RDC: Kabila dans le piège rwandais
Depuis deux mois, l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) est le théâtre de violents affrontements entre rébellions et armée régulière. Un nouveau conflit qui révèle les multiples contradictions entre les différents protagonistes. Le Rwanda, allié de Kinshasa, est accusé de soutenir la rébellion du M23, alors que Joseph Kabila a utilisé les services des actuels rebelles (qu'il combat aujourd'hui) pendant les élections de novembre. Un jeu de dupe entre la RDC et le Rwanda qui dure depuis plus de 15 ans.
La guerre qui secoue une nouvelle fois la région du Kivu, à l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), constitue un énième soubresaut des relations tumultueuses qui agitent la RDC et le Rwanda depuis le génocide de 1994. La polémique actuelle sur un possible soutien de Kigali aux rebelles du M23 n'étonne personne à Kinshasa. Pour de nombreux observateurs de l'arène politique congolaise, "le problème n'est pas tant de savoir si le Rwanda aide en sous-main les rébellions de l'Est, mais d'en connaître l'importance".
16 ans de relations tumultueuses
De 1996 à 2012, le Rwanda est intervenu plusieurs fois en RDC, à des degrés plus ou moins élevés. Entre 1996 et 1997, le Rwanda franchit une première fois la frontière, pour traquer les génocidaires hutus, renverser le maréchal Mobutu et mettre au pouvoir son allié congolais de l'AFDL, Laurent-Désiré Kabila. En 1997, une fois aux commandes, Kabila nomme un rwandais, James Kabarebe, comme chef d'état-major de l'armée congolaise. En 1998, Kabila se brouille avec son protecteur rwandais, devenu "trop encombrant". Le Rwanda tente de le déloger par les armes, sans succès, le "Mzee" ayant trouvé d'autres protecteurs comme le Zimbabwe et l'Angola. En 2001, Laurent-Désiré Kabila est finalement assassiné. Le Rwanda sera accusé en 2001 et 2002 par l'ONU de "pillage des ressources naturelles" en RDC. L'armée rwandaise quittera enfin le pays en 2003, mais Kigali se fera fort de soutenir les rébellions censées protéger la communauté tutsi congolaise des attaques des hutus rwandais des FDLR. Le Rwanda soutiendra d'abord le général dissident Laurent Nkunda, avant de le laisser tomber et d'aider Bosco Ntaganda, fraîchement allié avec Kinshasa. Lâché par Kabila, Ntaganda prendra le maquis avec un autre groupe, le M23, qui défie aujourd'hui l'armée congolaise dans l'Est du pays, à quelques encablures… du Rwanda. Depuis 16 ans, de près ou de loin, le Rwanda gardera toujours "une main" sur les Kivu.
Rien d'étonnant donc, lorsque Human Rights Watch (HRW), l'ONU ou le gouvernement congolais dénoncent ensemble l'aide de Kigali à la nouvelle rébellion née il y a deux mois dans les Kivu, le fameux M23. Selon Reuters, qui a pu se procurer un rapport de l'ONU (qui ne sera pas publié), James Kabarebe, maintenant ministre de la défense du Rwanda serait personnellement impliqué dans le soutien aux rebelles du M23. Kigali a bien sûr fermement démenti ces allégations.
A quoi joue le Rwanda ?
Officiellement, le Rwanda cherche à venir à bout des rebelles hutus des FDLR, réfugiés en RDC depuis la fin du génocide de 1994. Les FDLR ont toujours constitué une menace aux yeux de Kigali. A Kinshasa, certains relativisent le danger que représente réellement, en 2012, cette rébellion qui n'a pas lancé d'attaques d'envergures contre le territoire rwandais depuis plusieurs années. Car officieusement, les Congolais affirment que les opérations anti-FDLR ne sont qu'un prétexte du Rwanda pour contrôler la région, très riche en minerais divers (cassitérite, or, coltan…). A Kinshasa, ce qui est appelée "l'occupation rwandaise" de l'Est du pays possède également des vertus démographiques pour le petit Rwanda voisin et surpeuplé. Comme le dit dans son éditorial, le magazine Congo Actualités du mois de juin. : "Kigali crée des groupes armées pour fomenter des guerres qui obligent la population autochtone à abandonner ses villages et ses terres, pour les remplacer avec d’autres populations provenant d’autres pays et du Rwanda, en particulier".
