A la tête de quelques milliers de soldats dissidents, le général déchu tutsi congolais Laurent Nkunda a défié pendant des années le pouvoir de Kinshasa, qu'il accuse de discrimination contre ses "frères" de la minorité tutsie en République démocratique du Congo (RDC). Après un brusque retournement d'alliance, cet ancien allié de Kigali en RDC est arrêté le 23 janvier 2009 par l'armée rwandaise et détenu en résidence surveillée à Gisenyi au Rwanda. La République démocratique du Congo demande son extradition, mais le Rwanda refuse pour le moment de livrer l'encombrant général congolais, détenteur de beaucoup trop de secrets sur le régime de Paul Kagame.A tout juste 40 ans, Laurent Nkunda, un homme mince et élancé, au visage émacié, mène une guerre d'usure contre une armée régulière en pleine restructuration, qu'il a souvent mise en déroute et qu'il accuse de connivence avec les rebelles hutus rwandais génocidaires de l'Est de la RDC. Nous sommes en 2007, le général rebelle fait la une de la presse internationale... dans moins de 2 ans, sa rébellion sera stoppée nette par son allié de toujours : l'armée rwandaise de son ex mentor, Paul Kagame.
Car, comme beaucoup d'autres Tutsis congolais, il a commencé sa carrière militaire dans les rangs du Front patriotique rwandais (FPR, ex-rébellion tutsie du Rwanda) qui mis un terme en juillet 1994 au génocide perpétré par le régime hutu de Kigali. Après deux ans au sein de l'armée rwandaise, il rejoint au Zaïre voisin la rébellion conduite par Laurent-Désiré Kabila (père de l'actuel chef de l'Etat congolais, Joseph Kabila) qui destitue le dictateur Mobutu en 1997,avec l'appui de l'armée rwandaise.
En 1998, alors que Kabila père a rompu avec ses anciens alliés, Nkunda devient l'un des commandants du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), une rébellion soutenue par Kigali pendant le conflit régional qui secoue l'ex-Zaïre jusqu'en 2003. Interrogé sur ses liens avec Kigali, Nkunda affirme avec ironie: "Mais nous sommes tous des soldats de l'armée rwandaise, (Joseph) Kabila aussi", rappelant que l'actuel président a été "formé dans le maquis" par James Kabarebe, chef de l'armée rwandaise. Il dément tout appui militaire de Kigali, bien que nombre de ses hommes - estimés à 5.000 par l'ONU - portent un uniforme rwandais et soient équipés d'appareils de communication dernier cri.
Après la guerre, alors que le RCD intègre le gouvernement de coalition à Kinshasa, Nkunda est promu général, mais refuse de prendre son poste, dénonçant une réforme de l'armée fantaisiste ne permettant pas "la réconciliation nationale" promise. "Je n'ai pas choisi de faire la guerre. A l'origine, je devais être infirmier, mais je dois répondre à l'appel des populations menacées", affirme cet enfant du pays, né le 2 février 1967 à Mirangi (Nord-Kivu).
Les années rebelles
C'est en juin 2004 qu'il fait trembler la République pour la première fois en s'emparant brièvement de la capitale du Sud-Kivu, Bukavu, où il affirme défendre ses "frères" tutsis. Déchu de l'armée, il est visé depuis septembre 2005 par un mandat d'arrêt pour des crimes de guerre perpétrés par ses hommes à Bukavu. "Je me battrai tant que les Interahamwe (extrémistes hutus rwandais) seront ici", répète-t-il, se défendant d'oeuvrer à une partition du Congo, débouché naturel pour un Rwanda surpeuplé et pauvre en minerais. "Il y a quelque chose de mystique chez lui. Il est entouré des pires assassins, recrute sans vergogne des enfants, mais est très croyant et est persuadé d'avoir une mission", affirme un expert de la région.
