Friday, July 13, 2012

RDC: Un colloque international sur la gouvernance et la refondation de l'Etat en République démocratique du Congo



Du 25 au 29 juin 2012, la ville Goma a accueilli un important colloque international consacré à la gouvernance et à la refondation de l'Etat en République démocratique du Congo. Organisé conjointement par POLE INSTITUTE (Institut interculturel dans la Région des Grands Lacs, Goma)), OGP (Observatoire Gouvernance et Paix, Bukavu), Mali (Maniema Liberté, Kindu) et RECIC (Réseau congolais d'éducation civique, Kinshasa), grâce à un appui financier de l'Union européenne (UE) et de OXFAM NOVIB (Pays-Bas), ce colloque a réuni une cinquantaine d'hommes et de femmes qui ont réfléchi sur les bases d'une nouvelle gouvernance et de la construction d'un Etat digne de ce nom au Congo aujourd'hui.
C'est dans le splendide cadre de l'hôtel Ihusi, haut lieu qui a déjà abrité certaines manifestations de grande importance et d'orageuse mémoire pour la RDC que le colloque sur la gouvernance et la refondation de l'Etat en RDC s'est déroulé, avec plus d'une cinquantaine de participants décidés à soumettre l'Etat congolais au crible de leurs analyses politiques, économiques, sociales, culturelles, philosophiques et géostratégiques.
Une tragique hypothèse de base
Dans sa conception de fond comme dans ses lignes directrices, cette rencontre d'experts et de chercheurs s'est articulée sur une forte hypothèse de travail dont il fallait moduler toutes les significations et mesurer toutes les implications dans l'ordre mondial actuel. Ce monde où la RDC peine à trouver une place à la hauteur des espérances de son peuple et souffre mille affres face aux menaces, aux turbulences et aux fureurs des guerres stupides et des pathologies inimaginables pour un pays aux possibilités infinies en matière de promotion humaine et d'utopies créatrices. Cette hypothèse de base est la suivante : en RDC, l'Etat est incarné par une élite coupée littéralement de la population ordinaire, il a de la peine à convaincre de son existence et il est aujourd'hui incapable d'assurer les services minima pour l'épanouissement des citoyens qui se trouvent en situation soit d'assistés permanents des ONG et autres structures extérieures, soit de débrouillards perpétuels vivant au jour le jour, sans perspectives des lendemains paisibles et rayonnants..
Face à cette situation, les Congolais ont adopté une résignation stoïque et une pudeur complice, préférant cacher la triste réalité pour projeter l'image de grandeur d'un pays qui est en droit légitime d'y prétendre mais qui a de la peine à prendre son envol, plombé qu'il est par une gouvernance sans boussole et par une vision erratique des impératifs politiques, économiques, socioculturels et militaro-géostratégiques sans lesquels un Etat ne peut prétendre s'affirmer comme Etat solide et sérieux dans les temps actuels.
Plus d'un demi-siècle après son indépendance politique et à l'aube de sa deuxième législature, on est en droit de remettre radicalement en question un tel Etat et de poser la question fondamentale de nouvelles bases pour une nouvelle destinée du Congo comme Etat. Il revenait aux experts et aux chercheurs réunis à l'hôtel Ihusi à Goma de répondre clairement et puissamment à cette exigence.

