Monday, February 28, 2011

LIBYE: Washington évoque un possible exil de Kadhafi



Embargo sur les armes, gel des avoirs et interdiction de visa pour 25 proches, l'étau se resserre sur le régime de Kadhafi. Un "Conseil national indépendant" représentant les villes tombées aux mains des insurgés a été mis en place.

Depuis le 15 février, la Libye est le théâtre d'une contestation et de manifestations sans précédent contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis plus de 40 ans. Le point lundi 28 février.

Situation politique. Au 14e jour d'un soulèvement sans précédent, Mouammar Kadhafi et ses forces ne contrôlent plus que Tripoli et sa région alors que l'opposition, forte du contrôle de l'Est et de plusieurs villes de l'Ouest, se prépare à marcher sur la ville. Les dirigeants de la contestation ont mis en place un "Conseil national indépendant" représentant les villes tombées aux mains des insurgés. L'UE est en train "d'établir des contacts" avec les autorités de transition. De son côté, le colonel Kadhafi semblait rester indifférent à la pression de la rue, aux sanctions de l'ONU et aux appels des Occidentaux à son départ. La Libye est "complètement calme", a-t-il martelé dans des déclarations exclusives dimanche à la chaîne de télévision serbe Pink TV, accusant Al-Qaïda d'être à l'origine des "bandes terroristes" qui ont fait des victimes en Libye. Il n'y a qu'un "petit groupe" d'opposants "encerclé", "nous règlerons cela", a ajouté le numéro un libyen. "Personne ne va quitter ce pays", a assuré un de ses fils, Seïf Al-Islam, longtemps présenté comme son successeur probable.
Samedi, l'ancien ministre de la Justice Moustapha Abdeljalil, qui a démissionné lundi dernier, avait déclaré à la chaîne Al-Jazira qu'un gouvernement de transition serait formé pour diriger le pays avant des élections.
Le Guide s'était adressé vendredi à quelques milliers de ses partisans réunis sur la Place Verte dans la capitale. Du haut d'un bâtiment, juché à une dizaine de mètres de haut, il les a exhortés à "défendre la Libye": "Préparez-vous à défendre la Libye (...) Nous allons nous battre et nous les vaincrons. S'il le faut, nous ouvrirons tous les dépôts d'armes pour armer tout le peuple. Nous sommes prêts à faire face à toute offensive, je suis venu ici pour vous saluer et saluer votre courage, nous allons leur répondre. "Je ne suis ni président ni roi, je n'ai aucune fonction mais ce peuple m'aime. Regarde Europe, regardez Etats-Unis, le leader est au milieu du peuple. (...) Nous avons des chaînes satellitaires étrangères avec nous. Montrez-leur que nous aimons Mouammar Kadhafi.", a-t-il déclaré micro en main, avant de jeter des baisers avec les mains à la foule.

Sur le terrain. Des dépôts de munitions dans des zones sous le contrôle de la rébellion dans l'est du pays ont été visés lundi par des raids aériens des forces loyales. Le dirigeant libyen a assuré que la Libye était "complètement calme". Il n'y a "pas d'incidents en ce moment" dans le pays et il n'y a "rien d'inhabituel. Il n'y a pas de troubles", a-t-il poursuivi. Plusieurs villes de l'ouest de la Libye sont "aux mains du peuple" depuis plusieurs jours et "préparent une marche pour "libérer Tripoli, a affirmé dimanche à l'AFP un dignitaire membre du comité révolutionnaire de la ville de Nalout. "La ville est libérée depuis le 19 février, elle est gérée depuis par un comité révolutionnaire du 17 février désigné par les communautés de la ville", a déclaré à l'AFP Chaban Abu Sitta, un avocat de la ville.
"Les villes de al-Rhibat, Kabaw, Jado, Rogban, Zentan, Yefren, Kekla, Gherien, Hawamed sont également libérées depuis plusieurs jours. Dans toutes ces villes, les forces de Kadhafi sont parties et un comité révolutionnaire a été mis en place", a-t-il ajouté.
"Nous nous plaçons sous l'autorité du gouvernement intérimaire de Benghazi. Avec toutes les villes libérées de la montagne du Djebel Nafusa et celles qui se trouvent de l'autre côté de la montagne, nous préparons les forces pour marcher sur Tripoli et libérer la capitale du joug de Kadhafi", a-t-il encore déclaré.
Les manifestants anti-Kadhafi semblaient contrôler dimanche la ville de Zawiyah près de Tripoli où ils ont manifesté par milliers contre le régime lors d'une visite de presse organisée par les autorités.