Après les élections de 2006 en République démocratique du Congo (RDC), Nkunda tente une nouvelle fois de déstabiliser l'Est de la RDC. En décembre de la même année, le Burundi l'accuse, ainsi que James Kabarebe (maintenant ministre de la défense du Rwanda) et Salim Saleh, d'avoir fomenté une tentative de coup d’État au Burundi.
2007, l'année de tous les dangers
Le 18 janvier 2007, Nkunda annonce pourtant que ses hommes ont commencé à rejoindre les rangs des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) à la suite de négociations menées à Kigali, au Rwanda. Néanmoins, la première moitié de 2007 se caractérise par de nombreux combats à l'Est forçant des dizaines de milliers de civils à prendre la fuite. Laurent Nkunda accepte finalement de "brasser" ses troupes avec les troupes gouvernementales. Les accusations d’occupation de l’Est de la RDC, de pillages de ses ressources et de tentative de déstabilisation du Gouvernement de la République démocratique du Congo s’amplifient de plus en plus durant la première moitié de 2007.
La tension monte encore d’un cran en mai 2007 lorsque Nkunda menace de retirer ses soldats des rangs de l'armée nationale, lorsque la MONUC dénonce publiquement la présence de troupes rwandaises et ougandaises en RDC. Début décembre 2007, une très importante offensive gouvernementale encadrée par la MONUC est lancée contre Nkunda à Mushake et contre son fief. Elle se solde en une dizaine de jours par une sévère déroute et des milliers de morts dans les rangs des troupes gouvernementales congolaises. La MONUC a été accusée d'avoir fait défaut aux troupes gouvernementales. Laurent Nkunda inquiète sérieusement Kinshasa.
2008, Nkunda aux portes de GomaLe 26 août 2008, Laurent Nkunda lance une nouvelle offensive qui lui permet d'agrandir la zone qu'il contrôle dans le Nord-Kivu et d'amener ses troupes à quelques kilomètres de Goma à fin octobre. L'armée congolaise ayant abandonné la ville, la Monuc n'a pas pu lancer de contre-offensive : son mandat est d'appuyer les autorités officielles congolaises dans leurs efforts pour rétablir leur contrôle sur le territoire national, mais pas de contrer une opération rebelle en soi. Nkunda a cependant renoncé à prendre la ville et a déclaré le 29 octobre un cessez-le-feu unilatéral puis demandé l'ouverture de négociations à Kinshasa.
Le 23 janvier 2009, l'inspecteur général de la police de la République démocratique du Congo annonce l'arrestation de Laurent Nkunda la veille au Rwanda ; le général déchu avait franchi la frontière alors qu'une opération conjointe des forces congolaises et rwandaises reprenaient le contrôle du territoire conquis par le CNDP avant qu'une faction anti-Nkunda ne décide de se rallier au gouvernement de Kinshasa. Laurent Nkunda avait en effet été démis de ses fonctions par un de ses subalternes le 5 janvier, ce qui avait entraîné une scission du CNDP. Depuis lors, Nkunda attend toujours d'être jugé par son allié d'hier... en vain. Le général rebelle est devenu très gênant par Kinshasa comme pour Kigali et le status quo arrange tout le monde... sauf Nkunda qui réclame un procès.
Evasion ?
Ce stratège protestant, marié et père de quatre enfants, savait qu'il "n'était rien sans l'appui de Kigali" et qu'il devrait un jour négocier un exil ou rendre compte pour les crimes de Bukavu et son implication dans la répression sanglante d'une mutinerie à Kisangani (nord-est) en 2002. Pour l'heure son avenir se résume à sa résidence protégée de Gisenyi... à une encablure de la RD Congo voisine.
Selon Joska Kaninda du journal le millénaire, "beaucoup pensent que pour contenter la communauté tutsi et assurer la surveillance des frontières congolaises, le président Kagame aura toujours besoin du soutien de Laurent Nkunda". Mais Nkunda ne peut pas rester pas éternellement en prison.
