Le dénouement semble proche en Côte d'Ivoire. Michel de Bonnecorse, ancien conseiller Afrique du président Chirac, décrypte la situation pour Le Point.fr.
Après une progression fulgurante à travers toute la Côte d'Ivoire, les forces armées d'Alassane Ouattara assiègent Laurent Gbagbo dans son palais d'Abidjan. Pour décrypter la situation, Le Point.fr a interrogé Michel de Bonnecorse, diplomate et ancien conseiller Afrique du président Chirac.
Le Point.fr : Assiste-t-on à la chute de Laurent Gbagbo ?
Michel de Bonnecorse : Oui, je crois que maintenant c'est clair. Les forces qui étaient du côté de Laurent Gbagbo se sont pour la plupart mises à disposition du président élu. Je ne vois pas quel pourrait être l'obstacle à la destitution de l'appareil d'État de Gbagbo. Il va y avoir quelques combats sporadiques, mais c'est la fin de la partie pour Laurent Gbagbo.
Comment expliquez-vous l'accélération des événements ?
Il y a deux raisons. Depuis deux mois, les partisans d'Alassane Ouattara se sont aperçus que les arguments politiques, juridiques, et que la pression africaine et internationale ne feraient pas partir Laurent Gbagbo. Il fallait passer à un rapport de force et organiser une action armée qui aille jusqu'à Abidjan. Ça a été bien préparé sur le plan stratégique, bien planifié, les moyens ont été mis en oeuvre. Et puis, au fur et à mesure que le temps passait, les soutiens de Laurent Gbagbo se sont aperçus qu'il menait un combat politique sans issue. Il fallait soit le convaincre de partir soit se détacher de lui. Depuis huit jours, on assiste à de multiples fissures. Presque invisibles au début, elles conduisent à son éclatement.
Quel rôle les pays africains ont-ils joué ?
Il y a six jours, l'Afrique du Sud et l'Angola, qui freinaient au sein de l'Union africaine et qui continuaient à financer le camp Gbagbo, lui ont signifié très clairement que c'était fini, qu'ils ne lui apportaient plus leur appui. Ils lui ont demandé de partir. Cette décision a eu un effet très important sur le moral du camp Gbagbo. Ses membres étaient en état de choc.
Est-il totalement absurde d'imaginer que les pro-Ouattara ont pu recevoir une aide de l'extérieur pour leur reconquête du pays ?
C'est tout à fait imaginable et c'est assez logique. L'ensemble de la Cedeao et l'Union africaine demandaient le départ de Laurent Gbagbo par tous les moyens. Il était même prévu dans le mandat de l'UA qu'il pouvait être déposé par la force. Il n'est donc pas anormal que certains pays africains aient apporté leurs conseils ou leurs appuis aux forces républicaines.
La diplomatie française a eu une approche très différente des situations ivoirienne et libyenne. Comment expliquez-vous cela ?
La première raison, c'est qu'il est beaucoup plus facile d'intervenir en territoire libyen qu'en Côte d'Ivoire. En Libye, il n'y a pas cet enchevêtrement ethnique dans les grandes villes. Ce sont de grands axes, des territoires sans la moindre forêt pour cacher des équipements militaires. On peut frapper facilement en Libye. En Côte d'Ivoire, toute intervention propre, c'est-à-dire en ménageant la population civile, est impossible.
La deuxième raison, c'est qu'il y avait une quasi-unanimité pour dire que Kadhafi devait partir. Pas seulement pour l'ensemble de son oeuvre, mais aussi parce qu'il tirait à l'arme lourde sur sa population. Il s'est passé la même chose à Abidjan. Depuis une semaine, les gens de Laurent Gbagbo ont commencé à tirer à l'arme lourde sur le quartier d'Abobo. C'est à ce moment-là que tout a basculé.
Comment voyez-vous l'après-Gbagbo ?
Les Ivoiriens ne sont pas aussi divisés qu'on le pense. Sinon Ouattara n'aurait jamais été élu. Je crois que les Ivoiriens vont essayer de gommer de leurs esprits tous les événements de ces dernières années. Il y aura une volonté de réconciliation. On a perdu vingt ans en Côte d'Ivoire. Mettons fin au cauchemar, mettons fin à la guerre civile. Je ne dis pas que, dès demain, tout le monde va s'embrasser. Il va peut-être y avoir des victimes encore. Mais le pays ne va pas s'embraser.
Author: Cyriel Martin
Source: Le Point, Publié le 01/04/2011 à 12:29 - Modifié le 01/04/2011 à 13:11
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