Nombre de victimes. Le nombre de morts en Libye se compte par milliers et non par centaines, a affirmé vendredi l'ambassadeur adjoint de la mission libyenne à l'ONU, Ibrahim Dabbashi. Un total de 256 personnes ont été tuées et 2.000 blessées à Benghazi, dans l'est de la Libye, au cours de l'insurrection contre le régime du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, selon des médecins de cette ville cités dimanche par le Comité international de la Croix Rouge (CICR).
La haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Navi Pillay s'est inquiétée vendredi de l'intensification "alarmante" de la répression contre la révolte populaire en Libye qui a peut-être fait "des milliers de tués et blessés". La France considère que les violences perpétrées par le pouvoir en Libye "pourraient constituer des crimes contre l'Humanité" et que "la saisine de la justice internationale" doit être envisagée. La FIDH avance un bilan de 640 morts, dont 275 à Tripoli et 230 à Benghazi. Un médecin français, tout juste rentré de Benghazi, a estimé de son côté que les violences dans cette ville, la deuxième du pays, avaient fait "plus de 2.000 morts". La Libye a pour sa part annoncé un bilan de 300 morts dans les violences dans le pays.

Situation diplomatique. Un exil du dirigeant Mouammar Kadhafi est "une possibilité" pour mettre fin à la révolte sans précédent qui secoue la Libye, a estimé lundi le porte-parole de la Maison Blanche. L'Union européenne a adopté lundi un embargo sur les armes contre la Libye ainsi qu'un gel des avoirs et des interdictions de visa contre le colonel Mouammar Kadhafi et 25 proches, allant au-delà des sanctions décidées samedi à l'ONU, selon des diplomates européens. Elle réfléchit également à la possibilité de convoquer "en fin de semaine" un sommet extraordinaire de ses dirigeants sur la crise, suite à une demande en ce sens du président français Nicolas Sarkozy.
La situation est également au coeur des débats lors de l'ouverture de la session annuelle du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
Les Etats-Unis et ses alliés européens envisagent d'interdire tout survol de la Libye pour empêcher le massacre de civils par l'aviation libyenne fidèle au dictateur Mouammar Kadhafi, a indiqué dimanche soir le New York Times. Selon le quotidien, citant un haut responsable de l'administration américaine ayant requis l'anonymat, aucune décision n'a encore été prise. Le Premier ministre britannique David Cameron a déclaré dimanche qu'il était "temps de partir" pour le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ajoutant qu'il n'avait pas de rôle à jouer dans l'avenir de son pays. Les Etats-Unis sont "prêts" à fournir "toute forme d'aide" aux opposants au régime du colonel libyen Mouammar Kadhafi, a déclaré dimanche la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton.
Dans une résolution adoptée samedi à l'unanimité, le Conseil de sécurité a imposé des sanctions sévères au colonel Mouammar Kadhafi, à sa famille et à des proches du régime. Parmi ces sanctions adoptées par les quinze Etats membres, figurent notamment un embargo sur la vente d'armes et de matériels connexes à la Libye et une interdiction de voyager sur le sol des Etats membres concernant seize personnes, dont Mouammar Kadhafi, sept fils et sa fille et des personnes intimement liées au régime.
Par cette résolution, les membres du Conseil de sécurité considèrent que "les attaques systématiques" contre la population civile actuellement en cours "peuvent être assimilées à des crimes contre l'humanité". Le Conseil de sécurité a décidé de transférer au procureur à la Cour pénale internationale (CPI) "la situation en Libye depuis le 15 février" et demande aux autorités libyennes de "coopérer pleinement" avec le tribunal. Or, lundi, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a annoncé mener un examen préliminaire, préalable à une éventuelle enquête pour crimes contre l'humanité en Libye, à la suite d'une saisine du Conseil de sécurité des Nations unies. A noter que depuis l'entrée en fonction de la CPI en 2002, le Conseil de sécurité n'avait transféré qu'une seule affaire à la cour, comme le permet le texte fondateur de la CPI, le Statut de Rome. Le 31 mars 2005, l'ONU avait demandé à Luis Moreno-Ocampo d'enquêter sur les violences commises au Darfour. La juridiction de la CPI peut en effet s'étendre à un Etat qui n'est pas partie prenante du statut, comme la Libye, si le Conseil de sécurité l'en charge. La CPI est le premier tribunal permanent chargé de poursuivre des auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocides commis depuis 2002.
Paris a suspendu samedi les activités de son ambassade à Tripoli après l'évacuation de la totalité de son personnel diplomatique via un avion militaire qui a également rapatrié des ressortissants français et étrangers.

