Monday, May 7, 2012

RDC: Unitarisme-fédéralisme : débat utile ou querelle byzantine ?

               

Le tout premier Président congolais, Joseph Kasa Vubu dont le parti, Abako (Alliance des Bakongo), pronaît le fédéralisme.      
Le deuxième ajustement politique congolais est en marche depuis le 24 avril 1990. Vingt-deux ans après, le résultat est plus que consternant. Face au désenchantement généralisé, plusieurs Congolais ont à l’esprit les deux questions fondamentales qui méritent d’être posées dans pareille circonstance. Pourquoi une telle désillusion et que faire pour rectifier le tir? Des explications sont avancées. De même que des solutions pour sortir des marais. Parmi celles-ci figure le fédéralisme, relançant ainsi la controverse qui eut lieu à la veille de l’accession du pays à la souveraineté internationale entre les unitaristes et les fédéralistes. Est-ce là un débat utile ou une querelle byzantine ? Pour le savoir, il convient de rappeler que les uns et les autres recherchent la même chose, à savoir un système de gouverne qui assurerait le mieux la cohésion nationale tout en évitant que l’Etat ne soit dominé par un groupe d’individus issus d’une même tribu, ethnie ou région.

L’idée obsessionnelle d’une nation «une et indivisible» est sublimée au Congo pour avoir été défendue par le héros national, Patrice Lumumba. Lors des débats politiques, il n’est pas rare de voir des « grands » leaders utiliser l’étiquette d’unitariste ou de lumumbiste comme un argument, voire de se la disputer. On confond ainsi l’héroïsme aux idées défendues par le héros. Lumumba est certes mort pour la cause de la patrie. De là à s’imaginer que les idées qu’il avait défendues sont toutes pertinentes, il y a un pas que seuls les fanatiques peuvent franchir. Mourir en martyr ne rime pas forcément avec avoir du génie. L’unitarisme de Lumumba, qui est aussi celui de Mobutu et de ses successeurs, n’est pas un héritage politique qui permettrait de gérer démocratiquement et durablement la diversité organique du pays. Les « unitaristes » courent en réalité derrière un mythe, celui de l’Etat-Nation. Ils s’imaginent que la tribu, l’ethnie ou la région, par essence, s’oppose à la démocratie, au progrès et à l’unité nationale. C’est du moins ce qu’avait déclaré le Mouvement National Congolais aile Lumumba (MNC/L) au congrès provincial d’avril 1960 : «Le fédéralisme se traduit pratiquement par un dangereux séparatisme ethnique et des guerres tribales» (Crawford Young, Introduction à la politique congolaise, 1968). Aussi les unitaristes prétendent-ils se retrouver au-dessus des identités communautaires sans toutefois réussir à éviter la prise en otage de l’Etat par un groupe d’individus homogène sur ce plan. Mobutu, Kabila père et Kabila « fils » l’ont suffisamment démontré. Lumumba l’aurait également fait s’il avait eu la chance de diriger le pays pendant longtemps. Comme tous les pères des indépendances africaines.

Le fédéralisme au Congo fut une réponse du berger à la bergère. « Non, répondait l’Abako, c’est l’unitarisme qui est le vrai danger; une unité fédérale est ce qu’il y a de mieux. Les Bakongo ont plus confiance en un des leurs, exactement comme ceux du Kasaï. Ceux-ci nous contraignent d’adopter la formule fédérale pour l’unité du Congo, sans laquelle, le pays se précipiterait dans de gigantesques luttes tribales » (Crawford Young). Mais en creusant davantage le fédéralisme tel que le préconisait l’Abako, on s’aperçoit que ses dirigeants étaient conscients de l’inadéquation du modèle étatique hérité de la colonisation. « Nous ne disons pas qu’il est impossible de faire l’unité des voisins d’origine différente, mais elle doit être librement consentie, sans aucune interférence externe du colonialisme » (Crawford Young). C’est ce qu’on appelle l’unité réelle, laquelle s’oppose à l’unité fictive ou mythique héritée de la colonisation et qu’on ne peut maintenir que par la force des armes, comme le démontrent si bien tous les régimes congolais et africains.

La démarche de l’Abako était cohérente dans la mesure où elle préconisait, pour parvenir à l’unité réelle, que chaque groupe ethnique forme un parti. Et,
«politiquement parlant, l’unité du pays ne pouvait être maintenue que par des pouvoirs locaux autonomes réunis au sommet par des institutions acceptées de commun accord » (Crawford Young). Mais le problème était complexe. Les dirigeants de l’Abako ont d’abord créé une certaine confusion en voulant à la fois construire l’unité du Congo et celle du peuple Kongo disséminé au Congo-Léopoldville, au Congo-Brazzaville et en Angola. Ensuite, leur fédéralisme n’avait aucune chance de fonctionner. En effet, l’Abako militait pour une démocratie participative, consensuelle ou consociétale alors que le pays s’était engagé dans une démocratie conflictuelle. Avec un parti ou une coalition gouvernemental(e) et une opposition, il était exclu d’envisager un commun accord au sommet de l’Etat.