Les grands constats

Les constats faits pour étayer l'hypothèse de base ont été ceux que tout Congolais et toute Congolaise peuvent faire rien qu'en ouvrant les yeux sur les réalités de tous les jours au pays du fleuve Congo.
L'Etat y est accusé ou fortement soupçonné de laxisme, d'incompétence, de prédation, et de centralisation au détriment des provinces. Cela conduit à une tendance de ces provinces à se replier sur elles-mêmes, à revendiquer publiquement une autonomie de gestion, à rêver d'une pure et simple indépendance pour les plus riches d'entre elles ou à être happées par des espaces économiques extérieurs au Congo, dans un élan qui ne peut qu'attiser les convoitises de nouvelles puissances militaires régionales dont la RDC est entourée à l'Est comme à l'Ouest de son territoire.
C'est dans ce contexte que s'expliquent les revendications parfois violentes au droit à l'accès et à la jouissance des richesses locales, avec un phénomène des bandes armées qui met à mal un Etat qui n'a plus le monopole de la violence et qui se fragmente au jour le jour et perd ainsi, en profondeur, tout principe d'unité et toute dynamique de puissance, Si on ajoute à cela l'organisation calamiteuse des dernières élections et leurs résultats vigoureusement contestés sur l'ensemble du territoire nationale comme à l'échelle mondiale, c'est à un phénomène inquiétant de destruction de la légitimité et de la crédibilité des pouvoirs et des institutions dans leur ensemble que l'on assiste, avec ce que cela entraîne comme impossibilité d'une gouvernance solide dans le vaste pays qu'est le Congo. Les frustrations politiques des populations dans un tel espace sans gouvernance pour répondre aux besoins primaires des hommes et des femmes condamnés à la misère et à la désespérance conduisent aux risques et aux menaces d'implosion de l'Etat. Celui-ci perd tout socle sur lequel se fonderait un Etat responsable : infrastructures, administration, police, armée motivée, services de santé, instances éducatives crédibles, système d'information fiable et imaginaire collectif irrigué par un même rêve d'unité réelle et de développement durable.

De l'Etat réel à l'Etat possible

Percevoir ainsi l'Etat congolais et sa gouvernance ne revient pas à s'enfermer dans un quelconque congopessimisme, encore moins à imposer une perception fataliste du destin du pays. Bien au contraire, il s'agit de voir d'où l'on part afin de mieux voir vers où on doit aller : passer de l'Etat congolais tel qu'il est réellement aujourd'hui à l'Etat congolais possible, celui dont les experts et les chercheurs ont défini la substance et circonscrit les contours tout au long du colloque de Goma.
L'Etat possible est avant tout celui qui doit rompre avec les pathologies dues aux racines mêmes des malheurs du Congo. Notamment : l'impréparation de l'indépendance t le manque d'une élite compétente en 1960 pour conduire le pays vers sa destinée nouvelle, l'intégration de la nouvelle nation dans un espace néocolonial vécu comme un marché dominé par les grandes puissances, l'irruption de la dictature féroce et ubuesque pour animer la vie politique dans le nouvel Etat, avec comme réalité de base un Homme providentiel, un Soleil qui submerge le reste de ses concitoyens de son éblouissante lumière et qui laisse ceux-ci dans la confusion de l'obscurité à sa disparition.
Dans ses sources mêmes, un tel Etat ne pouvait que foncer tout droit dans le mur et souffrir des maux dont il a souffert tout au long de l'ère de l'indépendance : une gouvernance délirante, une administration incompétente, une justice en ruines, une corruption endémique, la gloire de l'informel, la corruption, la forte dépendance vis-à-vis des bailleurs extérieurs et
un programme de gouvernement copié -collé, irréaliste face aux attentes des Congolais. Il ne faut pas oublier d'ajouter à ces maux la marginalisation effarante des femmes et l'exaltation de la mentalité masculiniste guerrière incarnée par l'Homme Léopard comme symbole même de la nation.

Refonder l'Etat congolais, ou plutôt fonder un nouvel Etat congolais, c'est construire l'Etat possible en rupture avec ces réalités de l'Etat réel. D'où l'importance du développement de l'intelligence dans la gouvernance du pays. D'où, également, l'importance des valeurs comme piliers et leviers de l'organisation politique et des institutions étatiques. D'où, enfin, un travail éducatif de fond pour changer l'imaginaire congolais et produire de nouveaux rêves, de nouveaux mythes et de nouvelles forces de transformation sociale, au sens le plus pratique du terme.

Cela veut dire quoi, concrètement ?

