Plus de cinq mois se sont écoulés depuis le début de la guerre en Libye, sans que l'une ou l'autre des parties en conflit n'ait pu prendre sur le terrain un avantage décisif. Le régime de Tripoli du colonel Kadhafi n'a pas été en mesure de reprendre le contrôle des trois grandes zones rebelles que sont devenues la Cyrénaïque, la ville portuaire de Misrata, les montagnes du Djebel Nefousa.
Dans ce pays désertique, toute reconquête lui est interdite par les chasseurs-bombardiers de l'Otan. Dépourvus de discipline et de compétence militaire, les rebelles - que tente de coordonner le Conseil national de transition (CNT) de Benghazi - ne parviennent plus à avancer, malgré les armes qui leur ont été livrées par le Qatar et par la France. Du reste ces livraisons posent problème, dans la mesure où, comme la Russie l'a rappelé, elles outrepassent le mandat donné par le Conseil de sécurité de l'ONU, lequel n'autorise que des opérations aériennes destinées à « protéger les populations civiles ». Il y a quinze jours, le CNT s'était vanté dans les médias d'avoir repris le terminal pétrolier de Brega. Or il semble qu'il n'en soit rien : la petite ville côtière serait toujours tenue par les troupes loyales à Tripoli. Bref, la situation militaire est plus bloquée que jamais et ce n'est pas pendant le mois de ramadan - qui commence le 1 er août - qu'elle risque de se débloquer.
Rencontre à Paris
Un tel contexte ne peut que renforcer la nécessité de négociations directes entre les parties en conflit, afin de préparer l'avenir et d'empêcher que la Libye ne connaisse le sort de Bagdad, ravagée par une guerre civile dans les années 2005-2007. L'échec des négociations menées à Tunis il y a deux semaines entre une délégation américaine et un émissaire du Guide a prouvé que Kadhafi n'a pas la moindre chance de sauver son pouvoir personnel. Pour les puissances occidentales, comme pour les États membres de la Ligue arabe et pour la grande majorité des citoyens libyens, il est clair que l'avenir de la Libye se fera sans Kadhafi - peu importe qu'il s'exile à l'étranger ou dans un village de son pays.
Les seules négociations qui ont désormais un intérêt sont celles qui confrontent le CNT (qui tient sa force de sa reconnaissance internationale et de son accès aux fonds d'État libyens gelés à l'étranger) et les technocrates de Tripoli n'ayant pas de sang sur les mains. Médecin de formation, l'actuel premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi, est de ceux-là. C'est une personnalité apparemment raisonnable, à même de contribuer à la réconciliation nationale - fondée sur la composition d'un gouvernement de transition associant toutes les parties en conflit et sur la rédaction d'une nouvelle Constitution démocratique - en négociant avec cette autre personnalité raisonnable qu'est Mahmoud Jibril, actuel numéro deux du CNT, et ancien directeur général du Conseil de développement économique de l'Etat libyen. Les deux hommes se connaissent bien, et depuis longtemps.
Nous sommes en mesure de révéler que, le 14 juin dernier, le directeur de cabinet de Mahmoudi rencontra secrètement, à Paris, Bernard-Henri Lévy, au domicile de celui-ci. Il demanda au philosophe - notoirement proche du CNT et du président Sarkozy - de prendre l'initiative d'un tel dialogue, visant à préparer d'ores et déjà le «jour d'après» à Tripoli et Benghazi. BHL accepta, après avoir rappelé que le sort de Kadhafi n'était pas négociable, que le dictateur devait impérativement s'en aller.
Le lendemain, BHL présida une rencontre directe entre ce haut fonctionnaire de Tripoli et un représentant accrédité du CNT : une rencontre entre «hommes de bonne volonté» tentant de mettre à plat les problèmes que posera, le jour venu, la nécessaire reconstruction de la Libye. La reprise des activités militaires à la fin du mois de juin suspendit cette amorce de négociations directes. Maintenant que la situation sur le terrain apparaît totalement bloquée, il y a de fortes chances qu'elles puissent reprendre…
Author: Renaud Girard
Source: Le Figaro, du 28/07/2011
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