Monday, April 4, 2011

COTE D'IVOIRE: Abidjan redoute un assaut encore plus meurtrier

Abidjan, envoyé spécial - Ce n'est qu'un répit, un calme trompeur pendant lequel les deux camps, en Côte d'Ivoire, bouclent en toute hâte les préparatifs d'une nouvelle phase de combats qui promet de gagner en violence. Rien ne devrait empêcher l'escalade. Entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, "il n'y a plus de place pour la diplomatie", constate, anéantie, une source impliquée dans les ultimes tentatives de négociation entre les deux ex-rivaux de l'élection présidentielle de novembre 2010.

Abidjan est entrée dans la guerre, et en découvre les lois. Car une absence de victoire d'un camp ou de l'autre n'augure rien de bon. Après les premiers jours d'affrontement, la résistance des troupes de Laurent Gbagbo, les Forces de défense et de sécurité (FDS), a brisé l'élan des forces d'Alassane Ouattara, les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI).

Dans le camp de ce dernier, on avait parié sur "l'effondrement" des forces de Laurent Gbagbo, calculé que le ralliement aux FRCI d'une partie des forces armées sous la bannière du vainqueur de l'élection présidentielle reconnu internationalement serait suffisant pour emporter Abidjan.

Or, malgré son isolement, malgré les mesures prises pour étouffer économiquement la moitié sud du pays, sous son contrôle, Laurent Gbagbo a organisé une résistance efficace dans la capitale économique. Ses forces ont attendu de pied ferme celles d'Alassane Ouattara, qui avaient traversé la Côte d'Ivoire lors d'une offensive éclair sans rencontrer de résistance sérieuse.

UN ÉLÉMENT CRUCIAL : LES DEUX PONTS QUI ENJAMBENT LA LAGUNE

Lundi matin 4 avril, une partie des FRCI se trouvait toujours aux abords d'Abidjan, vers le "corridor nord" . Ils réorganisaient leur dispositif d'attaque, et recevaient renforts et matériel avant de reprendre l'attaque. Parallèlement, des groupes FRCI arrivés dans la capitale économique par la côte, à l'est, progressaient à travers le sud de la ville et continuaient d'étendre leur influence dans les quartiers de Koumassi et Marcory, notamment.

Au total se dessinait une tentative de prise en tenaille d'Abidjan et des quartiers tenus par les pro-Gbagbo. Cela avait marché à Yamoussoukro, notamment, la capitale politique, enserrée par des colonnes FRCI sur plusieurs axes, avec une porte de sortie ménagée afin de laisser fuir le plus gros des forces ennemies.

En attendant de savoir si la manœuvre peut être reproduite à Abidjan avant qu'elle ne sombre dans le chaos total, la ville reprend son souffle.

Dimanche, dans le quartier central du Plateau, tenu par les forces pro-Gbagbo, des positions militaires ont été installées ou renforcées. Depuis le début de l'accalmie, la veille, des patriotes sont amenés pour y constituer un bouclier humain, qui évolue entre les ponts et la présidence toute proche. Les FRCI ont échoué à prendre pied dans ce dédale de tours et d'immeubles, qui abrite la présidence et domine un élément crucial de la capitale économique : les deux ponts qui enjambent la lagune et font le lien entre le nord et le sud d'Abidjan.

Les Forces de défense et de sécurité (FDS) pro-Gbagbo contrôlent à présent toute l'étendue de ce quartier. Des tireurs ont été installés sur des toits, dans des immeubles. Depuis leurs positions sur le boulevard qui longe la lagune, les soldats pro-Gbagbo tiennent les ponts en joue. Les passer implique d'essuyer immédiatement leur feu, comme a pu l'expérimenter un blindé des Nations unies qui tentait, vaille que vaille, de traverser la lagune depuis Treichville, au sud, pour se rendre vers le nord, où se trouve le quartier général de l'Onuci, la mission de l'ONU, dans le quartier voisin d'Attécoubé. Il a dû rebrousser chemin, humilié.

EN TROIS JOURS, ABIDJAN A BASCULÉ DANS LA GUERRE

Lundi matin, les forces françaises de l'opération Licorne ne pouvaient emprunter les ponts sans risquer un affrontement ouvert avec les FDS.

