Friday, May 11, 2012

RDC/KIVU: DE NOUVEAU MASISI A FEU ET A SANG !

Plusieurs milliers de familles se déplacent depuis le dimanche 29 avril et se dirigent vers Minova au Sud-Kivu, Kirotche, Sake, Mugunga et Goma au Nord-Kivu tandis que d’autres traversent la frontière pour se réfugier au Rwanda voisin.

Femmes, enfants, vieillards et quelques jeunes transportant matelas, casseroles, assiettes et valises sur la tête et d’autres tirant des chèvres derrière eux sont au deuxième jour de voyage à pied : « Nous avons fui depuis hier à 10 heures les affrontements à Mushaki entre les militaires des FARDC qui se battent entre eux-mêmes, les deux fronts sont constitués en majorité par des militaires Tutsi de l’ancienne rébellion du CNDP, nous avons passé la nuit dans une église à Sake et ce matin, c’est la MONUSCO qui a commencé à tirer dans les montagnes vers 5heures, nous avons eu peur voilà pourquoi nous fouillons vers Goma… »

Des camions de marque FUSO, des mini- bus et des motos faisaient des tours pour transporter d’autres familles qui étaient en mesure de payer les frais de transport. Un transporteur trouvé à Sake explique : « C’est depuis hier dimanche dans l’après- midi que nous avons été envahis par des familles en provenance des collines de Mushaki, Malehe, Luhonga, Kingi, Murambi, Kimoka et Karuba, nous les avons transportés jusqu’à Goma et curieusement ils viennent toujours nombreux, depuis le matin de ce lundi je viens d’effectuer 5 tours sur Goma et nous avons doublé les frais de transport de 700 à 1500 FC… »

La population en fuite est constituée en grande partie des familles tutsi qui vivaient dans les pâturages sur les collines qui surplombent la cité de Sake. Un jeune tutsi en provenance de Mushaki indique : « Ce sont les militaires proches du colonel Innocent Gahizi qui sont partis attaquer hier matin nos frères qui sont solidaires avec le général Bosco Naganda, curieusement dans la soirée une contre- attaque sérieuse a délogé les militaires loyalistes qui ont été sérieusement tués, j’ai vu plusieurs cadavres des tutsi quand je prenais fuite vers Sake, maintenant je ne comprends plus comment des frères peuvent s’entretuer jusqu’à ce niveau… »

Pendant ce temps, toutes les activités sont paralysées à Sake, une grande partie des habitants de cette cité s’est retranchée vers Mubambiro aux alentours de la position de la MONUSCO, d’autres se sont dirigés vers Goma. Le chef de groupement de Kamuronza, Bauma Bitsibu est présent dans la cité et reçoit toutes les délégations des ONGS nationales et internationales qui viennent s’enquérir de la situation humanitaire : « Ma population a fui parce que la MONUSCO a commencé à bombarder dans les collines, elle ne veut pas que les insurgés prennent la cité de Sake pour ne pas paniquer la ville de Goma, tous les déplacés qui sont venus hier soir ont pris la destination de Goma depuis ce matin à 4 heures et puis ici à Sake, il n’y a aucune disposition pour accueillir les déplacés. Ce sont nos militaires commandos venus de Kindu qui on commencé à paniquer ma population, ils ont été les premiers à fuir le front militaire, c’est ce matin que nous voyons revenir aussi les militaires tutsi, ils sont apparemment très abattus et fatigués… »

Les militaires tutsis et d’autres venus de Kindu sont très nombreux dans la cité, des barrières contrôlées par des militaires sont érigées sur les routes qui mènent vers Kitchanga et vers Mushaki, d’autres militaires reviennent très essoufflés et sont regroupés par force par les colonels Smith Gihanga et Innocent Gahizi, plus tard c’est le cortège du général Amisi alias Tango 4 qui fait irruption à Sake pour remonter le moral des militaires qui avaient perdu la bataille à Mushaki et à Kingi.

Selon la radio Okapi captée le 02 mai à Sake, les localités de Rushoga, Karuba, Mushaki, Kirolirwé, Kitchanga et Bwiza étaient sous contrôle des militaires insurgés fidèles à Bosco Ntaganda.

Un déploiement significatif des hélicoptères, des chars de combats et des casques bleus de la MONUSCO étaient impressionnant, c’est ce qui rassurait quelques habitants et les autorités provinciales demandaient à la population de Goma de ne pas paniquer parce que Sake était selon elles « sous haute surveillance ».

D’un insurgé à un autre, qui joue la carte ?

Depuis 2002 le vocable insurgé a commencé dans la région, c’était au moment de la réunification du pays après les différentes rébellions qui ont débouché au gouvernement de transition issu des accords de Sun City. Le général Laurent Nkunda s’insurge contre l’armée régulière et fait alliance avec le colonel Mutebusi pour chasser le général MBUZA MABE de la ville de Bukavu au Sud-Kivu pour sauver les Tutsi menacés d’extermination par le général gouvernemental.

Sur ordre de la MONUC, Laurent Nkunda se replie dans les collines de Masisi au Nord-Kivu, le colonel Mutebusi traverse la frontière avec tous les Tutsi menacés de mort et se réfugient au Rwanda.

Des hauts plateaux de Masisi, le général insurgé Laurent NKUNDA crée le Congrès national pour la défense du peuple « CNDP » avec un cahier de charge bien fourni pour le rapatriement et la protection des familles tutsi qui vivent à l’extérieur de la RDC.

