Après l'arrestation de Laurent Gbagbo ce lundi, retour sur la crise, déclenchée par l'élection présidentielle ivoirienne le 28 novembre 2010 qui a dégénéré en guerre civile.
Acte 1: une élection sous tension
Après six années de report, l'élection présidentielle ivoirienne se déroule dans le contexte d'un pays divisé. Pendant la campagne électorale, les prémices des tensions à venir sont palpables. Le premier tour, organisé le 31 octobre 2010, en porte les traces. Mais c'est au second tour, le 28 novembre, qui oppose le président sortant Laurent Gbagbo à l'ex-Premier ministre Alassane Ouattara, que la situation se détériore. La veille, une manifestation de l'opposition contre le couvre-feu instauré par le président Gbagbo a fait trois morts.
L'attente des résultats du vote plonge le pays dans la confusion, comme l'illustre cet incident: le 30 novembre, deux jours après l'élection, des représentants de Laurent Gbagbo au sein de la commission électorale empêchent l'annonce de résultats partiels à Abidjan. Cette crispation au sein de la commission retarde l'annonce des résultats; les partisans d'Alassane Ouattara accusent le président sortant de bloquer l'annonce avant le délai initialement prévu, le 1er décembre à minuit.
Acte 2: deux présidents pour un Etat
Un premier verdict tombe le 2 décembre: la commission électorale indépendante donne le challenger de Gbagbo vainqueur, avec 54,1% des voix. Ces résultats sont aussitôt invalidés par le Conseil constitutionnel, proche de du président sortant. Le Conseil estime que les chiffres, qui ont été annoncés après l'expiration du délai de trois jours prévu par le code électoral, sont nuls. Le lendemain, le Conseil constitutionnel proclame Laurent Gbagbo président de la République.
Les deux hommes revendiquent alors chacun de leur côté la victoire. Le 4 décembre, Laurent Gbagbo se fait investir président et son opposant prête serment "en qualité de président de la République". Le lendemain, après avoir reconduit comme Premier ministre Guillaume Soro, Alassane Ouattara forme un gouvernement. Son rival réplique en annonçant la nomination de Gilbert Marie N'gbo Aké au poste de Premier ministre.
Acte 3: Condamnation de la communauté internationale
Dès le 3 décembre, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne reconnaissent la victoire de Ouattara. Le 7, la Cedeao --la Communauté des Etats d'Afrique de l'ouest-- suspend la Côte d'Ivoire. Le lendemain l'ONU appelle au respect des résultats annoncés par la Commission électorale indépendante, sous peine de sanctions. Même la Russie, après quelques jours d'hésitation, adopte la déclaration du Conseil de sécurité de l'ONU. Le 9 décembre, c'est au tour de l'Union africaine (UA) de suspendre la Côte d'Ivoire, avant de durcir le ton le 18: le président de la Commission de l'Union africaine, Jean Ping, remet à Laurent Gbagbo une lettre qui lui demande de quitter le pouvoir.
Le 17 décembre, l'Union européenne (UE) appelle l'armée ivoirienne à se placer sous l'autorité de Ouattara et le président français Nicolas Sarkozy lance un ultimatum à Laurent Gbagbo: il exige son départ avant la fin de la semaine, sous peine d'être frappé par des sanctions de l'UE. C'est chose faite le 20 décembre: Laurent Gbagbo, son épouse ainsi que 17 proches (puis 59 fin décembre), sont privés de visas d'entrée en Europe. Le lendemain, ceux-ci sont interdits de voyager aux Etats-Unis.
Acte 4: sanctions et bataille pour les leviers financiers
Le 22 décembre, le président de la Banque mondiale annonce que les crédits accordés à la Côte d'Ivoire ont été gelés. Plus important, le lendemain, sept ministres des Finances de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa) demandent à la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) d'autoriser uniquement les représentants du président ivoirien "légitimement élu", Alassane Ouattara, à gérer les comptes du pays.
Cacao, café, pétrole, ports, banques, douanes, taxes: qui contrôle les avoirs de la Côte d'Ivoire et ses flux financiers dispose d'un atout décisif.
Les avoirs de Laurent Gbagbo sont gelés le 6 janvier aux Etats-Unis, tandis que l'UE gèle les avoirs du président sortant et de 84 membres de son camp, le 14.
Dès lors s'engage une bataille entre les deux rivaux sur les leviers financiers du pays. Le 24 janvier, Alassane Ouattara ordonne l'arrêt des exportations de cacao dont le pays est 1er producteur mondial, espérant étrangler financièrement Gbagbo. En réaction, Laurent Gbagbo prend le contrôle de l'achat et l'exportation du cacao, le 8 mars.
Le 22 février Ouattara obtient le départ du gouverneur ivoirien de la BCEAO, proche de Laurent Gbagbo qui refusait de lui donner la signature au nom de son pays. Laurent Gbagbo ordonne alors la "réquisition" des agences en Côte d'Ivoire de la BCEAO, mais Alassane Ouattara réplique en annonçant leur "fermeture". Cette stratégie d'asphyxie finit par bloquer le système financier du pays.
Acte 5: Navettes africaines et menace d'intervention militaire
Le 24 décembre, la Cedeao organise à Abuja (Nigeria) un sommet extraordinaire sur la Côte d'Ivoire. Les pays d'Afrique de l'Ouest annoncent l'envoi d'émissaires dans le pays et menacent de déloger par la force Laurent Gbagbo.