Nous avons vu que l’unitarisme n’empêchait nullement la prise en otage de l’Etat par un groupe d’individus d’une même coterie. Ajoutons qu’il n’empêche pas non plus le sentiment de marginalisation d’une communauté ethnique ou régionale, ce qui pourrait entraîner celle-ci dans une aventure séparatiste. Pour preuve, la Constitution du jeune Etat congolais, la loi fondamentale, s’apparentait déjà à un fédéralisme implicite. Ce qui n’a pas empêché les luttes tribales et la débâcle congolaise de 1960 à 1965. Car, dans la formation du gouvernement national, le 30 juin 1960, le Premier Ministre Lumumba avait négligé trois fortes personnalités représentant des sensibilités ethnico-régionales : Moïse Tshombé, le leader des Katangais authentiques, Albert Kalonji, le porte-drapeau de la nationalité luba-kasaïenne, et Jean Bolikango, le plus illustre des Bangala de l’époque. Les deux premiers ont réagi en proclamant respectivement les sécessions du Katanga (le 11 juillet 1960) et du Sud-Kasaï (le 8 août 1960), avec le soutien actif de la Belgique. Le troisième aurait pu accomplir le même exploit avec la « République autonome de l’Equateur » si cette région avait revêtu, aux yeux des ex-colonisateurs, la même importance économique que les deux premières.

Ce que l’on oublie souvent, hélas, c’est que de même que l’unitarisme, le fédéralisme n’empêche pas la prise en otage de l’Etat par un groupe d’individus issus d’un même terroir. Pour preuve, « au Nigeria comme au Congo, l’autorité coloniale avait contribué à donner une façade d’unité à un ensemble d’ethnies multiples et diverses. Parmi elles, on pouvait distinguer le Nord musulman (essentiellement dominé par les Haoussas-Fulanis) et le Sud catholique (surtout peuplé d’Ibos) » (Aicardi De Saint-Paul, La politique africaine des Etats-Unis. Mécanismes et conduite, 1984). Comme partout ailleurs sur le continent, les Nigérians ont créé des partis à la veille de l’indépendance et se sont engagés sur la voie de la démocratie conflictuelle, dans une structure fédérale. La conflictualité aidant, « le pouvoir fut détenu par les musulmans d’octobre 1960, date de l’indépendance, au 15 janvier 1966, jour où un Ibo, le général de division Ironsi, prit le pouvoir à la faveur d’un putsch. Le 24 mai 1966, le chef de l’Etat annonçait son intention de remplacer la structure fédérale existante par une organisation centralisée ». Quelle fut la suite ? Exactions des Nordistes à l’encontre des Ibo vivant dans cette partie du pays; rébellion des officiers du Nord contre le pouvoir central; enlèvement et assassinat d’Ironsi; apparition d’un Yoruba de l’Ouest, le chef d’Etat-major Gowon, à la tête des insurgés; tentative de sécession du Nord sous la conduite de Gowon puis prise du pouvoir central par ce dernier; migration forcée et massive des Ibo vivant au Nord vers leur région d’origine; expulsions des Nordistes de l’Est du pays; déclaration de l’indépendance du Biafra le 30 mai 1967 par Ojuku; guerre civile; misère... et j’en passe. Et ce drame se répète aujourd’hui.

On peut illustrer ce propos par un exemple actuel. La Constitution d’août 1995 a instauré la République fédérale démocratique d’Éthiopie, avec des entités fédérales recoupant presque les divisions ethniques. Mais au sommet du gouvernement central, des membres de l’ethnie du Premier Ministre Meles Zenawi, qui s’accroche au pouvoir depuis le 23 août 1995, s’arrogent la part du lion. Cette domination justifie les deux rebellions en cours, celle du Front de libération Oromo (FLO) et du Front national de libération de l’Ogaden (FNLO). Ce qu’il convient de retenir et que la pratique du pouvoir a abondamment démontré des indépendances à nos jours, c’est que l’unitarisme ou le fédéralisme, dans le cadre d’une démocratie à l’occidentale, ne règle aucun problème en Afrique, car l’un ou l’autre système ne peut nullement empêcher que des membres d’une même ethnie ou groupe sociétal transforment le pouvoir central en zone de non-droit, à travers le phénomène du national-tribalisme. Dans ce cas, la périphérie n’aura le choix qu’entre la rébellion ou la soumission à l’hégémonie de l’ethnie ou du groupe sociétal du détenteur de l’imperium. Les concepteurs du projet constitutionnel de la IIIè République élaboré à la CNS semblent en avoir été conscients. Aussi celui-ci contenait-il une disposition superflue, l’article 4, qui
«précise clairement que la souveraineté de la République fédérale appartient au peuple zaïrois et qu’aucune fraction du peuple ne peut s’en attribuer l’exercice». Un tel article dans une Constitution relève de notre incapacité à concevoir un modèle politique qui empêcherait que l’Etat ne devienne la propriété d’une poignée d’individus issus d’une même coterie tribale, ethnique ou régionale.

Tout compte fait, dans le cadre de la démocratie à l’occidentale, la controverse entre unitaristes et fédéralistes, hier comme aujourd’hui, ne présente aucun intérêt parce qu’aucune de ces deux formules ne résout le problème posé par l’Etat en Afrique. Par contre, la démocratie participative, consensuelle ou consociétale africanise l’Etat au point de le mettre au service de l’unité (réelle), laquelle passe nécessairement par la reconnaissance et le respect de la diversité, élevée au rang d’institution politique. Seul ce type de démocratie peut résoudre l’épineux et universel problème dans lequel continue de s’embourber l’Afrique, celui de l’éternelle tentation d’un petit groupe d’individus d’imposer leur loi sur l’écrasante majorité silencieuse de chaque Etat. Cette formule démocratique, fruit de notre imagination, donne naissance à un Etat centralisé ou décentralisé avec des caractéristiques fédérales subsidiaires, dans la formation des corps constitués de l’Etat. We have to think out of the box if we really want to move our country forward.
Author: Nkwa Ngolo Zonso         
Source:  Congoindépendant 2003-2012, 5 Mai 2012 

No comments:

Post a Comment