comme Kwameh Nkrumah, Julius Nyerere, Kenneth Kaunda, Milton Obote, Muammar Al Ghadaffi et même des gens comme Léopold Senghor, Jomo Kenyatta, ou Gafar Nimeiry. Au début des années septante, des mouvements armés plus radicaux inspirés du marxisme tel le Frelimo, le MPLA, le PAIGC se sont organisés avec succès en Afrique lusophone, suivis plus tard par la ZANU/ZAPU au Zimbabwe et la SWAPO en Namibie. Mobutu a reçu du soutien occidental parce qu’il était considéré comme une barrière contre de tels développements.
- Il a essayé de donner à son régime son propre contenu au travers de la zaïrisation, qui était supposée être une sorte de remise à niveau de l’identité africaine en tant qu’alternative attirante au socialisme africain. Mais son impact principal a été économique, d’une façon fort négative : l’expropriation des industries possédées par les expatriés et d’autres entreprises a été le suicide économique du mobutisme à moyen terme, parce que les moyens de production étaient répartis entre l’élite du régime, souvent les gens sans vision, la compétence ou la volonté de gérer ce qui leur avait été confié d’une façon responsable et durable
Après la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, Mobutu et beaucoup de ses collègues présidents en Afrique ont perdu de leur pertinence pour l’ouest, et soudain (avec le discours du Président Mitterrand au sommet des pays francophones de La Baule en juin 1990 en tant qu’étape importante) les pays occidentaux ont mis leurs alliés africains sous pression afin de démocratiser et de respecter les droits humains fondamentaux.
Le Rwanda, le Burundi et le Congo ont fait face à une situation où l’accélération du processus de démocratisation a mené à l’implosion de l’état et à des conflits qui étaient différents de ceux qui existaient auparavant. Les tensions dans les différents pays se sont polarisées et ont commencé à se chevaucher jusqu’à aboutir à nombre d’alliances ad hoc, souvent très irrationnelles et la plupart du temps basé sur l’adage “l’ennemi de mon ennemi devrait être mon ami”, même s'il s’avère parfois que les ennemis d’aujourd’hui seront les amis de demain. Le résultat est un réseau de coalitions instables entre des groupes armés et des acteurs politiques qui emmêlent géographiquement chaque pays africain entre l’Angola et la Corne d’Afrique
A la fin des années nonante, tous les antagonismes, les conflits et les alliances se cristallisèrent autour du Congo, qui devint ainsi le champ de bataille de ce que l’on a appelé la première guerre mondiale africaine, opposant une alliance Kabila/Mugabe/Dos Santos à une alliance Museveni/Kagame/Buyoya/rebelles congolais
- Profonds changements en Afrique Centrale depuis la moitié des années nonante
a) D’une culture de violence à l’impunité totale
Dans la nuit du 21 au 22 octobre 1993, le processus de démocratisation qui aurait du ramener la paix et la stabilité au Burundi, après des décennies d’exclusion ethnique et de violence cyclique, prit fin avec l’assassinat du Président nouvellement élu Melchior Ndadaye. Ce fut le début d’une guerre civile ouverte qui a continué pendant plus d’une décennie pendant laquelle des centaines de milliers de gens furent assassinés, et beaucoup plus encore blessés, violés et dépossédés ou déplacés.
En avril 1994, les tensions politiques, ethniques et sociales au Rwanda se sont conjuguées en quatre mois de violence extrême et un génocide provoquant la mort de 700.000 à 1.000.000 de gens, principalement des Tutsis et des Hutus modérés, et a abouti à la victoire militaire du Front Patriotique Rwandais (FPR) et à l’exode de deux millions de Hutu dans les pays voisins, spécialement le Congo (alors Zaïre). En 1997, le leader rebelle Laurent-Désiré Kabila a pris le pouvoir à Kinshasa après une insurrection de huit mois contre Mobutu, avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda, et a changé le nom du pays en République Démocratique du Congo. Quinze mois après avoir conquis le pays, Kabila tomba en disgrâce auprès de ses anciens alliés: le Rwanda et l’Ouganda ont commencé une campagne militaire contre leur voisin le 2 août 1998. La chute attendue de Kinshasa n’eut pas lieu et la guerre a continué pendant de nombreuses années, officiellement jusqu’au retrait des armées Rwandaises et ougandaises en 2002.