Le mouvement a évolué jusqu’aux élections de 2006 et après la mise sur pied du gouvernement issu des élections, une première tentative de gérer la crise va regrouper autour d’une même table tous les groupes armés, y compris les insurgés avec toutes les tendances politiques et de la Société civile du Nord et du Sud Kivu à Goma en janvier 2008. La rencontre s’intitulait ; ‘’ La conférence sur la paix, la sécurité et le développent du Nord et du Sud- Kivu ‘’. La conférence avait accouché d’un acte d’engagement dont les closes n’ont pas été respectées. Laurent Nkunda décide alors de continuer la lutte et occupe une grande partie des territoires de Masisi et de Rutshuru. Le gouvernement de Kinshasa décide de nouveau de renégocier directement avec le CNDP avec cette fois-ci la médiation de Olusegun Obasanjo, ancien président Nigérian jusqu’à la signature des accords de Nairobi en novembre 2007.

Subitement en mars 2009, Laurent Nkunda est arrêté à la suite d’un rapprochement entre Kinshasa et Kigali qui a surpris tout le monde. La confiance est désormais placée en Bosco Ntaganda, alors chef d’état major du CNDP. D’autres accords sont de nouveau signés entre les groupes armés et le gouvernement congolais et qui n’ont jamais été honorés jusqu’à ce jour. Il s’agit par exemple de l’amnistie dont la loi devait être promulguée couvrant la période allant de juin 2003 à la date de sa promulgation, du retour des réfugiés et des déplacés internes dont le processus a connu beaucoup de failles, de l’administration du territoire qui devait tenir compte d’un modèle de découpage du territoire national pour une prise en compte possible des réalités sociologiques du pays, de la reforme de l’armée et des services de sécurité qui devait constituer une priorité de cet accord, etc.

Bosco Ntaganda était déjà recherché par la Cour pénale internationale mais au nom de la paix, il est protégé par les autorités congolaises qui lui confient les responsabilités de commandant adjoint des opérations AMANI LEO.

Avec la pression de la communauté internationale, le président Joseph Kabila ne sait plus le protéger et pour s’en débarrasser, il divise les anciens militaires CNDP et place sa nouvelle confiance au colonel Innocent Gahizi nommé commandant des opérations militaires au Nord-Kivu. Le 11 avril 2012, il suspend les opérations AMANI LEO au Nord et au Sud-Kivu sans aucune mesure d’encadrement de sa décision.

Bosco Ntaganda est désormais considéré comme un insurgé, il se replie aussi dans les collines de Masisi avec tous les officiers et militaires ex CNDP qui lui sont restés fidèles et c’est le début des affrontements militaires qui endeuillent plusieurs familles dont celles des tutsi dont les enfants se battent des deux côtés de la ligne de front, pour le général insurgé Bosco Ntaganda ou pour le colonel Innocent Gahizi fidèle à Joseph Kabila.

Un nouveau positionnement des communautés

Une grande partie des déplacés particulièrement ceux de l’ethnie tutsi s’est réfugiée au Rwanda, tandis que ceux d’autres communautés, à savoir les Hundé, Tembo, Hutu et Havu se sont rendus certains dans les familles d’accueil à Goma, Bweremana et Minova et d’autres sont cantonnés dans le camp de déplacés de Mugunga.

Ce nouveau départ massif des Tutsi vers le Rwanda risque de constituer encore une fois une friction dans la région d’autant plus que le processus de rapatriement des réfugiés congolais vivant au Rwanda n’avait pas encore abouti malgré l’implication du HCR, de l’UNHABITAT, de la MONUSCO, du Gouvernement congolais et plusieurs autres organisations nationales et internationales impliqués dans la pacification de la région.

Les ethnies hostiles aux tutsi vont une fois de plus profiter de cette situation qui risque de replonger la province dans un bain de sang.

Déjà dans le Walikale, la présence des Maimai Cheka et les ‘’Guides’’, celle de l’APCLS de Janvier dans le Masisi et les ‘’NYATURA’’ dans une partie de Kalehe au Sud-Kivu et dans le Masisi sont des exemples éloquents.

Cependant le Baraza la Wazee du Nord-Kivu a commencé à prendre des précautions pour éviter le pire. Les recommandations ressorties de son Assemblée générale du 1er mai 2012 à Goma, invitent toutes les communautés du Nord-Kivu à ne pas s’agiter afin de faciliter la cohabitation des uns et des autres et demandent aux autorités congolaises de freiner rapidement le feu qui vient de s’allumer au Nord-Kivu.

Les problèmes que traverse actuellement l’est de la RDC sont la conséquence du non respect des accords signés entre le gouvernement et les groupes armés depuis la conférence de Goma.

Le président du parti politique CNDP, Edouard Mwangachuchu qui s’indigne des combats meurtriers entre les enfants d’une même famille sollicite la souplesse du gouvernement congolais pour réconcilier les militaires insurgés et les loyalistes mais le Gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku estime que trop c’est trop, que Bosco Ntaganda doit être arrêté avec ses acolytes et jugé par la justice militaire.

Cependant Bosco Ntaganda vient de démontrer qu’on ne peut pas le cueillir facilement, il faudra du temps et beaucoup de tact pour mettre la main sur lui. En attendant, ce sont les populations locales qui en pâtissent.

Author: Primo-Pascal RUDAHIGWA

Source: Pole Institute, Mai 2011

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