Alors que les témoins se préparent à défiler au procès Bemba où ils décriront les atrocités commises par les troupes du MLC, qu’on nous permette d’évoquer quelques souvenirs personnels, datant des années 2002- 2003.
Jusqu’en 1998, Jean-Pierre Bemba était surtout un homme d’affaires issu du sérail mobutiste (son père, Bemba Saolona était le « patron des patrons » et il était considéré comme l’un des gestionnaires de la fortune de Mobutu) et lui-même avait été très proche du « Guide ». Ce passé de jeune homme privilégié, qui avait fait en Belgique de bonnes études d’économie, ne pouvait que nourrir l’hostilité quasi congénitale de JP Bemba à l’égard de Laurent Désiré Kabila, l’ancien maquisard venu de l’Est, l’irréductible adversaire de Mobutu.
C’est donc sans trop se forcer qu’en 1998, Jean-Pierre Bemba accepta de prendre la tête d’un mouvement politico militaire, le MLC, (Mouvement pour la libération du Congo) bien décidé qu’il était à chasser Kabila par les armes. A l’époque, le Rwanda et l’Ouganda qui avaient porté au pouvoir l’homme de la « zone rouge », le maquis que Kabila avait entretenu du côté de Fizi, étaient résolus à corriger leur erreur d’appréciation : ils avaient cru soutenir un pantin dont ils tireraient les ficelles, ils découvraient un politicien retors décidé à reconquérir son indépendance ! En août 1998, après avoir échoué à renverser Kabila lors d’un coup d’Etat éclair, les alliés d’hier entreprirent de soutenir des « proxies », des mouvements congolais alliés, qui allaient entamer la lutte armée et s’emparer de vastes portions du territoire : le plus puissant d’entre eux, le RCD Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie) contrôla rapidement une vaste zone s’étendant du « grand nord » congolais jusqu’au nord Katanga tandis que le MLC, sans jamais réussir à s’emparer de Mbandaka la capitale s’empara de l’Ituri et de l’Equateur, installant son quartier général à Gbadolite, l’ancien fief de Mobutu.
C’est là qu’en 2002 nous avions brièvement rencontré Jean-Pierre Bemba. A l’époque, sa fortune avait changé, la guerre éclair s’était transformée en guerre de position, Kabila père avait été assassiné et remplacé par son fils Joseph. Ce dernier avait conquis les bonnes grâces des Occidentaux et s’efforçait de relancer les négociations de paix.
En outre, les alliés ougandais, qui, au début, avaient soutenu l’effort de guerre du MLC, militairement et financièrement, avaient pris leurs distances, les généraux proches de Museveni se contentant de contrôler les réseaux commerciaux. A Gbadolite, cette capitale plantée dans la jungle, où l’ancien palais de Mobutu avait été pillé et dépiauté, les cadres du MLC semblaient un peu seuls, rêvant, sans trop le dire, d’un jour retrouver le chemin de Kinshasa.
Les plantations de café, dont certaines appartenaient à la famille Bemba, n’avaient pas été relancées, la ville présentait une allure d’abandon. Les proches de Bemba, même s’ils tentaient de faire bonne figure, portaient des signes visibles d’appauvrissement, costumes élimés, chaussures usées ; certains d’entre eux semblaient malades et amaigris. Quant aux soldats, c’était pire encore : à tout moment, ils nous apostrophaient en rue, en disant « maman j’ai faim, donne moi de l’argent » et même les gardes personnels de Bemba semblaient affamés ! Ce fut d’ailleurs la première question que je posai au « chairman » lorsqu’il apparut : « pourquoi ne payez vous pas vos troupes ? » Il eut alors une réponse empreinte de morgue très mobutiste : « mais madame, ils sont ici par idéal. Si je les payais, vous diriez qu’ils sont des mercenaires… »
A l’époque, il était clair que les finances s’épuisaient, que les principales sources de revenu provenaient de la vente de diamants provenant de la province de l’Equateur, des diamants qui étaient mis sur le marché à Bangui, grâce à l’appui du président centrafricain de l’époque Ange Patassé. Ce dernier, certes, avait remporté les élections, mais il faisait face à l’hostilité des Français qui ne lui pardonnaient pas de s’être rapproché du colonel Kaddhafi et qui voulaient le remplacer par François Bozizé qui était, lui, soutenu par le président tchadien Idriss Deby.