Toute la région est entrée dans une décennie de violence, les tensions existantes entre les pays de la région se polarisèrent et aboutirent à de grandes explosions de violence extrême orchestrées, caractérisées par un grand nombre de victimes parmi les civils aussi bien que parmi ceux qui ont eu recours à la violence.
La violence n’a pas été commise en premier lieu par des armées régulières mais par des groupes armés qui étaient parfois difficiles a identifier avec précision, combinant souvent un très vague agenda politique avec un profil ethnique pas toujours très clair non plus, et des intérêts économiques souvent bien précis. La violence n’a pas seulement provoqué des vagues massives de populations déplacées et de réfugiés, mais aussi la destruction totale de l’Etat et de ses instruments, laissant ainsi la population dans un désarroi total, avec la désintégration des réseaux sociaux et institutionnels. Les conditions de vie d’une grande partie de la population ont chuté à un niveau bas jamais vu auparavant.
En ce qui concernait la RDC, très tôt durant la guerre, des enquêtes sur les taux de mortalité ont été effectuées, en premier lieu par l’ONG américaine International Rescue Committee. Différentes études ultérieures ont révélé que le conflit était un des plus meurtriers depuis la seconde guerre mondiale. Bien que la guerre congolaise ait pris officiellement fin en décembre 2002 avec la signature de l’accord de paix, les combats et l’insécurité ont continué dans de grandes zones de l’Est du Congo. Jusqu’en janvier 2008, un total de 5.6 millions de morts a été attribué directement ou indirectement au conflit.
Les événements au Rwanda et au Burundi ont changé une culture de violence dans ces pays en un état d’anarchie et d’impunité totale, où la justice a cessé d’exister, où les milices sont organisées, se désintègrent et échappent à toute forme de contrôle, où les armées régulières deviennent la principale source d’insécurité et où le viol est couramment utilisé comme arme de guerre. Vivre pendant des années dans une violence extrême et l’impunité totale change une personne, une communauté, une nation, une région de l’intérieur. Cela affecte la culture, cela affecte les valeurs.
b) D‘une économie informelle vers une économie militarisée
Pendant la seconde guerre au Congo, depuis 1998 jusqu’à sa fin officielle en 2002, les ressources naturelles sont de plus en plus devenues l’enjeu du conflit, aussi bien pour les pays soutenant les rebelles que pour les alliés mobilisés par le gouvernement à Kinshasa. Dans les deux cas, le pillage du Congo était organisé systématiquement avec l’aide des élites congolaises. Entre avril 2000 et octobre 2002, le groupe d’experts spéciaux avec un mandat du Conseil de sécurité a produit trois rapports sur l’exploitation illégale des ressources naturelles. En premier lieu, ils ont travaillé sur l’exploitation des ressources par le Rwanda et l’Ouganda (or, diamant, cassitérite, coltan et bois) dans la partie orientale du Congo, mais aussi sur le pillage par le Zimbabwe, l’Angola et la Namibie, remboursant leur soutien au gouvernement congolais en se servant eux-mêmes par le biais de concessions minières.
Les provinces orientales étaient officiellement sous le contrôle des rebelles du RCD, qui étaient trop faibles et trop petits pour gouverner. En pratique, le contrôle était fait par l’armée Rwandaise (avec de meilleurs soldats et une meilleure formation) et des fonctionnaires. Au Rwanda même, un bureau Congo a été mis en place pour gérer l’exportation des ressources minérales congolaises, qui en réalité était un canal pour les dirigeants militaires et politiques pour commercialiser une partie des minerais congolais sans passer par les comptes officiels de l’Etat Rwandais. Ainsi les ressources naturelles congolaises générèrent non seulement des fonds pour couvrir les dépenses militaires, elles étaient aussi la source principale d’enrichissement de l’élite Rwandaise. Comme le rapport du groupe d’experts d’octobre 2002 l’indiquait, les activités autour du Bureau Congo ont contribué pour 320 millions de dollars aux dépenses militaires du Rwanda et ont eu un impact énorme sur la politique Rwandaise des affaires étrangères et d’autres décisions officielles. Le groupe d’experts a estimé que 60 à 70% du coltan qui quittait l’Est du Congo était exporté sous la supervision directe des commandants de l’APR, à partir de petits aéroports dans les environs immédiats des mines vers Kigali ou Cyangugu.
Dans les zones minières, les civils congolais ont été forcés de travailler sans paiement, ou obligés de vendre les minerais aux officiers Rwandais à un taux très “préférentiel”. Les ONG internationales spécialisées telles que Global Witness, Raid and Ipis ont produit des enquêtes de haute qualité et des rapports, en plus de l’excellent travail fait par le groupe d’experts.
