Une cellule spéciale a asséché en carburant le régime Kadhafi et approvisionné les rebelles.
En marge des raids aériens, Londres a mis en place un dispositif tactique pour étrangler le régime Kadhafi en le privant de carburant. Créée en avril, une cellule secrète a participé à l'assèchement en pétrole des forces pro-Kadhafi tout en visant à établir des circuits d'approvisionnement pour les rebelles. Une équipe de six à huit personnes, sous la houlette du ministre du Développement international, Alan Duncan, était composée de membres du Foreign Office et du ministère de la Défense, avec l'appui des services secrets du MI6.
Ancien trader spécialiste du pétrole, Alan Duncan est à l'origine de l'opération. Au printemps, des informations des milieux pétroliers montrent en effet que les sanctions internationales pénalisent plus les rebelles que le régime, qui, s'il n'est plus en mesure de raffiner le brut produit sur le sol libyen, continue à s'approvisionner en pétrole en payant 150 à 200 dollars de plus le baril que le cours officiel et en se faisant livrer par la Tunisie. Convaincu de la nécessité d'agir sur ce terrain, David Cameron donne son feu vert à la création de la cellule secrète, qui lui rend compte directement.
Installée dans des bureaux du Foreign Office, au centre de Londres, l'équipe parvient, en liaison avec des agents sur le terrain et avec l'Otan, à établir un blocus des ports libyens et à contrôler les voies utilisées pour l'importation de pétrole de contrebande. Elle aide les rebelles à couper l'alimentation de la raffinerie libyenne de Zawiya, la seule à fonctionner durant le conflit.
Pendant ce temps, à Londres, les traders des groupes pétroliers sont mis en contact avec les troupes du Conseil national de transition. Les livraisons aux insurgés, souvent à crédit, se déroulent par l'intermédiaire de Vitol, une société de trading suisse pour laquelle Alan Duncan avait travaillé dans le passé. La cellule parvient aussi à intercepter un pétrolier libyen, le Cartagena, porteur de 37.500 tonnes de brut, pour le détourner de sa route vers Tripoli et le faire livrer son chargement à Malte. Au total, l'opération aurait abouti à assécher de 90% les réserves pétrolières du régime Kadhafi et facilité la progression des rebelles.
Parallèlement aux efforts militaires et diplomatiques, cette pression économique sur le régime a contribué à sa chute, se félicite le gouvernement britannique. «Notre initiative a montré le rôle du pétrole comme l'arme non létale la plus cruciale dans ce conflit. Le nœud de l'énergie s'est resserré autour du cou de Tripoli. C'est beaucoup plus efficace et plus facile à réparer que des bombes. C'est comme de confisquer les clés de la voiture», commente une source gouvernementale.
Les liens approfondis tissés avec l'industrie pétrolière en Libye devraient aussi avantager les entreprises du Royaume-Uni dans l'après-guerre. Londres se prépare à envoyer sur place une équipe de représentants commerciaux. La Libye, 17e producteur pétrolier mondial, produisait jusqu'à 1,8 million de barils par jour avant le conflit. BP et Shell sont dans les starting-blocks pour reprendre leurs activités d'exploration dans le désert libyen.
De notre correspondant à Londres
Par Florentin Collomp
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Les industriels français prêts à reprendre pied à Tripoli
Nombreux sont les pays qui sont sur les rangs pour participer à la reconstruction de la Libye.
Y penser toujours, n'en parler jamais. Ou rarement. Les groupes industriels français fourbissent leurs armes en toute discrétion pour renouer ou nouer au plus vite des relations commerciales avec la Libye, identifier les interlocuteurs, relancer les projets. «La nouvelle Libye devrait, sous condition d'une gestion sans anicroche de la transition post-révolutionnaire, constituer un véritable eldorado pour les entreprises françaises et britanniques qui ont soutenu le Conseil national de transition (CNT)», assurent les experts de la recherche Afrique de la banque CM-CIC. «Attention, les rues ne seront jamais pavées d'or car le CNT sera, par essence, éphémère, tempère cependant Michel Casals, président de la Chambre de commerce franco-libyenne. Si la France jouit d'un capital sympathie considérable, la concurrence sera très vive, beaucoup de pays dont l'Italie sont sur les rangs pour participer à la reconstruction.» Troisième client mais seulement sixième fournisseur de la Libye avec un milliard de dollars d'exportation, la France espère faire mieux à l'avenir. Les groupes de BTP, tels Vinci, déjà engagés, espèrent d'autres contrats. Bolloré attend la gestion, signée en 2010, du port de Misrata.