Dans tout le nord de la ville, les Français et les étrangers qui appelaient le standard saturé du camp militaire, au sud, réclamant la protection de Licorne, se voyaient conseillés de patienter. Dans l'immédiat, pas un véhicule de Licorne n'était en mesure d'arriver jusqu'à eux.

Depuis dimanche, cependant, l'intensité des tirs à sérieusement diminué à l'échelle de la ville. Au fil des quartiers, les habitants d'Abidjan ont donc tenté de timides sorties. Ce qui, désormais, rend certaines rues de la capitale économique de la Côte d'Ivoire dangereuses, dans cet intervalle, ce sont moins les combats que ceux qui les ont menés, ou en ont profité.

Il est difficile de mesurer rigoureusement le temps nécessaire pour qu'une grande ville bascule dans la guerre avec ses habitants, au point de voir toutes ses habitudes transformées. Abidjan, au terme de trois jours seulement de combats, est entrée dans cette phase.

"J'AI RETROUVÉ LA CÔTE D'IVOIRE QUE J'AIME"

Les FRCI n'ont pas pris le grand camp militaire d'Agban. Ils n'ont pas réussi à s'imposer dans le quartier du Plateau, pas plus qu'elles n'ont pris la résidence du chef de l'Etat, dans le quartier de Cocody. Les forces pro-Ouattara ont aussi perdu le contrôle de la télévision ivoirienne, la RTI, qui avait été prise d'assaut, jeudi, par des éléments comprenant, selon certaines sources, des membres du "commando invisible" qui mène un mouvement de guérilla dans le nord de la ville depuis le mois de février, et des forces de l'armée régulière tout juste ralliées. Mais le début des combats a vu surgir des groupes de pillards qui ont écumé certains quartiers.

Dimanche, même les pillages semblent s'interrompre. Profitant de cette suspension, les habitants qui le peuvent sortent pour chercher de la nourriture. Dans de nombreuses parties d'Abidjan, c'est la première fois que des voisins se croisent depuis jeudi. Un homme sort de chez lui, dans un quartier sud de la ville, en Zone 4, ancienne zone des PME, notamment françaises, et quartier de la nuit, où se sont installés de nombreux étrangers après les grandes vagues de pillages de novembre 2004, en raison de la proximité géographique avec le camp militaire français.

C'est un Français qui vit en Côte d'Ivoire, où il s'est marié. Impossible de citer son nom. Il découvre son quartier ravagé par les pillages, mais aussi les mouvements de solidarité entre Ivoiriens, l'absence de violence dès que les pilleurs armés sont partis. "J'ai retrouvé la Côte d'Ivoire que j'aime, rien à voir avec les corniauds qui ont braqué Abidjan." Il note aussi l'organisation de comités d'auto-défense dans le voisinage pour "se protéger de nouveaux pillages" mais s'inquiète de voir que des armes y ont surgi.

"LA MORT EST MIEUX QUE LA DÉFAITE"
Pendant ce temps, les deux camps ennemis terminent leurs préparatifs pour de nouveaux affrontements. Et, à nouveau, le temps joue en faveur de Laurent Gbagbo. "Chaque jour qui passe, ils réorganisent leurs troupes", note une source du camp Ouattara, qui analyse aussi, lucidement, que "la reprise de la RTI leur a donné un nouveau souffle".

Des appels ont été lancés pour ordonner aux militaires déserteurs de regagner leur poste auprès des forces pro-Gbagbo. Les ralliements d'officiers aux FRCI ne signifient pas que tous les hommes placés sous leur commandement les suivent, et encore moins que ces derniers puissent emporter avec eux le matériel militaire de leurs unités.

Des structures parallèles de commandement avaient été organisées par le camp Gbagbo pour conserver le contrôle des équipements et d'une partie des hommes. A la RTI, justement, un des membres de la galaxie des patriotes, Damana Pickass, expliquait que les combats et les désertions des derniers jours ont "permis à l'armée de faire son toilettage. Maintenant, l'armée est pure", ajoutait-il avant de conclure : "Il est des moments où la mort est mieux que le déshonneur, où la mort est mieux que la défaite. Nous sommes dans ce moment."

Author: Jean-Philippe Rémy


Source: Le Monde, du 04.04.11 à11h55,  Mis à jour le 04.04.11 | 13h36

 

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