La conséquence était que l’économie informelle à l’Est du Congo, en tant que le résultat de décennies de kleptocratie et de démantèlement de l’Etat, a été militarisée au point que la continuation de l’état d’anarchie, avec toutes ses conséquences en termes de sécurité et de droits humains, est devenue une condition pour le pillage continu et systématique des ressources naturelles.
Maintenir une économie de guerre après la guerre
Après le retrait officiel des troupes Rwandaises en septembre 2002, le Rwanda a installé une série de mécanismes pour contrôler l’économie dans l’Est du Congo sans la présence officielle de l’armée Rwandaise. Les hommes d’affaires Rwandais ont remplacé les directeurs congolais en charge des entreprises parastatales, un nombre de soldats sont restés en arrière pour continuer à travailler dans le secteur minier, changeant leurs uniformes en costumes. Différentes sources ont rapporté aux experts du groupe d’experts des NU que des officiers RCD, maintenant officiellement parties de l’armée régulière congolaise mais toujours loyaux au Rwanda, ont utilisé les réformes du secteur de la sécurité et l’intégration dans l’armée pour introduire des soldats Rwandais dans les FARDC et les forces de défense locales.
Mais l’instrument Rwandais le plus important pour entretenir un climat d’impunité pendant la transition au Congo et après les élections de 2006, a été le CNDP (Conseil National pour la Démocratie et la Paix) de Laurent Nkunda. L’avant-dernier rapport du groupe d’experts des Nations Unies (décembre 2008) a décrit dans les détails comment cette rébellion recevait un soutien de réseaux commerciaux au Rwanda, et d’autorités politiques et militaires au sein de l’Etat Rwandais, et pour démanteler les FDLR en tant que menace militaire pour le Rwanda.
Depuis lors, la région est dans une nouvelle logique. Le Congo et le Rwanda se soient rapprochés, et ce rapprochement est une condition pour arriver à une paix durable en Afrique Centrale. Différentes opérations conjointes ont été menées pour neutraliser les groupes armés. Malgré tous les efforts, les opérations militaires n’ont pas apporté des solutions durables. Les FDLR par exemple ont été dispersés mais ils ont pu sauvegarder intacte leur chaîne de commandement. Ils ont opéré un repli stratégique afin d’éviter le conflit, ensuite ils ont repris la plupart de leurs positions, en se vengeant sur la population avec plus de violence qu’ils ne l’avaient utilisée pendant plusieurs années. Après l’arrestation de Laurent Nkunda, le CNDP a été intégré dans les FARDC, mais cette intégration a été superficielle et incomplète. Aussi le CNDP a gardé sa chaîne de commandement intacte, et reste une armée dans l’armée. Les officiers du CNDP contrôlent plus de militaires, plus de zones géographiques et plus de zones stratégiques qu’avant, mais le mouvement a mal géré sa décapitation et a donc perdu beaucoup de sa cohérence interne. Les relations sont troublées, avec Kinshasa aussi bien qu’avec Kigali, ce qui rend le mouvement imprévisible.
L’armée n’est pas dans une meilleure position qu’auparavant pour jouer son rôle et il reste beaucoup à faire pour créer l’armée républicaine, unifiée, performante et disciplinée. La démilitarisation de l’économie ici à l’Est, et surtout de l’exploitation minière reste un enjeu.
Pour y arriver il faudra faire des avancées significatives sur plusieurs terrains :
1) formation d’une armée républicaine, unifiée, performante et disciplinée
2) désarmer et démobiliser les groupes armés nationaux et étrangers par une démarche globale qui ne soit pas exclusivement militaire mais qui prévoit un espace de dialogue pour convaincre les combattants à déposer les armes par la voie volontaire
3) la restauration de l’Etat jusqu’à la base (services administratifs, douaniers, …)
4) un cadre régional qui réglemente et surveille le commerce frontalier, qui consolide et formalise la coopération régionale et qui peut la rendre transparente
5) certification de produits miniers en fonction de leur traçabilité
6) un cadre légal international qui permet de sanctionner les entreprises multinationales qui violent la réglementation et la déontologie dans cette matière. En effet, jusque maintenant, des acteurs commerciaux ne sont que très rarement poursuivi pour leur rôle dans la continuation d’un conflit armé.
- Vers de nouveaux équilibres de pouvoir et de nouveaux mécanismes de réglementation non violente des conflits d'intérêts?