Evacuation des ressortissants. La communauté internationale craint une catastrophe humanitaire avec l'exode de dizaines de milliers de personnes. De nombreux pays ont accéléré l'évacuation par air, mer et terre de leurs ressortissants, permettant à des milliers d'entre eux de quitter le pays. Pékin a annoncé lundi avoir déjà évacué près de 29.000 de ses ressortissants travaillant en Libye, soit la grande majorité d'entre eux, grâce à une importante opération navale, terrestre et aérienne louée par les médias officiels.
Le HCR recensait déjà près de 100.000 personnes, des travailleurs égyptiens et tunisiens principalement, aux frontières avec la Tunisie et l'Egypte, une situation qualifiée de "crise humanitaire". Plus de 10.000 personnes, en majorité des Egyptiens, ont fui samedi la Libye vers la Tunisie par le principal point de passage frontalier de Ras Jedir, a indiqué le Croissant-Rouge local qui parle d'une "crise humanitaire" et appelle à l'aide. Plus d'un millier d'étrangers ont également transité par le sud-est de l'Algérie, au poste frontalier de Debdeb.

Situation humanitaire. Le Premier ministre François Fillon a annoncé lundi matin que deux avions français allaient partir "dans quelques heures" pour Benghazi, ville de l'est de la Libye aux mains des opposants au colonel Kadhafi, évoquant le début d'une opération humanitaire "massive". Le Programme alimentaire mondial de l'ONU a averti vendredi que la chaîne d'approvisionnement en nourriture en Libye ""était en danger de s'effondrer".

Gel des avoirs. L'Allemagne a proposé à ses partenaires de geler tout paiement à la Libye pendant 60 jours afin de priver le régime des moyens "d'opprimer son peuple", a déclaré lundi à Genève Guido Westerwelle, le ministre allemand des Affaires étrangères. L'Australie a ouvert une enquête sur des fonds que la famille du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi aurait transférés dans le pays. La Grande-Bretagne et le Canada ont décrété un gel des avoirs de Kadhafi et de sa famille. La France a appelé samedi les opérateurs financiers à signaler tout mouvement suspect autour des avoirs du dirigeant et de ses proches. Le Parquet de Paris a ouvert une enquête, suite au dépôt d'une plainte par deux organisations non gouvernementales (ONG), Sherpa et Transparency International France, pour identifier les avoirs en France du leader libyen et de sa famille. Seif Al-Islam a assuré dimanche dans un entretien télévisé que sa famille était "très modeste" et n'avait pas d'argent à l'étranger, alors que le Conseil de sécurité de l'ONU a imposé un gel des avoirs financiers du clan Kadhafi. La Suisse a décidé jeudi "avec effet immédiat" de bloquer les avoirs que pourraient détenir dans la Confédération le colonel libyen Mouammar Kadhafi et son entourage.

(Challenges.fr)

Monde 28.02.2011 | 17:05


Source:  Challenges, du 28/02/2011

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