Alors que la cavalcade militaire de Bozize et de ses alliés tchadiens commençait à l’Est du pays, Ange Patassé fit appel à son allié Bemba, lui demandant d’envoyer à Bangui un « corps expéditionnaire ».
Le président du MLC ne pouvait pas refuser ce service : depuis Gbadolite, Bangui représentait la seule porte de sortie vers le monde extérieur, le seul lieu où les diamants pouvaient être commercialisés, par où les délégations pouvaient transiter.
Des troupes du MLC furent alors mises à la disposition du président centrafricain, qui représentait l’autorité légitime dans le pays voisin ; des officiers du MLC, le colonel Hamuli et le colonel Mustafa, accompagnaient les troupes, dont ceux que l’on appellera plus tard « les Banyamulenge de Bemba » tous étant placés sous le commandement du chef d’état major centrafricain.
Lorsqu’après la défaite de Patassé et la victoire de Bozize, (qui allait plus tard être légitimé par des élections) nous découvrîmes Bangui ravagée par la guerre, les hommes de Bemba avaient laissé un souvenir de terreur : ce soldats, dont beaucoup étaient originaires de la province de l’Equateur, s’étaient comportés comme en terrain conquis, rattrapant soudain des années de privations et de disette. Ils avaient pillé, volé, massacré des civils, s’étaient emparés des femmes, les avaient violées et, aux yeux de la population, ils représentaient une force d’occupation honnie, qui ne respectait rien, pas même l’enceinte diplomatique de l’ambassade de France, où des exactions avaient été commises au vu et au su des diplomates présents.
Pendant que leurs troupes faisaient régner la terreur à Bangui, Jean-Pierre Bemba et ses compagnons songeaient à leur avenir politique : à Sun City en Afrique du Sud, les négociations avaient commencé, les cadres du MLC discutaient de la formule qui allait régir la transition, le « un plus quatre », où la présidence demeurait entre les mains de Joseph Kabila, tandis que Bemba et un représentant du RCD Goma se partageaient deux des quatre postes de vice présidents. Si à Sun City, le « chairman » n’avait rien perdu de sa superbe et demeurait convaincu de son destin national, ses compagnons de route étaient moins farauds ; désargentés, ils étaient obligés d’accepter la « générosité » des hommes de Kabila, qui, eux, disposaient d’un budget spécial destiné à « soulager » leurs “frères” et compatriotes. Dans l’ombre, de futures défections se préparaient ainsi discrètement et, loin des médiateurs internationaux, les Congolais mettaient en place leurs propres arrangements.
Peut-on imaginer que Bemba, qui, entre Gbadolite et Sun City, négociait la fin de la guerre, la réunification du pays et songeait surtout à garantir son futur poste de vice président en charge de l’Ecofin (économie et finances), se souciait de donner des ordres à ses troupes détachées à Bangui, suivait leurs mouvements jusqu’à être tenu pour responsable de leurs crimes ? C’est ce que le procureur Moreno Ocampo devra démontrer.
En attendant, les officiers qui encadraient le corps expéditionnaire du MLC ont été incorporés dans les Forces armées congolaises, le chef d’état major centrafricain ne fait l’objet d’aucune inculpation, pas plus que l’ex président Ange Patassé.
