Archétype de despote prédateur et de roi fainéant, qui a laissé son pays dans une désolation sans pareille, Mobutu Sese Seko fut baptisé « Guide éclairé ». Aventurier dont la politique anachronique a entraîné la plus grande catastrophe humaine depuis la Deuxième Guerre Mondiale, avec plus de six millions de victimes, Laurent-Désiré Kabila fut qualifié de « Mzee » ou « Sage ». Ancien chauffeur de taxi et criminel notoire porté à la présidence de la république par des milieux politico-maffieux anglo-saxons soucieux d’éviter au Rwanda une revanche méritée pour ses nombreux crimes contre le Congo, en l’absence de justice, Joseph Kabila, véritable brute sanguinaire, est appelé « Raïs », titre de plusieurs dignitaires de l’empire ottoman aujourd’hui titre de leader politique « éclairé » dans le monde musulman. Le comportement politique abâtardissant ci-dessus, qui nourrit notre peuple de mythes afin qu’il ne puisse regarder la réalité bien en face, ne se retrouve pas seulement au sein de la caste enchanteresse des hommes du pouvoir. Elle se rencontre également parmi ceux qui se collent pourtant l’étiquette de redresseurs de tort, c’est-à-dire les « opposants acquis au changement ». Preuve, s’il en faut, que les hommes politiques congolais partagent la même culture et que partant, il y a peu d’espoir d’un changement significatif à court et moyen termes. Donnons un exemple et passons-le au peigne fin. Moïse-Sauveur ! Qui n’a jamais entendu ce titre ronflant sous le ciel congolais ? Président du Rassemblement des Démocrates pour la Rupture et le Renouveau (Rader), l’un des ses innombrables partis dont le rayonnement se limite à la sphère familiale de leurs fondateurs, le professeur Auguste Mampuya martèle en ces termes son adhésion à la « Dynamique Tshisekedi Président » : « C’est lui [Tshisekedi] qui a ouvert la voie à la démocratisation du pays ». (Lire dans les Archives de CIC, « Elections 2011 : naissance de la Dynamique Tshisekedi Président).
L’Histoire nous apprend pourtant que la lutte de l’Afrique noire pour la démocratie a commencé au lendemain de l’instauration des partis uniques et des dictatures. Au Congo, elle a même précédé la naissance du parti unique, car elle a débuté une année après l’indépendance quand des Congolais s’aperçurent que leur souveraineté n’était qu’un leurre. Pendant des décennies, plusieurs africains vont laisser leurs peaux dans ce combat pour la dignité. Dans le contexte de la guerre froide, les combattants africains de la liberté luttaient contre plus forts qu’eux : les puissances occidentales sans lesquelles aucune dictature ne pouvait se pérenniser. Qu’est-ce qui a alors changé la donne au point qu’à l’instar des mouvements pour l’indépendance, toute l’Afrique noire se soit lancée presqu’au même moment dans des processus de démocratisation ?
« Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure. Voilà le schéma dont nous disposons ». Ainsi parla (Dieu) François Mitterrand au sommet de La Baule le 20 juin 1990, avant d’ajouter, diplomatie oblige : « A vous de déterminer, vous peuples libres, vous Etats souverains que je respecte, à vous de choisir votre voie, d’en déterminer les étapes et l’allure ».
Le discours de François Mitterrand à La Baule avait été applaudi des deux mains à travers toute l’Afrique noire. Qu’avions-nous applaudi au juste ? Un chef d’Etat respectable, soucieux de justice et de liberté à travers le monde ou un jongleur ? A La Baule, François Mitterrand n’avait pas agi par humanisme. Il avait agi par pur opportunisme. Car il n’avait fait qu’ajuster la politique française au mouvement que la roue de l’Histoire était en train d’effectuer en URSS. En effet, les efforts pour masquer le déclin de l’économie soviétique ne pouvant plus tenir longtemps, Gorbatchev avait engagé des réformes dès 1985. La société soviétique était malade. Le mal, pensait son chef, était économique. Le remède était une modernisation par l’accélération du développement économique et le self-management. Dès le départ, il n’était donc pas question d’envisager des réformes institutionnelles. Mais déjà en 1986, un accent fut placé sur la notion de « perestroïka » comme changement total. Le parti communiste était invité à sortir de sa léthargie et à secouer la corruption qui, jusque-là, l’empêchait de jouer son rôle dirigeant dans le développement de l’Union. Les réformes économiques étaient conçues dans le même temps comme un instrument devant accroître le pouvoir et la stabilité du parti communiste, parti unique.