Des opportunités pour le multilatéralisme-le niveau régional
Nous sommes en 2010. La politique internationale a changé et l’Afrique Centrale a changé. Depuis la chute du mur de Berlin, les évènements ont transformé une culture de violence en un état d’impunité, et militarisé une économie informelle.
Quelles sont les possibilités pour un arrangement multilatéral non violent, négocié? Les problèmes dans la région sont si interdépendants qu’il est difficile d’imaginer une solution durable pour l’un des pays si elle ne fait pas partie d’une approche régionale plus cohérente. La stabilité de ses neufs voisins dépendra de la stabilité du Congo, dont certains sont tenus pour être des pays très stratégiques aussi. L’Angola, par exemple, est classée par le Pentagone comme une zone d’intérêt national parce qu’elle fournit 8% du pétrole importé par les Etas-Unis.
Depuis que Kabila a pris le pouvoir de Mobutu, l’Afrique du Sud est devenue un acteur majeur en RDC. L’Afrique du Sud avait déjà remplacé la Belgique en tant que principal fournisseur de biens de consommation dans les années nonante. Le président Mandela a tenté une médiation entre Kabila et Mobutu, qui souffrait déjà du mal qui l’emporterait quelques mois plus tard. Seulement quatre mois après que Kabila ait pris ses fonctions, le Congo a rejoint la SADC, la Communauté Sud Africaine de Développement, qui couvre les domaines de coopération comme l’énergie, le commerce, le transport et l’eau. Des firmes d’exploitation minière et de construction, basées en Afrique du Sud, sont présentes dans différents endroits au Congo mais surtout au Katanga. L’exportation de produits miniers du Katanga et du Kasaï passe surtout par les ports sud-africains. Treize ans après la mort de Mobutu, l’Afrique du Sud est un partenaire majeur du Congo.
L’Angola est aussi un partenaire majeur. Angola a fourni un appui à Kabila pendant la guerre de 1996-1997, et a répondu à l’invitation de Kabila en 1998 par l’envoi de troupes, conjointement avec le Zimbabwe et la Namibie, pour aider le Congo à arrêter l’intervention Rwandaise/ougandaise. L’Angola était très présente et visible dans les jours qui ont suivi l’assassinat du président Kabila en janvier 2001, en maintenant la sécurité dans la capitale. Depuis la transition, l’Angola a été, comme l’Afrique du Sud, un partenaire important dans le secteur des réformes de la sécurité, en contribuant à la formation et à l’intégration de l’armée congolaise
Le Congo sera toujours important pour ses trois voisins à l’ouest dans la région des Grands Lacs, qui ont un problème de surpopulation. Grâce à ses ressources en eau, le Congo sera important pour l’Afrique du Sud qui souffre d’un problème chronique de sécheresse et d’un sérieux déficit énergétique. Le Congo sera important pour tous ses voisins à cause de ses ressources naturelles.
Il existe différentes structures pour un partenariat économique multilatéral en Afrique Centrale et à ce niveau, il existe une certaine concurrence pour l’influence. Le Rwanda et le Burundi font maintenant partie de la Communauté de l’Afrique de l’Est, le Congo est, comme nous l’avons vu, membre de la SADC. Trois d’entre eux, ensemble avec d’autres pays, étaient membres de la CEEAC, la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale, mais le Rwanda l’a quittée récemment. Certains pays, surtout la Belgique, veulent promouvoir l’idée de la CEPGL, la Communauté Economique de la Région des Grands Lacs avec le Rwanda, le Burundi et le Congo en tant que membres.
L’idée de ces structures est très proche de celles qui ont inspiré les pères fondateurs de l’Union européenne, de créer un intérêt commun via une intégration économique, et un réseau d’accords, de relations, de procédures et de protocoles qui rendent la guerre virtuellement impossible. Cela va-t-il fonctionner? Nous verrons. Nous voyons déjà beaucoup d’attentes. Beaucoup de donateurs bilatéraux et multilatéraux sont déterminés à investir en elle. Nous ne pouvons pas nous y opposer.
Néanmoins, nous déplorons que l’enthousiasme à propos des réseaux économiques régionaux semblent aller main dans la main avec un retrait de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs, qui était conçue comme un cadre politique pour le règlement des conflits entre ses 11 membres ( Kenya, Congo, et les neuf voisins du Congo). Les ONG européennes ont toujours soutenu l’idée d’une Conférence Internationale sur les Grands Lacs (CIRGL) en tant que cadre viable pour répondre aux questions fondamentales concernant les conflits dans et entre les pays.