L’établissement de la chaîne de commandement est un thème suivi avec passion au Congo, où les exemples d’atrocités commises par des « corps expéditionnaires » étrangers ne manquent pas : les Angolais firent régner la terreur dans le Bas Congo lorsqu’ils intervinrent en août 1998, pratiquant viols et pillages, Rwandais et Ougandais en 2000, se disputant le contrôle des comptoirs de diamants, firent tomber une pluie de bombes sur Kisangani, tandis que les atrocités commises dans l’Est du Congo par des troupes sous commandement rwandais ont alimenté le fameux « mapping report de l’ONU », dont on se demande toujours quelle suite lui sera donnée…
Jusqu’en 1998, Jean-Pierre Bemba était surtout un homme d’affaires issu du sérail mobutiste (son père, Bemba Saolona était le « patron des patrons » et il était considéré comme l’un des gestionnaires de la fortune de Mobutu) et lui-même avait été très proche du « Guide ». Ce passé de jeune homme privilégié, qui avait fait en Belgique de bonnes études d’économie, ne pouvait que nourrir l’hostilité quasi congénitale de JP Bemba à l’égard de Laurent Désiré Kabila, l’ancien maquisard venu de l’Est, l’irréductible adversaire de Mobutu.
C’est donc sans trop se forcer qu’en 1998, Jean-Pierre Bemba accepta de prendre la tête d’un mouvement politico militaire, le MLC, (Mouvement pour la libération du Congo) bien décidé qu’il était à chasser Kabila par les armes. A l’époque, le Rwanda et l’Ouganda qui avaient porté au pouvoir l’homme de la « zone rouge », le maquis que Kabila avait entretenu du côté de Fizi, étaient résolus à corriger leur erreur d’appréciation : ils avaient cru soutenir un pantin dont ils tireraient les ficelles, ils découvraient un politicien retors décidé à reconquérir son indépendance ! En août 1998, après avoir échoué à renverser Kabila lors d’un coup d’Etat éclair, les alliés d’hier entreprirent de soutenir des « proxies », des mouvements congolais alliés, qui allaient entamer la lutte armée et s’emparer de vastes portions du territoire : le plus puissant d’entre eux, le RCD Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie) contrôla rapidement une vaste zone s’étendant du « grand nord » congolais jusqu’au nord Katanga tandis que le MLC, sans jamais réussir à s’emparer de Mbandaka la capitale s’empara de l’Ituri et de l’Equateur, installant son quartier général à Gbadolite, l’ancien fief de Mobutu.
C’est là qu’en 2002 nous avions brièvement rencontré Jean-Pierre Bemba. A l’époque, sa fortune avait changé, la guerre éclair s’était transformée en guerre de position, Kabila père avait été assassiné et remplacé par son fils Joseph. Ce dernier avait conquis les bonnes grâces des Occidentaux et s’efforçait de relancer les négociations de paix.
En outre, les alliés ougandais, qui, au début, avaient soutenu l’effort de guerre du MLC, militairement et financièrement, avaient pris leurs distances, les généraux proches de Museveni se contentant de contrôler les réseaux commerciaux. A Gbadolite, cette capitale plantée dans la jungle, où l’ancien palais de Mobutu avait été pillé et dépiauté, les cadres du MLC semblaient un peu seuls, rêvant, sans trop le dire, d’un jour retrouver le chemin de Kinshasa.
Les plantations de café, dont certaines appartenaient à la famille Bemba, n’avaient pas été relancées, la ville présentait une allure d’abandon. Les proches de Bemba, même s’ils tentaient de faire bonne figure, portaient des signes visibles d’appauvrissement, costumes élimés, chaussures usées ; certains d’entre eux semblaient malades et amaigris. Quant aux soldats, c’était pire encore : à tout moment, ils nous apostrophaient en rue, en disant « maman j’ai faim, donne moi de l’argent » et même les gardes personnels de Bemba semblaient affamés ! Ce fut d’ailleurs la première question que je posai au « chairman » lorsqu’il apparut : « pourquoi ne payez vous pas vos troupes ? » Il eut alors une réponse empreinte de morgue très mobutiste : « mais madame, ils sont ici par idéal. Si je les payais, vous diriez qu’ils sont des mercenaires… »
A l’époque, il était clair que les finances s’épuisaient, que les principales sources de revenu provenaient de la vente de diamants provenant de la province de l’Equateur, des diamants qui étaient mis sur le marché à Bangui, grâce à l’appui du président centrafricain de l’époque Ange Patassé. Ce dernier, certes, avait remporté les élections, mais il faisait face à l’hostilité des Français qui ne lui pardonnaient pas de s’être rapproché du colonel Kaddhafi et qui voulaient le remplacer par François Bozizé qui était, lui, soutenu par le président tchadien Idriss Deby.