"Ce tutsi congolais jouit d’une certaine estime de la communauté tutsi de par le monde en plus que ses avocats ne cesseront pas de multiplier des pressions pour obtenir son élargissement. A plusieurs reprises Laurent Nkunda a décliné l’offre d’aller dans un exil doré. Il n’est donc pas exclut que son évasion soit organisée pour qu’il se retrouve à nouveau à l’Est du Congo pour faire le bouchon contre les FDLR" conclut Joska Kaninda.
Author: Christophe Rigaud
Source: AFRIKARABIA, du samedi, 06 novembre 2010
Car, comme beaucoup d'autres Tutsis congolais, il a commencé sa carrière militaire dans les rangs du Front patriotique rwandais (FPR, ex-rébellion tutsie du Rwanda) qui mis un terme en juillet 1994 au génocide perpétré par le régime hutu de Kigali. Après deux ans au sein de l'armée rwandaise, il rejoint au Zaïre voisin la rébellion conduite par Laurent-Désiré Kabila (père de l'actuel chef de l'Etat congolais, Joseph Kabila) qui destitue le dictateur Mobutu en 1997,avec l'appui de l'armée rwandaise.
En 1998, alors que Kabila père a rompu avec ses anciens alliés, Nkunda devient l'un des commandants du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), une rébellion soutenue par Kigali pendant le conflit régional qui secoue l'ex-Zaïre jusqu'en 2003. Interrogé sur ses liens avec Kigali, Nkunda affirme avec ironie: "Mais nous sommes tous des soldats de l'armée rwandaise, (Joseph) Kabila aussi", rappelant que l'actuel président a été "formé dans le maquis" par James Kabarebe, chef de l'armée rwandaise. Il dément tout appui militaire de Kigali, bien que nombre de ses hommes - estimés à 5.000 par l'ONU - portent un uniforme rwandais et soient équipés d'appareils de communication dernier cri.
Après la guerre, alors que le RCD intègre le gouvernement de coalition à Kinshasa, Nkunda est promu général, mais refuse de prendre son poste, dénonçant une réforme de l'armée fantaisiste ne permettant pas "la réconciliation nationale" promise. "Je n'ai pas choisi de faire la guerre. A l'origine, je devais être infirmier, mais je dois répondre à l'appel des populations menacées", affirme cet enfant du pays, né le 2 février 1967 à Mirangi (Nord-Kivu).
Les années rebelles
C'est en juin 2004 qu'il fait trembler la République pour la première fois en s'emparant brièvement de la capitale du Sud-Kivu, Bukavu, où il affirme défendre ses "frères" tutsis. Déchu de l'armée, il est visé depuis septembre 2005 par un mandat d'arrêt pour des crimes de guerre perpétrés par ses hommes à Bukavu. "Je me battrai tant que les Interahamwe (extrémistes hutus rwandais) seront ici", répète-t-il, se défendant d'oeuvrer à une partition du Congo, débouché naturel pour un Rwanda surpeuplé et pauvre en minerais. "Il y a quelque chose de mystique chez lui. Il est entouré des pires assassins, recrute sans vergogne des enfants, mais est très croyant et est persuadé d'avoir une mission", affirme un expert de la région.
Après les élections de 2006 en République démocratique du Congo (RDC), Nkunda tente une nouvelle fois de déstabiliser l'Est de la RDC. En décembre de la même année, le Burundi l'accuse, ainsi que James Kabarebe (maintenant ministre de la défense du Rwanda) et Salim Saleh, d'avoir fomenté une tentative de coup d’État au Burundi.