Liaisons dangereuses
En conflit ouvert avec le Rwanda depuis 1998, le Congo de Joseph Kabila s'est subitement rapproché de son encombrant voisin en 2009. Il faut dire que la rébellion de Laurent Nkunda (soutenu par Kigali) a fait vacillé Kinshasa pendant plusieurs semaines. Les troupes de Nkunda étaient en effet aux portes de Goma, la capitale de l'Est congolais et menaçaient de faire tomber le régime de Joseph Kabila. Le président congolais décide donc de s'allier à Kigali (contre la majorité de son opinion publique) pour se débarrasser de Laurent Nkunda. Le général rebelle est en effet arrêté par Kigali et placé en résidence surveillée au Rwanda en attendant une hypothétique extradition vers la RDC. Aujourd'hui, le "nouveau Nkunda" s'appelle Bosco Ntaganda. Soutenu également par Kigali, le général ex-bras droit de Nkunda a fait allégeance à Joseph Kabila jusqu'au mois d'avril 2012. A ce moment, Kinshasa, poussée par la communauté internationale après des élections très contestées, prend la décision de capturer Ntaganda, recherché depuis plusieurs années par la Cour pénale internationale (CPI). Kinshasa souhaite donner des gages à la communauté internationale en cessant de protéger Ntaganda. Le général, sentant son arrestation proche, fait défection avec quelques centaines d'hommes et prend le maquis dans les montagnes du Kivu. En parallèle, une nouvelle rébellion voit le jour : le M23, issu de la mouvance Nkunda.
Kabila prisonnier de Kigali ?
Rapidement, tout le monde se rend compte que les mutins bénéficient du soutien du Rwanda voisin. Human Rights Watch estime que le M23 est alimenté en armes et en vivres depuis les montagnes rwandaises. L'ONU affirme que les rebelles ont été formés au Rwanda et Reuters dévoile un document de l'ONU révélant que des personnalités rwandaises de premiers plans, dont le ministre James Kabarebe, aident le M23. Kinshasa se contente de dénoncer la "passivité" de Kigali. Mais face à son "allié" de circonstance, Joseph Kabila n'est pas le mieux placé pour lui donner des leçons. Le président congolais est en effet redevable de nombreux "services" à la communauté rwandophone des Kivu. Aux élections de 2006 tout d'abord, le candidat Kabila a réalisé d'excellents scores dans la région (jusqu'à 90% des voix dans le Masisi). Un vote qui ne sera d'ailleurs pas récompensé puisque les tutsis ne seront pas représentés à l'assemblée provinciale (d'où les frustrations et l'émergence de Laurent Nkunda). Aux élections de 2011 ensuite, pendant lesquelles Joseph Kabila a demandé au CNDP de Ntaganda de "sécuriser" le scrutin dans l'Est. Le candidat y réalisera de très bons scores (dès fois plus de 100% des voix !). Ntaganda n'en sera pas gratifié puisqu'il sera très vite transformé en "ennemi public numéro 1" par l'armée congolaise pour être livré à la CPI. Dernier point à mettre dans la balance des relations entre le Rwanda et la RDC : le lien très fort du président Kabila avec le ministre rwandais de la défense, James Kabarebe. Le militaire rwandais a en effet formé le jeune Joseph Kabila "aux arts de la guerre" pendant la chute du régime Mobutu en 1997. Kabila doit tout à Kabarebe... et Kabarebe connaît tout de Kabila.
Sortie de crise ?
Dans cet imbroglio où tout le monde ment à tout le monde, difficile de savoir comment Joseph Kabila pourra s'affranchir de son "allié" rwandais. Pour l'heure, le président congolais n'a pas les moyens de tenir tête à Kigali. L'armée congolaise est en pleine reconstruction et n'a pas la possibilité de s'imposer sur le terrain. Deux solutions s'offrent pourtant à Joseph Kabila : compter sur la communauté internationale pour faire plier Kigali et retrouver un peu de souveraineté à l'Est ou négocier avec les rebelles et Ntaganda pour trouver ensemble une porte de sortie acceptable pour tous. Un seul atout pour Joseph Kabila : les dissensions très fortes entre le M23 et Bosco Ntaganda… le premier étant prêt à lâcher le second pour voir aboutir ses revendications : l'application des accords de Goma de 2009. Jusqu'à ce jour le gourvernement congolais n'était pas disposé à nouer des négociations avec les rebelles.
Author: Christophe RIGAUD
Source: www.afrikarabia.com, mercredi, 27 juin 2012
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