A la fin de 1987, il devenait de plus en plus évident que les appels lancés au parti en vue de changer de comportement ne suffiraient pas pour donner leur chance aux réformes économiques. C’est ainsi qu’au début de 1988, les réformes politiques commencèrent à prendre forme. Les appels au changement de comportement furent renforcés par de nouveaux concepts politiques destinés à forcer les cadres du parti à abandonner leurs vieilles méthodes de travail. C’est ainsi que fut instaurée la liberté d’opinion, mais dans les limites du socialisme, pour lutter contre le dogmatisme du parti unique. La notion de respect de la loi fut également de plus en plus soulignée pour lutter contre l’arbitraire et pour annoncer la naissance d’un Etat de droit.
La démarche de Gorbatchev était périlleuse. Le système soviétique reposait sur ce que Jacques Nagels nomme les « trois M » : le monopole du pouvoir où le parti était plénipotentiaire, le monopole de la propriété des moyens de production et le monopole idéologique. Réformer l’économie socialiste, c’était introduire « des éléments anti-systémiques, que le système ne pouvait pas assimiler sans s’affaiblir de façon substantielle » (Lire Nagels dans « Du socialisme perverti au capitalisme sauvage », Bruxelles, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1991). La contradiction était en effet profonde entre le maintien du parti unique et les réformes économiques envisagées. D’un côté, Gorbatchev s’attendait à ce que le parti se réforme et l’appuie dans ses réformes. De l’autre, le parti tenait à maintenir certains de ses pouvoirs sur l’orientation générale de la politique du pays. Personne ne pouvait donc gouverner efficacement. C’est pourquoi Gorbatchev, qui avait compris que ses appels au changement resteraient stériles, s’était lancé dans des réformes politiques en 1990, en isolant davantage le parti. Ce qui conduisit au coup d’Etat manqué d’août 1991 qui précipita le changement institutionnel, tournant ainsi la roue de l’Histoire. C’était la fin de l’URSS. C’était aussi le début de la fin de la guerre froide (Lire Neil Robonson, « Gorbatchev and the place of the party in soviet reform 1985-1991 », in « Soviet Studies », Vol. 44, n° 3, 1992).
Sans la fin de la guerre froide, le discours de La Baule n’aurait pas eu lieu. Les partis aussi uniques qu’iniques et leurs « Guides éclairés » auraient encore de beaux jours devant eux et continueraient à mépriser, brutaliser et assassiner les Africains qui depuis 1es indépendances militaient en faveur d’une société à visage humain dans leurs pays respectifs. Faut-il condamner François Mitterrand pour son opportunisme ? Non. En décrétant qu’il était temps que les Africains goûtent aux joies de la liberté, François Mitterrand avait agi en chef d’Etat soucieux de l’intérêt de son pays. En effet, son objectif était d’éviter que l’influence de la France ne soit emportée par le vent de l’Est en même temps que les dictateurs qu’elle avait soutenus tout au long de la guerre froide. Ceci nous rappelle l’opportunisme des Eglises chrétiennes peu avant les indépendances africaines. Après avoir cheminé la main dans la main avec le pouvoir politique tout au long de la période coloniale, ces églises avaient pris leurs distances pour la même raison aussitôt qu’elles s’étaient rendues compte que les mouvements pour l’émancipation africaine étaient irréversibles. Notons d’ailleurs que l’opportunisme français n’avait visé que le maillon faible : l’Afrique noire. Au Maghreb, où les puissances occidentales faisaient face à ce qu’elles considéraient comme un « péril » pour leur domination sur le monde, l’islamisme radical, le soutien aux dictateurs n’avait nullement faibli. Dans cette partie d’Afrique, les peuples n’ont pas eu droit à un Gorbatchev américain ou européen, ce qui discrédite les Occidentaux donneurs de leçons de démocratie et du respect des droits de l’homme. Les peuples du Maghreb n’ont même pas attendu des « Libérateurs » ou autres « Moise-Sauveurs ». Ils se sont tout simplement soulevés et continuent à se soulever afin de briser seuls leurs chaînes, suscitant l’admiration et une certaine pointe de jalousie de leurs compagnons d’infortune d’Afrique noire.