Cela veut dire que les Congolaises et les Congolais devraient prendre conscience de certaines réorientations à imposer à leur vision d'eux-mêmes et s'engager dans les batailles de l'émergence d'un Congo nouveau.
Les réorientations concernent principalement les champs suivants : - au lieu de considérer de manière purement fantasmée que le Congo est un grand pays envié par le monde entier, construire plutôt une vraie grandeur politique, économique et culturelle sur le socle d'une démocratie moderne, d'une économie inventive et d'une culture de l'innovation ; - au lieu de s'enfermer dans l'esprit de victimes sans défense, ambitionner plutôt de forger une puissance moderne qui se fonde sur un système de défense solide et crédible ; - au lieu de s'accoutumer à la médiocrité des infrastructures et à s'accommoder des budgets de misère dont l'Etat actuel manipule les chiffres, gérer rationnellement toutes les possibilités d'enrichissement du pays par la recherche de toutes les solutions possibles à nos problèmes.
Cela veut dire, en somme, se donner les moyens de gagner les cinq batailles indispensables pour le pays aujourd'hui : la bataille de l'imaginaire, la bataille de l'organisation, la bataille de l'innovation, la bataille de nouveaux rêves sociaux et la bataille du leadership.
Ces batailles exigent que l'on soit attentif aux dynamiques et aux domaines suivants dans la refondation de l'Etat ou dans la fondation d'une nouvelle société dont l'Etat est le miroir :
- La part du secteur privé, de la société civile et plus spécifiquement des femmes, dans la refondation de l'Etat ;
- L'équilibre entre identités locales et l'identité nationale ; passage des identités meurtrières aux identités compétitives (d'un pays de mort et d'anéantissement réciproque à un pays de compétition) ;
- La force des élus locaux, engagés pour les populations et qui restent en contact avec les populations ;
- L'invention, la valorisation ou la revalorisation des mythes positifs et des modèles pour disposer d'un socle de fondation de l'Etat et de la Nation
- L'émergence d'une bourgeoisie africaine et congolaise pour incarner les initiatives autour desquelles le pays se construirait ;
- L'effort de tuer en nous les boucs émissaires que nous nous inventons pour ne pas voir nos faiblesses et les juguler radicalement;
- Le défi de la formation des élites (de grandes écoles et non des universités qu'on a à profusion qui ne sont pas des lieux où se forment des élites)
- Une société civile efficace, qui sert à l'édification de l'Etat et des institutions et non au service ou à la place des tenants du pouvoir

Le Congo, miroir de l'Afrique, préoccupation du monde actuel

Tout au long du colloque de Goma, l'une des dynamiques remarquables de la réflexion a été de voir à quel point, grâce aux témoignages des chercheurs et experts venus d'autres pays africains (Guinée Conakry, Mali, Côte d'Ivoire, Sénégal, Cameroun, Nigeria, Kenya, Burundi, Centrafrique) le Congo reflétait et rassemblait des problèmes de beaucoup d'autres pays africains, comme si le destin de cette nation était d'inventer les voies les plus utiles pour que l'Afrique tout entière s'engage sur la voie de la nouvelle espérance. Sous cet angle, il est devenu évident, comme disait le professeur camerounais Moukoko Priso, que les problèmes du Congo sont les problèmes de l'Afrique et les problèmes de l'Afrique sont les problèmes du Congo.
Mais ces problèmes, nous ne pouvons les penser que dans le contexte du monde actuel, avec ses contradictions et ses rêves, dans un devoir de réalisme et d'utopie que les experts et les chercheurs venus d'Europe ont pu mettre en lumière pour donner aux Congolaises et aux Congolais la conscience de leurs devoirs pour la construction d'un nouvel Etat congolais au cœur de l'Afrique. La conscience de prendre en main leurs responsabilités et de ne pas attendre que les solutions tombent du ciel divin ou du ciel de la communauté internationale.

Conclusion

Dans la mesure où l'objectif du colloque de Goma était de réfléchir sur les enjeux de la gouvernance et de l'Etat en RDC ainsi que sur les défis à surmonter pour que les Congolaises et les Congolais puissent mieux qu' aujourd'hui et encore mieux qu'hier, développer un être ensemble, un vivre ensemble, un agir ensemble et un rêver ensemble crédibles, on peut considérer qu'il a atteint son but en mettant en lumière une vérité fondamentale : le Congo sera construit par les Congolaises et les Congolais ou il ne le sera pas.

Authors: Onesphore Sematumba et Kä Mana
Source: Pole Institute, du 12/07/2012

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