REPORTAGE - Après de violents heurts, les combattants pro-Ouattara contrôlent le quartier d'Abobo.
Après deux mois de violences presque ininterrompues dans le gigantesque faubourg nord d'Abidjan, la bataille d'Abobo semble être entrée ce week-end dans une phase décisive. Samedi après-midi, les Forces de défense et de sécurité (FDS) loyales à Laurent Gbagbo, ont lancé une «grande offensive» contre les insurgés. Dans la zone de Plateau Dokui, à mi-chemin entre le cœur de ce vaste bidonville et le quartier résidentiel de Cocody, où se trouve la résidence du président sortant, les tirs à l'arme lourde ont retenti jusqu'en fin de soirée. L'assaut, qui a fait au moins une dizaine de morts selon un décompte établi par l'AFP, semble finalement avoir été «contenu» par les insurgés. «Nous attendons maintenant le feu vert de notre hiérarchie pour passer à l'offensive et marcher sur le centre d'Abidjan», assurait dimanche le lieutenant David Boigny, que les combattants rebelles présentent comme un de leurs chefs.
Baptisés «commandos invisibles» en raison de la discrétion qu'ils ont d'abord cultivée, ces combattants hostiles à Laurent Gbagbo s'affichent désormais sans complexe aux quatre coins d'Abobo. Vêtus de guenilles ou de fragments d'uniforme dérobés aux policiers et aux militaires ennemis tombés sous leurs balles, les simples soldats sont armés de kalachnikovs, de fusils de chasse, de couteaux ou d'antiques pistolets qui semblent tout droit sortis d'un film de pirates. Pour toute protection, la plupart d'entre eux portent sous leur T-shirt ou autour de leur biceps des «petits habits», ces fétiches supposés les préserver du mal.
À y regarder de près, cependant, cette armée de fortune s'appuie sur un certain savoir-faire et semble avoir reçu un soutien matériel non négligeable. Radios, détecteurs de métaux et autres pick-up sans plaque minéralogique sont ainsi apparus du jour au lendemain sur les pistes d'Abobo. Du bout des lèvres, tel officier vêtu d'un gilet pare-balles flambant neuf admet par ailleurs que ses combattants disposent d'armes lourdes pour affronter les FDS. Ce qui contribue sans nul doute à expliquer que les «commandos invisibles» aient, en quelques semaines, réussi à repousser leurs adversaires à la lisière du quartier.
Entre 2 500 et 3 000 hommes
«C'est Gbagbo lui-même qui nous arme, sourit Yaya Bamba, un autre “chef”. Chaque fois que nous mettons ses troupes en déroute, nous récupérons des uniformes, des kalach, des RPG et parfois des mitrailleuses.» Énigmatique, il complète : «Une partie de notre matériel provient de personnes de bonne volonté…» S'agit-il des rebelles des Forces nouvelles ? Ou de quelque pays étranger ? Yaya Bamba n'en dira pas plus et il demeure impossible d'identifier les soutiens de cette jeune armée - sauf à prêter foi à la propagande débridée du camp Gbagbo, qui accuse l'Onuci et la France de leur livrer du matériel militaire. «Le plus important, c'est que notre armée s'est constituée à partir de soldats venant de tous les horizons pour apporter enfin la liberté et la démocratie en Côte d'Ivoire», insiste le lieutenant Boigny.
Âgé de 31 ans, cet ancien officier des FDS dit avoir fait défection le 18 décembre dernier, lorsque, deux semaines après l'élection d'Alassane Ouattara, la police a ouvert le feu sur des manifestants à Abobo. «Ce jour-là, j'ai pris mon uniforme, mon arme de service et j'ai quitté mon camp de Cocody pour venir ici», raconte-t-il. Jonglant avec ses deux téléphones portables qui sonnent en permanence, l'officier affirme aujourd'hui se trouver à la tête de 500 combattants dans la zone d'Abobo, sur un effectif global qui serait compris entre 2 500 et 3 000 hommes. «Nous combattons pour déposer Laurent Gbagbo», assure-t-il, jurant que d'autres combattants attendent un «feu vert» pour se soulever dans les quartiers pro-Gbagbo de Yopougon ou de Port-Bouët.
Plusieurs civils fauchés
Quoi qu'il en soit, il est indéniable que les insurgés ont «sécurisé» une grande partie d'Abobo, où la population civile était, il y a peu, harcelée par les FDS. A l'entrée du quartier PK-18, qui sert désormais de QG aux «commandos invisibles» de nombreuses maisons portent les stigmates des combats qui se sont tenus le 28 février dernier. «Les chars de Gbagbo avaient pris position là-haut, se souvient Alassane Touré, l'un des rares habitants de ce «village» à ne pas avoir fui, en montrant la route qui domine le périmètre. Vers 17 heures, ils ont ouvert le feu et les bombes ont commencé à pleuvoir un peu partout. On s'est tous allongés sous des matelas. Ça a duré jusqu'à 2 heures du matin…»
Samedi, une nouvelle fois, plusieurs civils ont été fauchés dans Abobo lors de l'offensive menée par les FDS. En début d'après-midi, Silué Fouzongori, commerçant en pièces détachées pour ordinateurs, a été blessé par une balle qui lui a traversé la mâchoire. «Je rentrais à la maison lorsque j'ai entendu des chars arriver derrière moi, rapporte le garçon, rencontré dans une clinique du quartier. Avec mon frère, on a tout de suite essayé de se cacher mais les tirs ont commencé. D'un coup, j'ai eu très mal au visage et j'ai vu mon sang couler.»
Le camp Ouattara a dénoncé des «tueries aveugles» de «civils innocents» tandis que le porte-parole de Laurent Gbagbo appelait la population à rester calme. Malgré l'issue encore incertaine des affrontements, le président sortant apparaît cependant chaque jour un peu plus isolé, tant au plan militaire que sur le terrain diplomatique. Vendredi, le haut représentant de l'ONU en Côte d'Ivoire, qui fut le premier à reconnaître la victoire d'Alassane Ouattara au second tour de la présidentielle, a annoncé, sibyllin : «Je n'ai jamais douté que la volonté du peuple ivoirien prévaudrait à la fin. Et la fin arrivera plus tôt qu'on ne le prévoit.»
Author: Cyrille Louis
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Source: Le Figaro, du 14/03/2011
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