La Déclaration de Dar Es-Salaam de novembre 2004 et le Pacte de Nairobi sur la Sécurité, la Stabilité et le Développement du 15 décembre 2006 demeure un outil important pour la création des conditions de sécurité de stabilité et de développement durable entre les Etats membres. Nous déplorons l’hésitation que nous constatons parmi certains donateurs à confirmer ou à renouveler leur détermination. Nous continuons à considérer la CIRGL comme une structure très pertinente avec une mission unique et une valeur ajoutée très claire; nous ne croyons pas que des réseaux économiques puissent remplacer la perspective multidimensionnelle et multidisciplinaire de la CIRGL, qui lie d’une façon unique les dimensions de paix, de sécurité, de bonne gouvernance, de droits humains et de développement économique. Nous ne voyons pas d'autre structure reprenant les questions qui sont importantes pour nous, comme la lutte contre la violence sexuelle, l'exploitation illégale des ressources naturelles, l'insécurité transfrontalière.
Opportunités pour le multilatéralisme- le niveau international
La configuration de la communauté internationale autour du Congo a aussi changé.
L’Union Européenne a été extrêmement active en RDC pendant la transition. En plus de ses Etats membres, elle a tenu une place importante dans le CAIT pendant la transition. Elle a été le plus important des bailleurs de fonds et elle avait un énorme budget coopération. Le déploiement de l’EUFOR, dans sa fonction en tant que force de dissuasion, a contribué à la sécurité durant les deux tours des élections. Lors de la promulgation de la nouvelle constitution, l’UE a agi en tant que fier parrain à la crèche de la Troisième République. En 2007, ce parrain a peu à peu disparu dans les coulisses. D’autres parents ont fait une entrée remarquée dans les chambres de la nouvelle démocratie congolaise. La Chine a par exemple signé des accords massifs avec la RDC. Les Etats-Unis aussi ont été très actifs au Congo. D’abord à la fin de 2007, juste avant la Déclaration Conjointe de Nairobi de novembre 2007 et les Accords de Goma en janvier 2008 et plus récemment à nouveau leur rôle dans Umoja Wetu. La visite d’Hillary Clinton à l’Est du Congo et la nomination de l’ambassadeur Howard Wolpe en tant qu’Envoyé Spécial sont des faits remarquables. Bien sûr, les changements que sa présidence va amener se font attendre. En août 2010, Howard Wolpe a quitté ses fonctions, et ce n’est toujours pas clair s’il sera remplacé. La présidence d’Obama se passe à un moment où la balance du pouvoir se déplace entre les nations. Les Nations-Unies ont dominé la politique internationale pendant des décennies, dans un monde bipolaire pendant la Guerre froide et l’environnement mono polaire après. Pour le futur immédiat, les pays qui connaissent des croissances rapides vont devenir plus forts. Bientôt ils vont exiger plus de poids à leur voix sur la scène de la politique internationale.
Pour ceux d’entre nous qui sont intéressés aux développements en Afrique Centrale, le réalignement des relations internationales nous amène à nous interroger sur les implications pour la région. Nous attendons aussi du changement, mais nous sommes conscients que beaucoup des membres du nouveau cercle du Président Obama viennent de l’entourage de Bill Clinton, dont le mandat au pouvoir a marqué une période particulièrement désastreuse pour la Région des Grands Lacs. Non seulement les Etats de la région se sont effondrés mais les efforts de la communauté internationale pour gérer les conséquences de cet effondrement ont aussi échoué. De plus, il reste à voir si Obama va traiter l’Afrique centrale dans une perspective régionale, plutôt que de favoriser des visions et des actions d’un seul pays, comme l’ont fait ses prédécesseurs. La dynamique réelle de l'élection d'Obama par rapport à l'Afrique centrale pourrait résider dans le fait qu'elle pourrait contribuer à revitaliser l'approche multilatérale. La Pax Americana et la doctrine Bush ont rendu la planète plus dangereuse et moins stable, mais le nouveau président semble favoriser une piste diplomatique et multilatérale.