On l’aura compris, quelque soit la noblesse ou la grandeur de sa lutte, aucun opposant africain ne peut se targuer d’être à l’origine du processus de démocratisation dans son pays. Soutenir cela ne signifie nullement militer en faveur du fou qui nous gouverne actuellement au Congo, par exemple. C’est remettre les pendules à l’heure pour que la nation ne fabrique plus jamais un autre fou, car c’est bien l’obséquiosité des citoyens envers le prince du moment qui transforme celui-ci en bourreau de son propre peuple. Une telle obséquiosité est d’autant plus condamnable quand elle vient d’un professeur d’université (Auguste Mampuya dans notre cas) qui est censé enseigner la vérité historique et non des mythes. Le devoir du libre penseur est de démystifier les mythes d’où qu’ils viennent, car les mythes sont une nuisance pour notre aspiration légitime à la dignité. Par ailleurs, partout où il y a de la dictature, les peuples doivent se montrer plus critiques voire sévères envers ceux qui ont la possibilité de la déboulonner afin d’éviter tout retour à la case départ. Le Congo n’est-il pas tombé dans les mains d’un dictateur à l’autre depuis la fuite de Mobutu ? Que d’espoir n’ont-ils pas suscité avant de laisser tomber leurs masques ?
L’Histoire nous apprend pourtant que la lutte de l’Afrique noire pour la démocratie a commencé au lendemain de l’instauration des partis uniques et des dictatures. Au Congo, elle a même précédé la naissance du parti unique, car elle a débuté une année après l’indépendance quand des Congolais s’aperçurent que leur souveraineté n’était qu’un leurre. Pendant des décennies, plusieurs africains vont laisser leurs peaux dans ce combat pour la dignité. Dans le contexte de la guerre froide, les combattants africains de la liberté luttaient contre plus forts qu’eux : les puissances occidentales sans lesquelles aucune dictature ne pouvait se pérenniser. Qu’est-ce qui a alors changé la donne au point qu’à l’instar des mouvements pour l’indépendance, toute l’Afrique noire se soit lancée presqu’au même moment dans des processus de démocratisation ?
« Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure. Voilà le schéma dont nous disposons ». Ainsi parla (Dieu) François Mitterrand au sommet de La Baule le 20 juin 1990, avant d’ajouter, diplomatie oblige : « A vous de déterminer, vous peuples libres, vous Etats souverains que je respecte, à vous de choisir votre voie, d’en déterminer les étapes et l’allure ».
Le discours de François Mitterrand à La Baule avait été applaudi des deux mains à travers toute l’Afrique noire. Qu’avions-nous applaudi au juste ? Un chef d’Etat respectable, soucieux de justice et de liberté à travers le monde ou un jongleur ? A La Baule, François Mitterrand n’avait pas agi par humanisme. Il avait agi par pur opportunisme. Car il n’avait fait qu’ajuster la politique française au mouvement que la roue de l’Histoire était en train d’effectuer en URSS. En effet, les efforts pour masquer le déclin de l’économie soviétique ne pouvant plus tenir longtemps, Gorbatchev avait engagé des réformes dès 1985. La société soviétique était malade. Le mal, pensait son chef, était économique. Le remède était une modernisation par l’accélération du développement économique et le self-management. Dès le départ, il n’était donc pas question d’envisager des réformes institutionnelles. Mais déjà en 1986, un accent fut placé sur la notion de « perestroïka » comme changement total. Le parti communiste était invité à sortir de sa léthargie et à secouer la corruption qui, jusque-là, l’empêchait de jouer son rôle dirigeant dans le développement de l’Union. Les réformes économiques étaient conçues dans le même temps comme un instrument devant accroître le pouvoir et la stabilité du parti communiste, parti unique.
A la fin de 1987, il devenait de plus en plus évident que les appels lancés au parti en vue de changer de comportement ne suffiraient pas pour donner leur chance aux réformes économiques. C’est ainsi qu’au début de 1988, les réformes politiques commencèrent à prendre forme. Les appels au changement de comportement furent renforcés par de nouveaux concepts politiques destinés à forcer les cadres du parti à abandonner leurs vieilles méthodes de travail. C’est ainsi que fut instaurée la liberté d’opinion, mais dans les limites du socialisme, pour lutter contre le dogmatisme du parti unique. La notion de respect de la loi fut également de plus en plus soulignée pour lutter contre l’arbitraire et pour annoncer la naissance d’un Etat de droit.