Alors que la cavalcade militaire de Bozize et de ses alliés tchadiens commençait à l’Est du pays, Ange Patassé fit appel à son allié Bemba, lui demandant d’envoyer à Bangui un « corps expéditionnaire ».
Le président du MLC ne pouvait pas refuser ce service : depuis Gbadolite, Bangui représentait la seule porte de sortie vers le monde extérieur, le seul lieu où les diamants pouvaient être commercialisés, par où les délégations pouvaient transiter.
Des troupes du MLC furent alors mises à la disposition du président centrafricain, qui représentait l’autorité légitime dans le pays voisin ; des officiers du MLC, le colonel Hamuli et le colonel Mustafa, accompagnaient les troupes, dont ceux que l’on appellera plus tard « les Banyamulenge de Bemba » tous étant placés sous le commandement du chef d’état major centrafricain.
Lorsqu’après la défaite de Patassé et la victoire de Bozize, (qui allait plus tard être légitimé par des élections) nous découvrîmes Bangui ravagée par la guerre, les hommes de Bemba avaient laissé un souvenir de terreur : ce soldats, dont beaucoup étaient originaires de la province de l’Equateur, s’étaient comportés comme en terrain conquis, rattrapant soudain des années de privations et de disette. Ils avaient pillé, volé, massacré des civils, s’étaient emparés des femmes, les avaient violées et, aux yeux de la population, ils représentaient une force d’occupation honnie, qui ne respectait rien, pas même l’enceinte diplomatique de l’ambassade de France, où des exactions avaient été commises au vu et au su des diplomates présents.
Pendant que leurs troupes faisaient régner la terreur à Bangui, Jean-Pierre Bemba et ses compagnons songeaient à leur avenir politique : à Sun City en Afrique du Sud, les négociations avaient commencé, les cadres du MLC discutaient de la formule qui allait régir la transition, le « un plus quatre », où la présidence demeurait entre les mains de Joseph Kabila, tandis que Bemba et un représentant du RCD Goma se partageaient deux des quatre postes de vice présidents. Si à Sun City, le « chairman » n’avait rien perdu de sa superbe et demeurait convaincu de son destin national, ses compagnons de route étaient moins farauds ; désargentés, ils étaient obligés d’accepter la « générosité » des hommes de Kabila, qui, eux, disposaient d’un budget spécial destiné à « soulager » leurs “frères” et compatriotes. Dans l’ombre, de futures défections se préparaient ainsi discrètement et, loin des médiateurs internationaux, les Congolais mettaient en place leurs propres arrangements.
Peut-on imaginer que Bemba, qui, entre Gbadolite et Sun City, négociait la fin de la guerre, la réunification du pays et songeait surtout à garantir son futur poste de vice président en charge de l’Ecofin (économie et finances), se souciait de donner des ordres à ses troupes détachées à Bangui, suivait leurs mouvements jusqu’à être tenu pour responsable de leurs crimes ? C’est ce que le procureur Moreno Ocampo devra démontrer.
En attendant, les officiers qui encadraient le corps expéditionnaire du MLC ont été incorporés dans les Forces armées congolaises, le chef d’état major centrafricain ne fait l’objet d’aucune inculpation, pas plus que l’ex président Ange Patassé.
L’établissement de la chaîne de commandement est un thème suivi avec passion au Congo, où les exemples d’atrocités commises par des « corps expéditionnaires » étrangers ne manquent pas : les Angolais firent régner la terreur dans le Bas Congo lorsqu’ils intervinrent en août 1998, pratiquant viols et pillages, Rwandais et Ougandais en 2000, se disputant le contrôle des comptoirs de diamants, firent tomber une pluie de bombes sur Kisangani, tandis que les atrocités commises dans l’Est du Congo par des troupes sous commandement rwandais ont alimenté le fameux « mapping report de l’ONU », dont on se demande toujours quelle suite lui sera donnée…
Source: Carnet de Colette Braeckman, du 25 novembre 2010
No comments:
Post a Comment