Le président ivoirien sortant Laurent Gbagbo, 65 ans, dont le régime vacille sous la pression des combattants d'Alassane Ouattara, est un animal politique doté d'une volonté de fer pour se maintenir au pouvoir, face à une rébellion et à la communauté internationale.
"Il se battra jusqu'à son dernier souffle", prévenait l'un de ses proches au tout début de la crise née de la présidentielle du 28 novembre 2010.
Il "ne démissionnera" pas, a confirmé vendredi l'un de ses meilleurs amis, le socialiste français Guy Labertit, tout en jugeant qu'il "n'en sortira pas vivant".
Peu après son arrivée au pouvoir en octobre 2000, M. Gbagbo avait envisagé devant plusieurs témoins la possibilité de finir comme le Chilien Allende, qui s'était suicidé dans son palais présidentiel pendant le putsch de Pinochet.
"Enfant des élections" comme il aime à se définir, il aura cependant aux yeux de ses adversaires tout fait pour repousser, cinq ans durant, une élection qui l'a finalement conduit au bord de l'abîme.
Le 3 décembre, le Conseil constitutionnel, qui lui est acquis, a ouvert la plus grave crise de l'histoire du pays en proclamant M. Gbagbo réélu avec 51,45% des suffrages au scrutin du 28 novembre. Le Conseil venait d'invalider les résultats de la commission électorale, "certifiés" par l'ONU, donnant M. Ouattara vainqueur (54,1%).
Tribun aimant à se présenter en homme du peuple, M. Gbagbo cache sous des airs bonhommes une combativité immense.
En 2002, face à une rébellion, il parvient à se maintenir mais ne conserve que le sud de la Côte d'Ivoire.
Il a beaucoup appris de ses longues années d'opposition au "père de la Nation", le président Félix Houphouët-Boigny (mort en 1993), longtemps premier relais de la France en Afrique subsaharienne.
Né le 31 mai 1945, éduqué au séminaire et historien de formation, Laurent Gbagbo irrite rapidement le pouvoir par son activisme syndical.
Incorporé de force, emprisonné, il s'exile en France dans les années 1980, après avoir fondé clandestinement le Front populaire ivoirien (FPI).
Membre de l'ethnie bété (ouest), exclue du partage traditionnel du pouvoir, il se lance ouvertement en politique en 1990, à l'instauration du multipartisme.
Son heure arrive le 26 octobre 2000 quand il accède à la présidence, dans des conditions de son propre aveu "calamiteuses", à l'issue d'un scrutin dont ont été exclus l'ex-chef de l'Etat Henri Konan Bédié et l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara.
Politicien habile pour les uns, "roublard" pour les autres, il parvient, contre les rebelles, l'opposition et une communauté internationale emmenée par la France, à garder son fauteuil. Il sait s'appuyer sur ses jeunes partisans, les "patriotes", qui enflamment à l'occasion la rue.
En novembre 2004, il échoue à reconquérir militairement le nord mais se pose en héros d'une "seconde indépendance", face à la France qui vient de détruire son aviation après le bombardement meurtrier d'une position française.
Signataire avec les rebelles de Guillaume Soro d'un accord de paix en 2007, il se lance dans la bataille de la présidentielle et retrouve au second tour Alassane Ouattara, dans lequel il a toujours vu l'instigateur de la rébellion.
Affichant sa foi chrétienne évangélique, il forme un duo avec son épouse, la très fervente Simone, un faucon du régime. Il s'est également uni par un mariage coutumier à Nady Bamba, une ex-journaliste.
"Le temps est l'autre nom de Dieu", se plaît à dire ce fin tacticien. Mais au plus mal militairement, isolé diplomatiquement et asphyxié économiquement, le temps semblait pour la première fois jouer contre lui.
Le régime ivoirien de Laurent Gbagbo
Dates-clés de la Côte d'Ivoire depuis l'arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo en 2000, une décennie marquée par une série de crises politico-militaires:
- 26 oct 2000: L'opposant Laurent Gbagbo accède à la présidence à l'issue d'une élection controversée dont ont été exclus Henri Konan Bédié (ex-président renversé fin 1999) et l'ex-Premier ministre Alassane Ouattara. L'investiture a été précédée de trois jours de violences politiques et parfois ethnico-religieuses.
- 19 sept 2002: Début d'une rébellion militaire, avec des attaques visant le coeur du pouvoir à Abidjan, Bouaké (centre) et Korhogo (nord). Elle échoue à renverser M. Gbagbo et se replie sur le nord, dont elle prend le contrôle.
- 24 jan 2003: Les principaux partis et les mouvements rebelles signent à Marcoussis (France) un accord prévoyant un partage du pouvoir, avec le maintien au pouvoir de M. Gbagbo et un gouvernement incluant les rebelles. Manifestations antifrançaises par des organisations proches du président pour dénoncer les accords.
- 6 nov 2004: Deux jours après la relance du conflit par des raids aériens contre des rebelles, neuf soldats français sont tués dans un raid loyaliste à Bouaké. Les militaires français détruisent une partie de l'aviation ivoirienne. Manifestations antifrançaises et exactions provoquent le départ de plus de 8.000 Français. 57 civils ivoiriens sont tués par l'armée française, selon Abidjan. Le 15, sanctions de l'ONU contre le pouvoir.
- 21 oct 2005: L'ONU accepte le maintien de M. Gbagbo à son poste au terme de son quinquennat, en lui adjoignant un Premier ministre doté de "tous les pouvoirs nécessaires". En décembre, Charles Konan Banny est nommé Premier ministre.
- 4 mars 2007: Laurent Gbagbo et le chef de la rébellion rebaptisée Forces nouvelles (FN) Guillaume Soro signent l'"accord politique de Ouagadougou". Celui-ci reprend la plupart des revendications de Gbagbo et prévoit la mise à l'écart d'une communauté internationale dont il dénonçait l'"ingérence". Le 29, Soro est nommé Premier ministre.
- 31 oct et 28 nov 2010: Election présidentielle, reportée six fois depuis 2005. Le pays est déchiré par une crise entre le chef de l'Etat sortant Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, reconnu président par la communauté internationale.
- 6 jan 2011: Washington gèle les avoirs de Gbagbo.
- 2 fév: L'Union européenne porte à 91 le nombre de personnes sanctionnées pour leurs liens avec le camp Gbagbo, auxquelles s'ajoutent 13 entreprises, notamment dans le secteur du cacao.
- 28 mars: Début d'une vaste offensive des forces pro-Ouattara.
- 30 mars: L'ONU impose des sanctions contre Gbagbo, son épouse Simone et trois autres proches, et exige son départ immédiat.
- 31 mars: Les combattants pro-Ouattara, qui ont notamment pris ces derniers jours la capitale politique Yamoussoukro et le premier port d'exportation de cacao au monde San Pedro (sud-ouest), sont aux portes d'Abidjan. Le chef d'état-major réfugié à la résidence de l'ambassadeur sud-africain à Abidjan.
Les violences depuis le début de la crise post-électorale fin novembre ont fait près de 500 morts selon le dernier bilan de l'ONU.
Source: Le Nouvel Observateur, du 01/04/2011
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