2007, l'année de tous les dangers
Le 18 janvier 2007, Nkunda annonce pourtant que ses hommes ont commencé à rejoindre les rangs des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) à la suite de négociations menées à Kigali, au Rwanda. Néanmoins, la première moitié de 2007 se caractérise par de nombreux combats à l'Est forçant des dizaines de milliers de civils à prendre la fuite. Laurent Nkunda accepte finalement de "brasser" ses troupes avec les troupes gouvernementales. Les accusations d’occupation de l’Est de la RDC, de pillages de ses ressources et de tentative de déstabilisation du Gouvernement de la République démocratique du Congo s’amplifient de plus en plus durant la première moitié de 2007.
La tension monte encore d’un cran en mai 2007 lorsque Nkunda menace de retirer ses soldats des rangs de l'armée nationale, lorsque la MONUC dénonce publiquement la présence de troupes rwandaises et ougandaises en RDC. Début décembre 2007, une très importante offensive gouvernementale encadrée par la MONUC est lancée contre Nkunda à Mushake et contre son fief. Elle se solde en une dizaine de jours par une sévère déroute et des milliers de morts dans les rangs des troupes gouvernementales congolaises. La MONUC a été accusée d'avoir fait défaut aux troupes gouvernementales. Laurent Nkunda inquiète sérieusement Kinshasa.
2008, Nkunda aux portes de GomaLe 26 août 2008, Laurent Nkunda lance une nouvelle offensive qui lui permet d'agrandir la zone qu'il contrôle dans le Nord-Kivu et d'amener ses troupes à quelques kilomètres de Goma à fin octobre. L'armée congolaise ayant abandonné la ville, la Monuc n'a pas pu lancer de contre-offensive : son mandat est d'appuyer les autorités officielles congolaises dans leurs efforts pour rétablir leur contrôle sur le territoire national, mais pas de contrer une opération rebelle en soi. Nkunda a cependant renoncé à prendre la ville et a déclaré le 29 octobre un cessez-le-feu unilatéral puis demandé l'ouverture de négociations à Kinshasa.
Le 23 janvier 2009, l'inspecteur général de la police de la République démocratique du Congo annonce l'arrestation de Laurent Nkunda la veille au Rwanda ; le général déchu avait franchi la frontière alors qu'une opération conjointe des forces congolaises et rwandaises reprenaient le contrôle du territoire conquis par le CNDP avant qu'une faction anti-Nkunda ne décide de se rallier au gouvernement de Kinshasa. Laurent Nkunda avait en effet été démis de ses fonctions par un de ses subalternes le 5 janvier, ce qui avait entraîné une scission du CNDP. Depuis lors, Nkunda attend toujours d'être jugé par son allié d'hier... en vain. Le général rebelle est devenu très gênant par Kinshasa comme pour Kigali et le status quo arrange tout le monde... sauf Nkunda qui réclame un procès.
Evasion ?
Ce stratège protestant, marié et père de quatre enfants, savait qu'il "n'était rien sans l'appui de Kigali" et qu'il devrait un jour négocier un exil ou rendre compte pour les crimes de Bukavu et son implication dans la répression sanglante d'une mutinerie à Kisangani (nord-est) en 2002. Pour l'heure son avenir se résume à sa résidence protégée de Gisenyi... à une encablure de la RD Congo voisine.
Selon Joska Kaninda du journal le millénaire, "beaucoup pensent que pour contenter la communauté tutsi et assurer la surveillance des frontières congolaises, le président Kagame aura toujours besoin du soutien de Laurent Nkunda". Mais Nkunda ne peut pas rester pas éternellement en prison.
"Ce tutsi congolais jouit d’une certaine estime de la communauté tutsi de par le monde en plus que ses avocats ne cesseront pas de multiplier des pressions pour obtenir son élargissement. A plusieurs reprises Laurent Nkunda a décliné l’offre d’aller dans un exil doré. Il n’est donc pas exclut que son évasion soit organisée pour qu’il se retrouve à nouveau à l’Est du Congo pour faire le bouchon contre les FDLR" conclut Joska Kaninda.
Author: Christophe Rigaud
Source: AFRIKARABIA, du samedi, 06 novembre 2010
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