Isolé et acculé, l’ex-président ivoirien a ouvert un autre front : l’opinion africaine contre l’ingérence occidentale. Cette stratégie ne le met à l’abri ni d’une intervention militaire ni d’un étouffement économique. Enquête.
Author: François Soudan
Source: Jeune Afrique, du 19/01/2011 à 16h:52
Lentement, sûrement, malicieusement, la crise ivoirienne est en passe de devenir une crise de conscience africaine, comme le démontrent l’abondance exceptionnelle et le caractère tranché, parfois outrancier, du courrier qui nous est adressé chaque jour depuis près de deux mois. Une crise dont notre collaborateur Gaston Kelman souligne l’aspect fécond dans la mesure où elle oblige enfin les intellectuels africains à se réveiller en intervenant au cœur du champ politique, mais dont le côté régressif, hélas, n’a pas fini de se faire sentir. Entre ceux qui, au sein de l’opinion africaine, soutiennent Alassane Ouattara au nom des principes universels de démocratie, par crainte aussi de voir, chez eux, le mauvais exemple ivoirien condamner à terme toute possibilité d’alternance par les urnes, et ceux pour qui Laurent Gbagbo est un martyr de l’ingérence d’une communauté internationale à géométrie variable se dessine une ligne de fracture non pas idéologique – sur ce point, les repères sont totalement brouillés – mais communautaire et parfois religieuse.
À l’évidence, la « sensibilité » pro-Gbagbo est plus repérable en Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest sahélienne, chez les chrétiens que chez les musulmans, et ce n’est certes pas l’ambiguïté du Vatican, encore moins les prises de position quasi souverainistes de l’épiscopat ivoirien, qui atténueront ce clivage malsain.
À l’évidence aussi, certaines outrances ou injonctions médiatiques, quand elles émanent de commentateurs ou responsables politiques occidentaux, tout particulièrement français, ne font qu’accroître la solidarité de tous ceux qui ont fait du camarade Laurent un résistant par procuration et le réceptacle de bien des rancœurs justifiées contre l’arrogance des donneurs de leçons du Nord.
À cet égard, le dernier « front » ouvert par Gbagbo vis-à-vis des ambassades occidentales à Abidjan, auxquelles il a décidé de retirer « son » accréditation (elles sont une douzaine sur cinquante chancelleries, pour la plupart africaines), pour suicidaire qu’il soit – utilisera-t-il la contrainte à l’encontre des diplomates dont les pays reconnaissent le gouvernement Ouattara ? –, est suivi par ses supporteurs avec une admiration qui rappelle celle que la mythique « rue arabe » éprouva jadis pour un autre « résistant » asphyxié par l’embargo : Saddam Hussein.
Autre effet pervers enfin, d’une situation qui s’installe dans la durée : quelques-uns des chefs d’État africains confrontés cette année à une élection présidentielle (et qui sympathisent secrètement avec Laurent Gbagbo dans son refus du « diktat » onusien) entendent bien profiter de la crainte internationale de voir s’ouvrir dans l’immédiat d’autres foyers de crise sur le continent pour rempiler en douce – si ce n’est en force.
Déjà, le président congolais Joseph Kabila, en lice pour sa réélection en novembre prochain, avance explicitement la nécessité d’éviter à son pays une répétition du scénario ivoirien pour tenter de supprimer le second tour du scrutin. D’Abidjan, on le voit, tout peut encore provenir. Le meilleur, mais aussi le pire…
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