Alors que la pression internationale sur Gbagbo s'accroît, Alassane Ouattara, prône, le 6 janvier, une action commando "non violente" de l'Afrique de l'Ouest pour chasser Laurent Gbagbo de la présidence. mais l'option d'une intervention militaire suscite des interrogations: "Qui est prêt à envoyer des troupes dans un centre urbain comme Abidjan ?", s'interroge un spécialiste nigérian du dossier. Mêmes réserves côté français: une opération militaire de la Cedeao pour chasser Laurent Gbagbo "ne peut être qu'un dernier recours que nous voulons absolument éviter" selon selon la ministre des affaires étrangères française Michèle Alliot-Marie, interrogée le 28 janvier.
Dans le même temps, l'Union africaine demande au Premier ministre kényan, Raila Odinga, de tenter de résoudre la crise politique, puis met en place un "panel" de chefs d'Etat sur la crise. Plusieurs navettes de la Cedeao et de l'UA se succèdent à Abidjan, en vain. Finalement, le 31 mars, le Conseil de sécurité des Nations unies vote à l'unanimité la résolution 1975 qui exhorte Laurent Gbagbo à se retirer et soumet le président sortant et ses proches à des sanctions.
Acte 6: montée de la violence
Des affrontements éclatent peu après le scrutin: 173 personnes sont tuées entre le 16 et le 21 décembre, selon l'ONU.
Les partisans de Gbagbo s'en prennent aussi à l'ONU qu'ils accusent d'être favorable à Alassane Ouattara: Charles Blé Goudé, leader des "Jeunes patriotes" appelle, le 25 février, les jeunes à "s'organiser en comités pour empêcher "par tous les moyens", la force de l'ONUCI de circuler à Abidjan.
Au mois de janvier, les violences se propagent, en particulier dans l'ouest du pays, région la plus instable du pays, et à Abidjan, La situation se dégrade sérieusement en février et en mars. Après que des manifestants aient été tués par les Forces de Défense et de Sécurité (FDS), dans les quartiers d'Abobo, Koumassi, et Treichville, un "commando invisible" est formé dans les quartiers pro-Ouattara qui mène des embuscades contre les FDS.
Duékoué, le spectre des carnages
des massacres à grande échelle ont été commis à Duékoué entre le 27 et le 29 mars, date de la conquête par les partisans d'Alassane Ouattara de cette cité de l'ouest. Les doutes portent sur le bilan (de 300 à un millier de morts). L'ONU impute "la plupart" des assassinats aux forces ouattaristes et incrimine pour le reste les miliciens et les mercenaires libériens au service de Laurent Gbagbo. Après la mort d'au moins six femmes, tuées par balles par les forces pro-Gbagbo qui dispersaient une manifestation à Abidjan, le 3 mars, l'ONU craint la "résurgence de la guerre civile" de 002-2003.
Des témoignages confirment l'instauration dans le Grand Abidjan d'une terreur milicienne, incarnée par les Jeunes Patriotes, qui, armés de gourdins et de machettes, dressent des barrages sauvages ou incendient maisons, échoppes et minibus. Dans le camp d'en face, l'ex-rebellion des Forces nouvelles (FN) qui durcit sa riposte, se livre elle aussi à des exactions.
Les agences humanitaires de l'ONU estiment que près d'un million de personnes ont du quitter leur domicile pour fuir les violences qui ont fait, depuis l'élection présidentielle du 28 novembre, des centaines de morts.
Acte7: l'offensive des Forces républicaines de Côte d'ivoire
Les ex-rebelles du nord alliés à Alassane Ouattara ont prisdeux localités de l'ouest sous contrôle du camp Gbagbo le 25 février, puis les villes de Toulépleu, le 6 mars et Doké le 13 mars. Le 17 mars, Alassane Ouattara crée les Forces républicaines de Côte d'ivoire (FRCI), composées de de soldats des FDS ayant fait défection et d'ex-rebelles des Forces nouvelles.
Le 28 mars, les FRCI lancent une grande offensive militaire, quatre mois jour pour jour après le début de la crise post-électorale. Ils progressent rapidement rencontrant peu de résistance, en raison des défections au sein de l'armée notamment, et atteignent Yamoussoukro, la capitale administrative le 30, puis Abidjan le 31. Mais les FRCI se heurtent à la résistance des partisans de Laurent Gbagbo dans leurs bastions d'Abidjan, livrée au pillageet aux violences. Le 4 avril, L'Onuci et la force française Licorne frappent les derniers bastions de Gbagbo, tirant sur des camps militaires et des batteries situées à la résidence et au palais présidentiel. Des négociations sont entamées avec Laurent Gbagbo pour demander sa reddition, mais malgré l'écroulement de son régime, celui-ci, retiré dans sa résidence du quartier de Cocody, s'y refuse.
Acte 8: la chute de Gbagbo
Après que les forces pro-Gbagbo aient réussi à regagner du terrain à Abidjan à partir du 8 avril, reprenant le contrôle de plusieurs quartiers, les forces françaises de l'opération Licorne et l'Onuci lancent une campagne de frappes sur les bastions du président ivoirien sortant, le 10 avril.
Le 11 avril, en début d'après-midi, Laurent Gbagbo est arrêté par les forces d'Alassane Ouattara et conduit au Golf hôtel, QG du camp Ouattara dans Abidjan.
Author:Catherine Gouëset
Source: L'Express, du publié le 11/04/2011 à 16:01
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