"Un tournant de la politique étrangère menée par la France depuis la fin de la colonisation." C'est ainsi que Nicolas Sarkozy présentait, dans un entretien à L'Express en mai dernier, l'intervention française en Libye. Une intervention qui devait au départ "se compter en jours ou en semaines – certainement pas en mois", selon Alain Juppé, ministre des affaires étrangères.
En retard face aux révolutions arabes de décembre et janvier 2010, Paris souhaitait avec le soutien militaire aux insurgés libyens montrer que la donne avait changé.
L'objectif est alors clair. Le chef de l'Etat le résumait ainsi, le 27 mai, en marge du sommet du G8 à Deauville : "Il n'y a pas de médiation possible avec M. Kadhafi. Les soldats de M. Kadhafi doivent rentrer dans les casernes et M. Kadhafi doit partir. On peut discuter des modalités du départ dans l'honneur, dans quel pays… tout cela, c'est effectivement discutable [...]. M. Kadhafi a en main sa situation personnelle : il part et il évite bien des souffrances au peuple libyen ; il s'entête et lui-même en paiera les conséquences." Un argument répété le 24 juin, lors d'une conférence de presse à Bruxelles : "Nous devons continuer jusqu'au départ de M. Kadhafi."
"SE METTRE AUTOUR D'UNE TABLE"
Mais l'offensive militaire n'a pas pour l'heure connu le succès escompté. Sur le terrain, la situation est difficile. Et l'Elysée, s'il escomptait des bénéfices politiques rapides de l'opération, doit déchanter. Le quotidien britannique The Guardian ou Le Canard enchaîné en France avaient évoqué une pression de Nicolas Sarkozy sur l'état-major, dans l'espoir d'obtenir une victoire définitive avant le 14-Juillet.
Pour renforcer les anti-Kadhafi, la France avait par ailleurs parachuté en secret des armes aux insurgés libyens, à la surprise de ses alliés américains ou britanniques. Avant de stopper ces livraisons, non sans avoir finalement admis leur existence. D'autres échos parlaient d'une visite du chef de l'Etat sur le terrain libyen d'ici là. Cette opération ne semble aujourd'hui plus envisagée.
A la veille d'un vote de l'assemblée nationale sur la poursuite de l'intervention, le but officiel de la guerre semble désormais plus flou. Interrogé sur BFM TV, dimanche 10 juillet, le ministre de la défense, Gérard Longuet, a ainsi estimé qu'il "va falloir se mettre maintenant autour d'une table. On s'arrête de bombarder dès que les Libyens parlent entre eux et que les militaires de tous bords rentrent dans leurs casernes. Ils peuvent parler entre eux puisqu'on apporte la démonstration qu'il n'y pas de solution de force".
KADHAFI "DANS UNE AUTRE PIÈCE DE SON PALAIS"
Quant au sort réservé au dictateur libyen, il semble lui aussi incertain. Pour Gérard Longuet, s'il y a des négociations, "il sera dans une autre pièce de son palais, avec un autre titre". Une déclaration corrigée lundi 12 juillet par le ministère de la défense, pour qui il n'y a "pas d'inflexion de la position de la France" : "Pour Gérard Longuet, il est clair que Kadhafi n'a plus sa place comme dirigeant du pays."
Pourtant, Seif Al-Islam, fils de Mouammar Kadhafi, a assuré dans un entretien à la presse algérienne que Paris négocierait désormais officieusement avec Kadhafi des modalités d'un cessez-le-feu. Une affirmation réfutée par Paris, qui nie toute "négociation directe" avec Tripoli, mais reconnaît désormais faire passer des "messages" au régime. "Toute solution politique passe par le retrait de Kadhafi du pouvoir et son renoncement à tout rôle politique", assure cependant le porte-parole du Quai d'Orsay, Bernard Valero.
Ces précisions données par Paris ont suscité une mise au point de Washington : "Ce sont les Libyens qui décideront eux-mêmes la manière dont la transition doit s'accomplir, mais nous restons fermes dans notre conviction que Kadhafi ne peut pas rester au pouvoir", a réagi le département d'Etat américain.
"METTRE LE TREILLIS"
Le vote des députés mardi ne devrait pas poser de problème : la majorité et l'essentiel de l'opposition, à l'exception du groupe Gauche démocrate et républicaine (PC, Verts et Parti de gauche), devraient voter en faveur de la poursuite de l'intervention. Mais l'opération commence à coûter cher, dans un contexte de crise économique et de déficits records : 160 millions d'euros, selon la porte-parole du gouvernement, Valérie Pécresse, qui contredit les chiffres de M. Longuet, qui évoquait pour sa part 100 millions d'euros.
Autant d'incertitudes qui rendent l'exploitation politique de cette opération libyenne difficile pour l'Elysée. Nicolas Sarkozy devrait cependant profiter du 14-Juillet pour "mettre le treillis", selon son expression, reprise par Le Figaro. Ce mardi, il rend visite à des soldats blessés en Afghanistan, avant d'assister jeudi aux cérémonies militaires du 14-Juillet à Paris.
Source: Le Monde.fr, Mis à jour le 12.07.11 | 07h44
No comments:
Post a Comment