• Pétrole: horizon ouvert pour Total
Il n'y aura pas de «favoritisme politique » dans l'attribution des contrats pétroliers, a déclaré hier un membre du CNT à Londres. En 2010, 15,7% des importations françaises de pétrole provenaient de Libye, mais Total n'en produisait qu'environ 3,5%, dans le cadre de consortiums contrôlés par la compagnie nationale NOC. Pour l'heure, le groupe français observe la plus grande prudence. Mais un proche du dossier estime «probable » les contacts entre la compagnie et les représentants libyens présents à la conférence de Paris. La priorité est à la remise en état des installations. Total ne produit plus un seul baril en Libye. Pour Francis Perrin, directeur de la revue Pétrole et gaz arabes, il faudra plusieurs mois pour retrouver le niveau de production de quelque 1,6 million de barils par jour d'avant-guerre. Or, selon cet expert, le plus efficace serait de réactiver les contrats existants, signés avec plusieurs dizaines de compagnies étrangères, avant de redistribuer les cartes. La prime promise par le CNT à ses alliés, France en tête, pourrait davantage intervenir dans un deuxième temps: celui de l'exploration et de l'exploitation des immenses réserves d'or noir, évaluées entre 40 et 45 milliards de barils.
• Industrie: la discrétion est de rigueur
Les groupes industriels font preuve d'une extrême prudence en évoquant leurs ambitions futures en Libye. Les groupes de bâtiment et de travaux publics se gardent bien d'évoquer «l'eldorado» promis par les analystes. Ainsi, Vinci, qui construisait notamment la tour de contrôle de l'aéroport de Tripoli au début de la guerre se borne aujourd'hui à évoquer un «marché potentiel d'avenir dans les secteurs du transport, ou de l'eau». Présent depuis trente ans en Libye, via Dumez, Vinci veut éviter les maladresses, avant de revenir dans ce pays. Pour sa part, la filiale logistique du groupe Bolloré attend avec impatience le retour à la normale en Libye: elle a obtenu la concession de la gestion du terminal à conteneurs du port de Misrata quelques semaines seulement avant le début des événements. Le groupe attend le feu vert libyen pour l'exploitation de ce port, point stratégique pour son développement sur le continent. Dans ce climat d'incertitude; mais aussi d'espoir, le Medef pense faire salle comble pour son prochain colloque sur la Libye.
• Aéronautique: reconstruire la flotte civile
Comme dans les autres filières industrielles, la prudence domine dans les milieux aéronautiques. «Nous sommes dans l'expectative. Il faut attendre le retour de la Libye au sein de la communauté internationale et la levée des embargos pour réactiver les relations d'affaires», résume Marwan Lahoud, directeur général délégué d'EADS, maison mère d'Airbus. «Dans le civil, nous pouvons aider à remettre en vol les avions et reprendre ou amender les contrats déjà signés. Dans la défense et la sécurité, nous sommes l'arme au pied», ajoute-t-il. En mars dernier, Airbus avait dû interrompre ses livraisons d'appareils commandés en 2007 par la compagnie Afriqiyah Airways, soit une vingtaine d'A 320 et d'A 350. Des avions ont été détruits pendant les combats. À ce stade, ce sera à la compagnie nationale de faire le point sur ses besoins. Airbus estime que le potentiel de l'Afrique du Nord, dont la Libye, tourne autour de 175 appareils.
Author: Fabrice Nodé-Langlois, Charles Gautier, Véronique Guillermard
Source: Le Figaro, du 02/09/2011
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