Dans le monde multipolaire qui est en train de se forger, l’Europe reste toujours une force importante dans l’arène internationale et elle peut conserver cette position avec une action claire et immédiate pour protéger la population et le processus de paix au Congo, pour autant qu’elle réussisse à trouver une cohérence interne et la volonté de jouer un rôle proactif dans sa politique étrangère. Mais depuis le 1er janvier 2010, l’UE a perdu beaucoup de place. Neuf mois après la mise en vigueur du traité de Lisbonne, la machinerie européenne a de grandes difficultés à se mettre en musique. Les nouvelles et anciennes institutions doivent encore s’approprier de leurs Termes de Références, et capitaliser leur complémentarité. La cohabitation entre M Van Rompuy, M Barroso, Baroness Ashton et la Présidence alternante doit encore se forger. Présidence qui est actuellement assumée par la Belgique, un pays avec un gouvernement d’affaires courantes. Aussi les Pays Bas, très actifs en Afrique Centrale, ont eu des grandes difficultés à mettre en place une nouvelle constellation politique après les élections de juin, et semblent évoluer vers un gouvernement pour qui la coopération et l’Afrique ne semblent pas du tout prioritaire. L’Angleterre, poids lourd dans la région, se trouve dans un changement de régime, la France a donné priorité en 2010 à l’harmonisation du litige avec le Rwanda. . Elle a pris beaucoup de temps avant de savoir que la fonction de représentant spécial de l’UE pour les grands lacs soit maintenue, et il y a encore beaucoup d’incertitudes autour de son articulation avec les autres institutions de la nouvelle configuration européenne. L’Europe risque de perdre son impact, sa visibilité et sa cohésion en Afrique Centrale, et j’espère que j’exagère dans mes jérémiades quand je vois déjà les contours d’un désinvestissement et d’un renforcement du bilatéralisme en défaveur du multilatéralisme.
E : L’essentiel : bâtir la démocratie d’en bas
Le Congo est passé par des décennies de kleptocratie, des guerres, une période de transition qui a été couronnée par des élections. Néanmoins, ce processus ne débouchera pas sur une démocratie réelle, s’il ne se fait pas accompagner par une nouvelle culture de gouvernance, où des mécanismes soient mis en place qui interpellent les représentants de l’Etat et les obligent d’être transparents et de justifier leur action.
La gouvernance concerne la façon dont les fonctions publiques sont exécutées et les ressources publiques administrées. Au niveau local, il s’agit de la capacité d’une région, d’une municipalité, d’une communauté de gérer ses propres affaires. La mesure dans laquelle les autorités décentralisées sont effectives et redevables, aura une grande influence sur le développement au niveau local.
Les enjeux de la décentralisation sont multiples. Elle a comme vocation de contribuer à la reconstruction de l’Etat et à la restauration de sa crédibilité. Elle est également censée être une école d’apprentissage de la démocratie, permettant aux citoyens d’exercer des responsabilités politiques au niveau local. Ainsi, la décentralisation jouera un rôle-clé dans le renouvellement du paysage politique à partir de la base, tout en amenant un développement économique plus harmonieux, favorisant les initiatives communautaires basées sur des dynamiques locales.
Nous soulignons l’importance de la participation citoyenne dans les processus de reconstruction nationale. Il faut la gestion participative des entités décentralisées et un développement participatif décentralisé. Le contrôle citoyen à la base renforcera la gouvernance responsable de la base vers le haut du système politique.
La complexité des concepts, et le fait que la démocratie soit embryonnaire, nécessitent une implication très importante de la société civile en termes d’éducation civique et de gouvernance participative. Elle doit être appuyée et renforcée en fonction de ceci par la coopération internationale.
Dans un contexte où nous devons constater que les différentes opérations militaires n’ont pas permis de réaliser des résultats durables à la problématique des groupes armées, la société civile a un rôle à jouer dans l’élaboration de stratégies non-militaires pour la démobilisation et le désarmement volontaire, basées sur le dialogue. La société civile en général et les syndicats en particulier sont dans une position excellente pour établir et renforcer les liens entre les communautés divisées. Ils ont une contribution essentielle à fournir dans des processus de réconciliation et de construction de paix, au niveau local et national aussi bien que dans la sous-région.
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Chaque démocratie nécessite un monitoring constructif mais critique et de toute façon indépendant de l’action des autorités. Le vécu des valeurs de la démocratie, de la participation et de la redevabilité commence à la base. La communauté internationale doit contribuer à la création et à la protection de l’espace dans lequel la société civile et la presse peuvent jouer leur rôle démocratique.
Je vous remercie pour votre attention.
Author: Kris Berwouts,
Date: 11 octobre 2010
Directeur EurAc
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