Le départ du président sortant ne serait plus qu'une question d'heures. Aidées par la France et l'ONUCI, les forces de d'Alassane Ouattara ont pris la capitale économique du pays. Reste maintenant à savoir ce que le vainqueur de l'élection du 28 novembre 2010 va faire de sa victoire militaire.
En Côte d’Ivoire, les choses sont allées à une vitesse vertigineuse ces dernières heures. Et de toute évidence, on approche la fin d’un certain monde : le très illégal Laurent Gbagbo vit certainement ses dernières heures aux commandes de ce pays, qu’il gouverne très illégalement depuis le verdict des urnes du 28 novembre qui consacra la victoire de son rival, Alassane Ouattara. Tant pis pour lui et tant mieux pour tous. Mais on ne pourra s’empêcher de le dire, l’homme est un dur à cuire. Et à la réflexion, on se surprend à penser que les troupes d’Alassane Ouattara, si elles avaient été commises seules à la tâche, auraient eu de la peine à déloger le président sortant. Tout au plus et à supposer que les Forces Républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI, pro-Ouattara) aient pu en venir à bout, il aurait fallu à tout le moins qu’elles fassent l’amère expérience d’une victoire à la Pyrrhus. On n’en est pas là, mais on remarquera qu’il aura fallu l’intervention de la force Licorne et de l’ONUCI pour décider Gbagbo, le rebelle, à songer un tant soit peu à la reddition. L’homme se résout alors enfin à envisager la possibilité de son départ.
Et alors tout se met en branle à cet effet : c’est son ministre des Affaires étrangères qui se rend à l’ambassade de France pour "négocier" la fameuse reddition de son mentor. C’est également des généraux proches du président sortant qui appellent le représentant de l’ONUCI à bien vouloir recevoir les armes des combattants portant label "Gbagbo". C’est également le chef d’état-major de l’armée de Gbagbo qui affirme que les hommes qu’il commande ont arrêté les combats depuis 10 heures 30 mardi matin. On l’aura compris, le camp Gbagbo hisse le drapeau blanc.
Et on ne s’embarrasse même plus des circonlocutions habituelles pour qualifier la capitulation. Les carottes sont cuites, la cause est entendue, il faut dorénavant s’inscrire dans la logique du vaincu, qui s’inscrit alors obligatoirement dans la dynamique de celle des vainqueurs. Mais de toute évidence, cela ne devrait pas se passer comme sur des roulettes. La France, par exemple, exige un document signé de la main du président sortant, qui traduise sans ambages sa renonciation au pouvoir et reconnaisse explicitement la victoire du plus opiniâtre de ses ennemis : Alassane Ouattara. Pourquoi exiger pareil document ? Paris connaît Laurent Gbagbo mieux que personne.
L’homme s’est forgé une réputation de renard politique et, dans tous les cas, on le comprend, deux précautions valent toujours mieux. On aurait pu imaginer que l’homme, au point où il est rendu, signerait ledit document sans ciller. Et que, peut-être, il le ferait, une grimace en coin, mais qu’il le ferait quand même : lorsqu’on a tout perdu et qu’on cherche à sauver sa tête, il est des concessions que l’on s’oblige à faire. Mais là aussi, Gbagbo étonne : même militairement vaincu, il se refuse à reconnaître la victoire de son éternel rival. Et pourtant, à l’heure actuelle, Gbagbo n’est même plus maître de son propre lendemain. Et c’est bien ce qui pousse à se demander ce que représentent ce que l’on appelle fort pompeusement « négociations » en cours. Le mot sert sans doute à sauver les apparences, mais au fond, en l’occurrence, il ne signifie pas vraiment grand-chose. De quelle force dispose un vaincu en matière de négociation ? On comprend l’inquiétude, la hantise de Laurent Gbagbo en ce moment. Il recherche absolument une double sécurité : celle juridique qui lui octroie une bien nécessaire immunité, et l’autre, physique, qui le mette à l’abri d’une chasse aux sorcières, lui garantisse la vie sauve, à lui, à sa famille et sans doute aussi à ses proches parmi les plus proches.
Mais à la toute limite, il devra se contenter de ce qu’on trouvera bon pour lui. Sans plus. Une ironie bien mordante d’un sort qui se révèle implacable pour un homme qui se sera révélé cynique, moqueur, gouailleur et qui se retrouve en ce moment pris au piège du cercle vicieux d’une pratique qu’il a pourtant adorée du temps de sa splendeur. Un homme qui aura dédaigné toutes les sorties honorables pour se résoudre, en toute extrémité, à emprunter celle qu’on l’obligera à prendre, la tête basse et la queue entre les jambes. A l’heure où nous publions ces lignes, la question n’était plus de savoir si Gbagbo partirait, mais plutôt de savoir dans combien de petites heures l’homme dégagerait. Triste fin pour un simple humain qui se sera imaginé un destin divin au point de se rendre hermétique à toute supplication. Reste maintenant à savoir ce qu’il adviendra de lui et de tous ses fidèles qui seront restés résolument sourds à la voix de la raison et qui se trouvent aujourd’hui dans l’obligation de se ranger, forcés qu’ils sont de se soumettre à la dure loi d’un ennemi qu’ils reconnaissent plus fort qu’eux. Au-delà de leurs préoccupations individuelles, c’est la communauté humaine entière qui pousse enfin un "ouf" de soulagement.
Car cette crise, au-delà des Ivoiriens, aura divisé la sous-région ouest-africaine, l’Union africaine et même la communauté internationale dans son ensemble. Et c’est à présent qu’il faut songer à une Côte d’Ivoire nouvelle où les priorités seront à la fois plurielles et gigantesques. Il faudra désormais réconcilier les Ivoiriens avec eux-mêmes, combler les abysses de la haine, de la méfiance et de la peur tout en souhaitant que ces affres que vient de leur imposer leur histoire récente se mue en une catharsis qui constitue un garde-fou providentiel contre d’éventuels égarements futurs. Que fera Ouattara de sa victoire ? Le président entrant hérite d’un pays en plein chaos qu’il devra avoir la magie de transformer en une nation au futur plein de promesses. Et si, dès à présent, il ne voit pas vraiment très bien comment s’y prendre, au moins possède-t-il l’immense avantage de savoir à la perfection ce qu’il ne devra pas faire. Pour le reste, il lui faudra compter sans doute avec le patriotisme et la sagesse des Ivoiriens. On croise les doigts pour qu’ils ne lui fassent pas défaut.
L'Observateur Paalga
Source: Courrier International, du 06.04.2011
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