La démarche de Gorbatchev était périlleuse. Le système soviétique reposait sur ce que Jacques Nagels nomme les « trois M » : le monopole du pouvoir où le parti était plénipotentiaire, le monopole de la propriété des moyens de production et le monopole idéologique. Réformer l’économie socialiste, c’était introduire « des éléments anti-systémiques, que le système ne pouvait pas assimiler sans s’affaiblir de façon substantielle » (Lire Nagels dans « Du socialisme perverti au capitalisme sauvage », Bruxelles, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1991). La contradiction était en effet profonde entre le maintien du parti unique et les réformes économiques envisagées. D’un côté, Gorbatchev s’attendait à ce que le parti se réforme et l’appuie dans ses réformes. De l’autre, le parti tenait à maintenir certains de ses pouvoirs sur l’orientation générale de la politique du pays. Personne ne pouvait donc gouverner efficacement. C’est pourquoi Gorbatchev, qui avait compris que ses appels au changement resteraient stériles, s’était lancé dans des réformes politiques en 1990, en isolant davantage le parti. Ce qui conduisit au coup d’Etat manqué d’août 1991 qui précipita le changement institutionnel, tournant ainsi la roue de l’Histoire. C’était la fin de l’URSS. C’était aussi le début de la fin de la guerre froide (Lire Neil Robonson, « Gorbatchev and the place of the party in soviet reform 1985-1991 », in « Soviet Studies », Vol. 44, n° 3, 1992).
Sans la fin de la guerre froide, le discours de La Baule n’aurait pas eu lieu. Les partis aussi uniques qu’iniques et leurs « Guides éclairés » auraient encore de beaux jours devant eux et continueraient à mépriser, brutaliser et assassiner les Africains qui depuis 1es indépendances militaient en faveur d’une société à visage humain dans leurs pays respectifs. Faut-il condamner François Mitterrand pour son opportunisme ? Non. En décrétant qu’il était temps que les Africains goûtent aux joies de la liberté, François Mitterrand avait agi en chef d’Etat soucieux de l’intérêt de son pays. En effet, son objectif était d’éviter que l’influence de la France ne soit emportée par le vent de l’Est en même temps que les dictateurs qu’elle avait soutenus tout au long de la guerre froide. Ceci nous rappelle l’opportunisme des Eglises chrétiennes peu avant les indépendances africaines. Après avoir cheminé la main dans la main avec le pouvoir politique tout au long de la période coloniale, ces églises avaient pris leurs distances pour la même raison aussitôt qu’elles s’étaient rendues compte que les mouvements pour l’émancipation africaine étaient irréversibles. Notons d’ailleurs que l’opportunisme français n’avait visé que le maillon faible : l’Afrique noire. Au Maghreb, où les puissances occidentales faisaient face à ce qu’elles considéraient comme un « péril » pour leur domination sur le monde, l’islamisme radical, le soutien aux dictateurs n’avait nullement faibli. Dans cette partie d’Afrique, les peuples n’ont pas eu droit à un Gorbatchev américain ou européen, ce qui discrédite les Occidentaux donneurs de leçons de démocratie et du respect des droits de l’homme. Les peuples du Maghreb n’ont même pas attendu des « Libérateurs » ou autres « Moise-Sauveurs ». Ils se sont tout simplement soulevés et continuent à se soulever afin de briser seuls leurs chaînes, suscitant l’admiration et une certaine pointe de jalousie de leurs compagnons d’infortune d’Afrique noire.
On l’aura compris, quelque soit la noblesse ou la grandeur de sa lutte, aucun opposant africain ne peut se targuer d’être à l’origine du processus de démocratisation dans son pays. Soutenir cela ne signifie nullement militer en faveur du fou qui nous gouverne actuellement au Congo, par exemple. C’est remettre les pendules à l’heure pour que la nation ne fabrique plus jamais un autre fou, car c’est bien l’obséquiosité des citoyens envers le prince du moment qui transforme celui-ci en bourreau de son propre peuple. Une telle obséquiosité est d’autant plus condamnable quand elle vient d’un professeur d’université (Auguste Mampuya dans notre cas) qui est censé enseigner la vérité historique et non des mythes. Le devoir du libre penseur est de démystifier les mythes d’où qu’ils viennent, car les mythes sont une nuisance pour notre aspiration légitime à la dignité. Par ailleurs, partout où il y a de la dictature, les peuples doivent se montrer plus critiques voire sévères envers ceux qui ont la possibilité de la déboulonner afin d’éviter tout retour à la case départ. Le Congo n’est-il pas tombé dans les mains d’un dictateur à l’autre depuis la fuite de Mobutu ? Que d’espoir n’ont-ils pas suscité avant de laisser tomber leurs masques ?
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
Source: Congoindépendant 2003-2011, du 23 Février 2011
Source: Congoindépendant 2003-2011, du 23 Février 2011
No comments:
Post a Comment